Combler l’écart entre les humains et la technologie

Entretien avec Jonathan van Geuns

CRIEM CIRM
PDS | DSH
8 min readSep 23, 2022

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Écrit par l’équipe de coordination du PDS*

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L’équipe du Pôle d’analyse de données sociales (PDS) s’est entretenue avec le gestionnaire de conception et de gouvernance des données Jonathan van Geuns pour en apprendre davantage sur le travail qu’il a réalisé en collaboration avec Ana Brandusescu, leur implication dans le projet ainsi que leurs objectifs pour l’année à venir [1].

(Gauche) Courtoisie de Jonathan van Geuns (Droite) Crédit: World Wide Web Foundation

Pouvez-vous présenter votre parcours en quelques mots ?

Jonathan van Geuns (JvG): Je suis originaire des Pays-Bas et j’ai travaillé à l’Université de Leiden. Après des études en droit international, je me suis orienté vers la gestion de l’innovation. J’ai réalisé des projets dans de nombreuses villes des Pays-Bas pour créer différents types de portails de données ouvertes. Depuis deux ou trois ans, je réalise des projets liés à la gestion de l’innovation et à la gouvernance des données. Je travaille également avec le gouvernement américain sur des projets liés à la gouvernance participative des données.

J’évolue toujours entre la théorie et la pratique, ou la mise en œuvre de la théorie. J’ai aussi des connaissances en conception créative — tout cela sera utile au projet [avec le Pôle d’analyse de données sociales].

Ana [Brandusescu] a un parcours relativement similaire. Elle a travaillé pour la Web Foundation pendant un certain temps, puis elle est devenue professeure praticienne au Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM). Actuellement, elle prépare son doctorat sur la gouvernance de l’IA, à McGill, et participe aux travaux du CRIEM depuis plus de deux ans. Ana est donc impliquée dans ce projet qu’est le PDS depuis plus longtemps que moi, mais notre travail se rapportant au cadre de gouvernance ne fait que commencer.

De quelle manière êtes-vous impliqué au sein du Pôle d’analyse de données sociales (PDS) ?

JvG: Lorsqu’Ana et moi avons commencé à penser à notre rôle au sein du Pôle, nous avons examiné les éléments fondamentaux qui devraient être présents dans tout projet technique de ce type — nous nous intéressons de près « aux personnes, aux processus et à la technologie » [voir le diagramme]. Nous avons Luc [Véronneau] qui travaille sur le volet technique. En ce qui concerne le volet des processus de gouvernance, celui-ci implique que nous nous questionnons à propos de la structure juridique que devrait adopter le PDS ainsi que son cadre de gouvernance des données.

(Courtoisie de Jonathan van Geuns)

Et puis il y a les personnes, c’est-à-dire qui sont les utilisateurs ou encore les parties prenantes et quels sont leurs besoins. De manière générale, les projets peuvent sembler davantage orientés vers la technologie en raison des effets de nouveauté. Dans le cadre du PDS, notre attention porte aussi beaucoup sur les processus autour de la gouvernance des données. Les trois éléments doivent être pris en compte, mais le volet humain se retrouve parfois mis de côté puisqu’il est tenu pour acquis. Nous voulons nous assurer de combiner tous les volets, en tâchant de définir les types de personnes auxquelles ce projet est destiné. Que font-elles comme travail ? De quelle manière utiliseront-elles la plateforme que le PDS développe ?

Nous entreprendrons prochainement des entretiens avec tou·te·s les partenaires afin de déterminer les différents types d’utilisateur·rice·s. Nous avons déjà une bonne idée de ce qu’ils pourraient être, mais je souhaite explorer davantage le sujet. Chaque organisation partenaire est probablement confrontée à des défis et à des objectifs distincts. Nous devons donc déterminer les principaux problèmes à résoudre ainsi que les idées les plus importantes à mettre en œuvre.

Il y a beaucoup de théories autour de la gouvernance des données, mais ce dont nous avons réellement besoin, c’est de savoir ce que font les gens sur le terrain et ce qui peut leur être utile.

Quel type de travail effectuerez-vous ?

JvG: Une fois que nous aurons cerné les questions et les idées sur lesquelles nous travaillerons, nous organiserons un atelier de cartographie des scénarios d’utilisation. C’est un petit exercice amusant pour valider nos idées auprès des personnes qui utilisent des données dans le cadre de leur travail quotidien. Elles pourront alors nous signaler des oublis et partager leurs propres idées. À la suite de ce premier rendez-vous, nous prévoyons organiser un deuxième atelier de prototypage.

En fait, nous voulons rassembler tou·te·s les acteur·rice·s qui ont un avis significatif sur Commun Axiom ou les plateformes que nous concevons dans le cadre des processus de gouvernance des données. Nous voulons qu’il·elle·s élaborent ces processus en groupe. Nous voulons que les spécialistes techniques nous informent de ce qui est possible et ce qui ne l’est pas; nous aimerions aussi qu’une personne ayant une formation juridique puisse nous dire: «Si nous voulons faire cela, nous devrons examiner ce point précis.» Cet exercice est axé sur la collaboration. Je trouve que c’est la meilleure approche pour susciter l’engagement des participant·e·s à l’égard de ces technologies et processus.

C’est donc ce que nous ferons jusqu’en août ou septembre [2022] et, à la fin de l’année, nous rédigerons probablement un rapport contenant des recommandations.

Qu’est-ce qui vous motive à prendre part à ce projet ?

JvG: Il y a beaucoup de théories autour de la gouvernance des données, mais ce dont nous avons réellement besoin, c’est de savoir ce que font les gens sur le terrain et ce qui peut leur être utile. C’est quelque chose qui me [tient à cœur] et je suis toujours enthousiaste à l’idée de travailler avec ces personnes, de les écouter et de voir comment leurs intérêts coïncident avec l’aspect technique. C’est toujours intéressant de se trouver entre les deux côtés.

Certaines personnes sont férues de technologie, mais d’autres le sont beaucoup moins. Lorsque vous parlez à un·e développeur·se, le langage utilisé se révèle parfois un peu compliqué. J’aime jouer le trait d’union entre divers départements d’un même projet, traduire le langage de l’un pour une meilleure compréhension de l’autre. Ce rôle sera très important dans le cadre de ce projet-ci.

Comment définissez-vous le concept de «gouvernance des données» ?

JvG: Je le vois d’un point de vue très pratique. Il s’agit de tous les processus qui sont associés à la propriété, aux rôles, aux responsabilités et aux personnes. En somme, la gouvernance correspond à tout ce dont nous avons besoin pour réaliser notre travail. J’aimerais me pencher davantage sur le type d’’activités que chaque partenaire doit réaliser, car la gouvernance varie d’un type d’organisation à l’autre. C’est quelque chose qu’il nous reste à découvrir.

Quelles sont les meilleures pratiques que vous envisagez pour le modèle de gouvernance des données du PDS ?

JvG: C’est une bonne question. Je pense qu’en grande partie, il s’agit de créer le pôle au sein duquel partager les données, puis de permettre aux organisations de fournir des données de qualité adéquate et de continuer à les utiliser. C’est probablement ce que je cherche à faire à titre personnel, mais je ne fais que donner mon point de vue.

Qu’entendez-vous par la «qualité adéquate» des données ?

JvG: Eh bien, une bonne partie des données sont très sensibles. Il faut donc les agréger et s’assurer que les informations personnelles soient retirées. Mais il faut également se questionner quant à l’utilité de ces données. Si, par exemple, vous voulez analyser les différents quartiers de Montréal, de quels renseignements aurez-vous besoin ? Devons-nous retrancher toute information dite «sensible» ? Nous devrons examiner différents ensembles de données et voir comment nous pourrons les utiliser.

Selon vous, quels sont les défis auxquels le PDS sera confronté d’ici à 2024 ?

JvG: Il sera important d’obtenir l’engagement de toutes les parties impliquées. Un autre défi à relever sera de faire en sorte que les solutions demeurent simples quant à leur utilisation et leur mise en place. Par exemple, une fiducie de données constitue un concept intéressant que nous pourrions appliquer au Québec, mais nous pourrions aussi nous rendre compte que sa mise en œuvre prend énormément de temps même si elle requiert peu de travail. Au bout du compte, je veux que nous disposions d’un outil que les partenaires utiliseront réellement.

Nous voulons construire quelque chose pour et avec les personnes qui utiliseront l’outil que nous développons; il ne s’agit pas d’un seul individu qui émet des hypothèses assis à son bureau.

Quelles seront vos prochaines étapes ?

JvG: Nous réaliserons des entretiens avec les partenaires en avril, et nous espérons pouvoir parler avec plusieurs personnes au sein de chaque organisation partenaire. J’aimerais apprendre à connaître les gens le plus possible. Je sais que c’est un engagement de leur part, mais nous voulons comprendre ce que le mot «personne» signifie dans ce projet. Nous voulons savoir quelle perspective les gens adopteront à l’égard du PDS et la façon dont ils utiliseront ce que nous produirons.

Un·e citoyen·ne aura un point de vue différent de celui d’un·e analyste de données d’une organisation partenaire, ou d’un·e décideur·se du gouvernement. L’analyste de données voudra probablement en apprendre davantage sur toutes les données spécifiques, tandis qu’un·e décideur·se ou un·e citoyen·ne, souhaitera peut-être avoir un bref aperçu de ce qui se passe dans un quartier en particulier. Si nous considérons chaque perspective, nous développerons un outil entièrement différent. Nous devrons réduire le nombre de cas d’utilisation[2], car il peut y en avoir plus de 20. Nous cherchons à cerner et à comprendre les cas d’utilisation les plus importants ou fréquents, afin que les spécialistes en programmation puissent s’y attarder en priorité.

Qu’est-ce qui guide votre travail ?

JvG: Nous utilisons énormément de processus centrés sur les personnes afin d’impliquer tout le monde dans le projet. Nous voulons construire quelque chose pour et avec les personnes qui utiliseront l’outil que nous développons; il ne s’agit pas d’un seul individu qui émet des hypothèses assis à son bureau. Il est important d’impliquer les gens et de les amener à avoir un sentiment [d’appartenance] au projet.

C’est vraiment gratifiant d’aider les gens à comprendre et à résoudre certains problèmes. Je n’ai probablement pas de réponses à leur fournir au début, mais nous pouvons nous entraider mutuellement pour y parvenir, tant que nous impliquons les bonnes personnes. J’ai hâte de voir le résultat.

[1] Depuis la réalisation de cet entretien, Ana Brandusescu s’est retirée du projet, afin de se consacrer entièrement à ses recherches doctorales, sous la supervision de Renée Sieber (McGill).

[2] Un cas d’utilisation désigne une «[m]anière d’utiliser les données qui ont une valeur ou une utilité pour les acteur[·rice·]s impliqué[·e·]s. Un cas d’utilisation de données correspond à un problème bien défini, dans un contexte précis, ainsi qu’à un ensemble d’actions réalisées par les acteur[·rice·]s et intervenant[·e·]s des données en question en vue d’atteindre un objectif, une finalité». (Définition fournie par Nord Ouvert dans le cadre de gouvernance des données de Montréal en commun. Vers une gouvernance des données plus responsable, efficace et collaborative, Montréal, Montréal en commun, janvier 2022).

Cet entretien a été modifié par souci de concision et de clarté.

* Compilation: Angelina Mazza; révision du contenu: Karolyne Arseneault, Julie Levasseur et Alexia Wildhaber-Riley; traduction: Sara Selma Maref; révision de la traduction: Julie Levasseur.

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