Design d’une forêt-jardin
Cet article a pour but de documenter le processus de design permacole de la parcelle forestière que je souhaite transformer en forêt-jardin.
Contexte
La parcelle en question est en cours d’acquisition (début 2019), elle ne contient pas d’arbres de grande valeur, et elle a été complètement laissée à l’abandon depuis sa coupe “blanche” il y a une vingtaine d’année.
Étant donné qu’ il faut attendre jusqu’à la fin d’une procédure de succession avant de procéder à la vente, je dois patienter avant de faire les modifications majeures et les premières plantations.
Ce contretemps est plutôt une chance: il m’oblige à respecter le temps de la première phase d’un design en permaculture, l’observation! Cette phase devrait idéalement durer un an, pour observer en toute saison. Vu que j’ai commencé à arpenter le terrain en automne 2018, je pourrai donc commencer l’implémentation en automne 2019.
Ce premier “timing” a un autre intérêt, c’est de ne commencer l’implémentation qu’à l’hiver prochain. Or, une des premières choses à faire sur le terrain sera vraisemblablement l’abattage de certains arbres, soit parce qu’ils occupent un emplacement que l’on voudrait utiliser pour d’autres plantations, soit parce qu’ils amènent une ombre trop importante sur certaines zones. L’abattage risquant d’endommager d’autres arbres et arbustes, il est donc préférable de ne pas débuter la mise en place avant pour ne pas gâcher nos efforts ou notre investissement. Et bien sûr on préfère abattre les arbres en hiver, lorsque la sève est redescendue: ils sèchent alors mieux et les bois sont de meilleure qualité pour le chauffage ou la construction. L’idéal est aussi de choisir la bonne lune pour l’abattage, car le bois est alors encore meilleur.
Donc profitons de cette année pour observer!
Observation
La parcelle
Le terrain est sur un plateau jurassien, et d’après la carte IGN, il se situe entre 640 et 650m d’altitude (c’est la parcelle 32, en biais en en longueur, en plein milieu de l’image).
Elle mesure 5000m² environ. Particularité notable, elle est étroite et longue: 35m de large en moyenne, et 150m de long. Elle est bordée par d’autres parcelles boisées, certaines en feuillus parfois bas, et d’autres en sapins blanc parfaitement alignés (sapineraie pour l’exploitation des bois) déjà hauts et situés au sud-sud-ouest. Ce point est essentiel, car l’ombrage en mi saison et en hiver sera vraisemblablement important sur cette parcelle. Néanmoins, le jour où le propriétaire décide de prélever ces arbres qui ont tous le même âge, il risque de faire une coupe blanche assez brutale, et notre parcelle sera alors très ensoleillée…
D’une façon très générale, le boisement de notre parcelle est assez bas, plutôt en taillis, composé majoritairement de noisitiers, petits sapins, sureaux, petits hètres, érables, saules, frênes, ronces… Quelques arbres sont plus grands, vraisemblablement non coupés en 1999: sapins, frênes, tilleuls… La photo aérienne ci dessous donne une petite idée de la densité de boisement. Les grands arbres sont plutôt situés au sud et à l’est.
Niveaux
Quand on parcourt ce bois de l’ouest vers l’est, on observe une légère pente ascendante. On remarque une zone plus plate, voire un léger creux quasiment au centre. Cette zone semble d’ailleurs plus humide (moins d’arbres, présence de menthe aquatique), et lors des fortes pluies un ru en ressort vers l’ouest.
De même, quand on parcourt le terrain sur sa largeur (du sud au nord), on observe une légère pente ascendante, en particulier sur la partie ouest du terrain.
Ces pentes sont cependant très légères, mais elles sont à peu près cohérentes avec les lignes de niveaux de la carte IGN. Ainsi on peut penser que:
- le point le plus haut est un des coins le plus à l’est
- le point le plus bas est au coin le plus à l’ouest
- la différence de hauteur entre ces deux points est d’une dizaine de mètres
L’outil d’altimétrie de Geoportail nous donne confirmation grâce à ses courbes de profils.
Sur le premier schéma, on voit bien le point bas au niveau duquel nous avons observé une zone humide.
Sur ce deuxième schéma, le creux n’est plus visible: c’est cohérent car c’est de ce côté là que le ru se forme par forte pluviométrie.
Pour repérer convenablement nos observations, un quadrillage de 10m par 10m est utilisé, avec la convention ci-dessous.
En reprenant les deux profils d’altimétrie (de la limite nord-est, en haut du quadrillage, et de la limite sud-ouest, en bas du quadrillage), on obtient le graphique suivant (chaque lettre en abscisse correspond au coin nord-ouest de la colonne).
Ensoleillement
D’après nos premières observations, l’ensoleillement est très généreux le matin car les rayons solaires traversent la parcelle qui est peu boisée.
Plus tard dans la journée, l’ombre des sapins couvre les zones les plus au sud et laisse tout de même un peu de lumière pour les zones au nord.
Une simulation d’ensoleillement a été réalisée (logiciel Sketchup, module Sunhours). L’image suivante montre les durées d’ensoleillement au niveau du sol. Les masques liés aux bois environnants sont pris en compte dans notre simulation, mais le terrain lui-même est considéré à nu.
On voit clairement que les zones les plus ensoleillées sont celles qui sont proches de la limite nord-est. Les lignes de niveaux n’ont pas été prise en compte dans cette simulation, ceci implique que les durées d’ensoleillement sont certainement un peu plus fortes sur les points hauts: sur la zone à l’est par exemple.
Climat
Le climat de référence pris en compte est celui de la bourgade la plus proche (un peu plus basse, à 590m d’altitude). Le lieu bénéficie d’un climat tempéré de type continental. Les précipitations y sont importantes, il y tombe en moyenne 1080 mm de pluie par an. Le différentiel de précipitation entre le mois le plus sec et le mois le plus humide est relativement faible, de l’ordre de 25 mm. L’eau de pluie est donc abondante en toute saison, et les périodes de sécheresse sont assez rares, bien qu’elle puissent être de plus en plus fréquente avec le changement climatique.
Les amplitudes thermiques entre l’hiver et l’été et entre le jour et la nuit y sont importantes. La température annuelle moyenne est de 9 °C. Le mois le plus chaud de l’année est celui de Juillet avec une température moyenne de 18 °C. Janvier est le mois le plus froid de l’année. La température moyenne est alors de 0 °C. A cette période et les gelées sont fréquentes. Cette amplitude thermique importante engendre des gelées précoces en automne et tardives au printemps.
Les vents dominants viennent de l’ouest.
Grands arbres et zones remarquables
Sur le terrain, j’ai repéré les arbres les plus gros, à la fois pour connaître les ombrages sur-lesquels je pourrai agir, et également pour servir de repère pour les mesures à venir.
Voici ce que nous avons d’imposant sur le terrain:
- 2 frênes D30 (diamètre 30cm): n° 3 et 6
- 4 frênes D40: n° 2, 4, 5, 8
- 1 tilleul D40: n° 9
- 14 sapins D30: n° 7, 10, 14, 15, 46, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 26, 27, 28
- 4 sapins D40: n° 11, 13, 18, 25
- 1 sapin D50: n° 21
- 1 sapin D60: n° 12
- 1 sapin D70: n° 1
Les numéros ci-dessus sont reportés dans le dessin suivant.
Nous avons séparé l’analyse du terrain en quatre zones délimitées ci-dessus (mais le passage d’une zone à l’autre n’est pas si nette en réalité).
- zones des sapins: ce sont des endroits assez sombres, où les arbres sont majoritairement des sapins blancs. On y rencontre aussi de petits hêtres, des groseillers, noisetiers, houx…
- zone de taillis: cette zone est moins sombre, et les bouquets de noisetiers y sont dominants. On y trouve aussi des jeunes frênes, des petits hêtres, des petits sapins…
- zone mixte: c’est une forêt de feuillus et résineux mélangés, avec des sapins, des hêtres, frênes…
- zone de clairière (+ zone humide): c’est une zone lumineuse, assez peu boisée. On y trouve des ronces, de la menthe aquatique, des framboisiers, du sureau noir, des noisetiers, de la bourdaine, des merisiers à grappes, des saules, du sorbier…
Le sol
Le test du bocal est effectué sur quatre échantillons de terre (pour les quatre zones identifiées):
- C, zone clairière, prélevé en I1
- S, zone des sapins, prélevé en G3
- T, zone de taillis, prélevé en C1
- M, zone mixte, prélevé en O2
Les résultats sont les suivants:
On voit globalement que le taux d’argile est très faible sur tous les prélèvements, et que la terre est soit sablo-limoneuse, soit limono-sableuse. Les prélèvements sont majoritairement sableux, sauf celui de la zone mixte qui est plus limoneux.
Point de vue pH, toutes les zones sont calcaires (basiques), étant donné la présence importante de roche calcaire dans le terrain.
Les plantes
L’inventaire complet des plantes sauvages de cette parcelle est un travail sans fin, vue la taille du lieu et vue sa diversité floristique. Outre les plantes déjà citées dans les paragraphes ci-dessus, voici quelques herborisations supplémentaires:
- alliaire en C3
- oxalis en G2
- groseiller des Alpes en C1
- arum en G2
- framboisier en L2
- fougère en L2
- sorbier des oiseleurs en I2
- saule en I1
- millepertuis en K1
- Merisier en O2
- ronces en I2
- …
La seule conclusion que je tire de ces observations pour le moment, c’est la présence importante d’humidité dans la zone centrale, confirmée par les saules et la menthe aquatique.
Premier design
J’ai d’ors et déjà dessiné un plan de cette forêt-jardin, mais je sais qu’il est voué à évoluer beaucoup dans la suite du travail sur ce terrain. Voici les crayonnés de ce design:
L’idée de ce design est d’utiliser essentiellement le côté nord du terrain, pour échapper à l’ombre de la sapineraie. Les arbres fruitiers et les fixateurs d’azote les plus grands seraient proches de la limite nord, les arbustes/arbrisseaux seraient un peu plus au sud, et les buissons/petis fruits encore plus au sud. On aurait ainsi un profil croissant du sud vers le nord, en se limitant grosso-modo à la moitié du terrain côté nord.
La zone réellement exploitée est appelé zone 2, car il n’y a pas de zones 0 et 1 sur ce terrain où personne ne vivra réellement. On y construirait une cabane à outil avec la possibilité d’y passer une nuit: l’idée est de la construire avec les troncs des sapins que l’on coupera sur le terrain.
Une mare en sortie de zone humide pourrait créer un microclimat favorable, d’une part comme protection contre le gel, et d’autre part pour garder de l’eau à disposition. Un récupérateur d’eau s’imposera également sous le toit de la cabane.
Le buisson de ronce sera conservé, car il m’a donné une très belle récolte cette année, ses mûres sont charnues (zone humide), et les plants sont bas (50cm), ce qui rend la récolte et le passage à travers le buisson très aisé. On conservera des sureaux, les merisiers, framboisiers…
La zone 3 contiendrait les ruches (actuellement en K2), et quelques arbres (fruitiers et/ou fixateurs d’azote) susceptible de ne pas porter trop d’ombre sur la zone 2.
La zone 4 serait une réserve de matériaux (perches, sapins), de plantes sauvages (comestibles ou médicinales), et on y interviendrait de temps en temps pour limiter l’ombrage sur la zone 2.
La zone 5 à l’ouest est la zone sauvage, avec le moins d’intervention possible.
Sur le dessin, la canopée a plutôt l’air espacée, ce qui peut nous permettre de rajouter encore quelques grands fruitiers par la suite, mais c’est une précaution à prendre car sur ce terrain environné par des sapins, l’ombrage est potentiellement le premier facteur limitant.
Quelles plantes?
Pour la canopée, les arbres suivants sont candidats:
- cognassiers
- figuiers
- pruniers
- pommiers
- cerisiers
- eleagnus
- robiniers
- noyers
- néfliers
- poiriers
En niveau intermédiaire (arbustes, arbrisseaux), on envisage les espèces suivantes:
- noisetiers
- sureaux
- tilleul (recepés)
- zanthoxylum (arbre à poivre)
- myrica
- aubépine
- châtaigner nain
En couvre-sol, on aurait:
- potentille ansérine
- raiponce
- ail des ours
- lierre terrestre
- sauge
- igname
- ronce communes, ronce de chine, ronce tricolore
- consoude
En grimpantes/volubile on pourrait opter pour:
- glycine tubéreuse
- épinard grimpant
- actinidia aguta/kolomita
- vigne
Début de l’implémentation
Liste des premières actions à envisager:
- couper les grands arbres gênants des zones 2–3–4 (en hiver)
- réserver les troncs utiles à la construction de la cabane
- recéper le tilleul (n°9)
- déplacer les ruches en K2
- débroussailler la zone 2 en préservant les plantes intéressantes (sureaux, merisiers, ronces, framboisiers…)
- trouver/acheter des plants, faire des bouture (au printemps)
- commencer à planter les arbres de la canopée et les plants qui seront en attente
- construire la cabane (en été)
- creuser la mare
La suite de cet article est disponible, suivez le lien:
L’étape de creusement de la mare est illustrée par l’article ci-dessous:
Quelques photographies, herborisations…
Si vous voulez voir un de mes “bidules”, ou me contacter pour toute autre raison, vous pouvez passer par la page contact de mon site professionnel : www.pachama.eu