De la bonne utilisation des villages Potemkine

Paul Richardet
Paul R
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4 min readNov 11, 2015

Grigori Potemkine était l’amant de la tsarine Catherine II. Et l’on peut croire qu’il satisfaisait à la fonction puisqu’elle l’a nommé son premier ministre. Heureuse femme, heureux peuple ! Jusque là rien que du trés classique. Une déclinaison des amours ancillaires dans sa version féminine, comme le jardinier de Lady Chaterley, ou le facteur qui sonne deux fois, version vodka. Un échange de bons procédés qui nous rappellent la bonne vieille relation de maître à esclave au coeur de l’appareil d’état, rayon canapé. Celà existe depuis toujours et fait la prospérité et la paresse de la presse. Pas la peine d’en faire un fromage qui pue, revenons au sujet.

Donc notre coquin, aux petits soins de sa maîtresse, avait pris l’habitude d’”arranger” les choses pour lui faire plaisir. On imagine qu’il se faisait beau et élégant, qu’il inondait le palais de fleurs, qu’il organisait des fêtes somptueuses et délicates, que sais-je. Mais ce que l’histoire a surtout retenu, c’est alors que la tsarine voyageait dans l’immensité russe, il “décorait” son voyage pour son bonheur touristique. Techniquement, il faisait arranger les masures, habillait les habitants, peignait tout celà de couleurs gaies et joyeuses, voir même élevait des tentures peintes pour cacher la misère, afin que la reine trouve sur son passage des joues rosées et bien nourries, des immeubles flambants neufs, des citoyens joyeux, des villages prospères, là il n’y avait que misère, désolation et pauvreté.

On peut dire que Grigori avait le sens de la comm politique avant l’heure. Faire croire ce qui n’est pas. Ca me rappelle une anecdote racontée par un ami qui m’expliquait qu’au Maroc, si tu veux refaire une route défoncée, tu invites le roi. Le reste suit. C’est une procédure simple mais efficace. On voit bien le jeu subtil et prosaique de la relation du peuple au souverain. Il faut faire semblant et respecter les convenances si l’on veut recevoir les largesses de la centralité dirigeante.

Il s’agit donc de mise en scène. Tout le monde est content, ou fait semblant, mais celà ne dure pas, c’est fictif, et on passe à autre chose. Le royaume est grand et le monarque pressé. Vous me direz, celà est du passé dont on fait table rase. Aujourd’hui, nous avons d’autres manières plus efficaces ou perverses peut être, mais faire semblant, non. Pas nous. Amusant. Et quels seraient donc les Potemkine d’aujourd’hui et leurs villages ?

A ce niveau, le discours devient plus délicat. Faut il tout dire ? Et puis ceux qui veulent croire ont leurs raisons. Quel serait l’intérêt de les déniaiser pour les ramener à la réalité banale ? Après tout, chacun à le droit de jouer même si tous ne gagneront pas. Alors de quel droit, hein ? Mais je sens bien que vous trépignez. Alors, alors, il va le faire ou non ? Donc à la demande générale, les villages Potemkine de l’époque sont… On se croirait aux césars. D’ailleurs, maintenant que j’y pense, pourquoi ne pas créer le prix Potemkine qui récompenserait la plus belle manipulation de masse de l’année ?

Et dans le monde du numérique, de l’innovation, des startups, toussa, vous en avez des exemples ? Je vous vois venir… Cependant, là je dis non. Jamais. Stop à la démagogie, au confusianisme, à la démobilisation des forces de progrès, au mélange tout qui mélange tout. Pas de ça chez moi. Je ne ferais pas le sale boulot à votre place. Faudra vous le coltiner vous même. Nan mais.

Donc, à partir de maintenant, lorsque l’on vous proposera un dispositif, un projet, une vision, un machin, une bidouille, un accompagnement, un programme, une technostructure, un bidule, un truc… Regardez bien, analysez, comparez. A quoi ça sert tout ça en fait ? Potemkine ou pas Potemkine ?

Merci de votre attention. Vous pouvez desserrer votre cravate et reprendre votre lecture de Gala.

Ouf. On a eu chaud. Passé pas loin. Soif.

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Paul Richardet
Paul R
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Iconoclaste, original, décalé, sensitif, fervent, entremetteur, fraternel, irruptif, boréal, perceptible, humain, trop humain...