L’énergie de la Permaculture

Ben Bidules
Permagazine
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18 min readApr 5, 2018

Les permaculteurs sont pleins d’énergie! Et il en faut pour réinventer nos modes de vie. Pourtant aujourd'hui, les énergies semblent rares, en tout cas celles utilisées dans le monde moderne.

¤ Mais de quelle(s) énergie(s) parle-t-on?
¤ Et comment concilier cette rareté (apparente) avec la satisfaction de nos besoins et la préservation de la Terre?

Voici une synthèse de la problématique énergétique qui propose des réponses à ces questions, en s’inspirant des principes de la Permaculture. On y développera une démarche avec quatre axes stratégiques, résumée par l’acronyme OSER:

  1. O comme Observer ses besoins
  2. S comme Sobriété (diriger l’énergie vers le vrai but recherché)
  3. E comme Efficacité énergétique (créer des cycles et limiter les pertes)
  4. R comme Renouvelables (collecte et stockage)

Les différentes formes de l’énergie

Commençons par introduire la notion d’énergie.

L’énergie est nécessaire à toutes les formes de vie, humaine ou non humaine. Il est donc naturel que la Permaculture s’intéresse à cette notion. Elle s’y intéresse même plus que ce qu’on imagine au premier abord.

  • Dans le potager, lieu d’application par excellence de la Permaculture, nous produisons le carburant de nos muscles (les légumes).
  • Les actions du permaculteur, ce sont ses propres énergies orientées vers l’aménagement de son espace.
  • Les flux sur notre terrain (soleil, eau, vent…), que les designers en Permaculture intègrent dans des diagrammes, ce sont d’autres formes d’énergies.
  • La biodiversité apporte aussi ses énergies: fumiers, labour des vers de terre et des racines, chaleur animale…

Un petit rappel: la Permaculture, c’est une méthode de conception (design). Si vous voulez en savoir plus sur ce qu’est un design permaculturel, lisez l’article ci-dessous.

Un vrai Barbapapa cette énergie! Elle peut prendre des formes multiples, et servir la vie de différentes façons.

Rappelons les différentes formes d’énergie, et leur présence dans notre environnement:

  • Le mouvement, ou énergie cinétique: le mouvement de l’air disperse les graines ou les pollens, les muscles déplacent les corps…
  • L’énergie de gravité (gravifique ou potentielle): l’attraction terrestre fait prendre de la vitesse au rapace, fait tomber les graines au sol, ramène les eaux des montagnes vers la mer.
  • L’énergie électrique: elle transmet l’information dans les neurones, elle défend l’anguille contre ses agresseurs, elle déclenche la foudre.
  • L’énergie chimique: elle permet entre autre le stockage des autres énergies en bois, en graisses ou encore en sucre. La combustion libère cette énergie sous d’autres formes.
  • Le rayonnement électromagnétique: c’est entre autre l’énergie des rayons du soleil, qui permet la photosynthèse. C’est aussi la lumière, qui rend possible la vision diurne.
  • l’énergie nucléaire: elle est issue de la fusion ou de la fission des atomes. C’est l’énergie en jeu dans notre soleil, qui est transmise ensuite à la Terre par rayonnement.
  • La chaleur, ou énergie thermique: elle est nécessaire pour élever la température des organismes et permettre leur fonctionnement. Un lézard à sang froid exploite le rayonnement solaire pour réchauffer ses organes. De nombreux animaux s’enterrent pour profiter de la (relative) chaleur de la Terre en hiver.

On l’a tout de suite vu dans ces descriptions, l’énergie est souvent convertie d’une forme à une autre. La thermodynamique, qui est la science de l’énergie, a formalisé ce constat dans son premier principe: il stipule que la variation d’énergie interne d’un système est égale à la somme du travail mécanique et de la quantité de chaleur apportée. C’est une formulation un peu abstraite, mais cela signifie principalement que les différentes formes d’énergie sont équivalentes, et que les conversions d’une forme à une autre sont possibles:

  • nucléaire > électromagnétique: la fusion des atomes dans le soleil crée le rayonnement
  • électromagnétique > chaleur: les rayons du soleil chauffent le lézard
  • chaleur > mouvement: l’échauffement de l’air entraîne son ascension, et crée les vents
  • électromagnétique > chimique: par la photosynthèse, les arbres utilisent l’énergie des rayons ultraviolets pour créer des molécules carbonées
  • chimique > chaleur: la combustion du bois séparent les molécules carbonées et chauffe l’air environnant
  • chimique > mouvement: l’utilisation du glucose dans nos muscles entraîne notre mouvement
  • mouvement > électrique: le mouvement des molécules polarisées dans les nuages créent la foudre
  • etc.
La machine à vapeur convertit la chaleur en mouvement

Ces conversions ont lieu dans tous les organismes vivants, et l’homme a inventé de nombreuses machines pour transformer l’énergie et améliorer son confort.

Le deuxième principe de la thermodynamique ajoute une notion importante concernant ces transformations: elle se font avec une forme de dégradation ou de perte, qu’on nomme création d’entropie, et qui rend impossible la transformation inverse sans sollicitation d’une énergie supplémentaire.

Ainsi, on ressent que toute conversion implique des pertes (sous forme de chaleur généralement), ce qui nous pose problème si l’énergie est rare.

La crise de l’énergie

Parlons maintenant des problèmes énergétiques mondiaux qui font la une des journaux télévisés.

La crise actuelle de l’énergie se concentre sur les principales énergies consommées par nos sociétés industrielles, en particulier le charbon, le pétrole et le gaz. Au niveau mondial, c’est la combustion de ces énergies (chimiques) qui satisfait l’essentiel des besoins humains du monde moderne: chaleur dans les maisons, électricité, mouvement/transport…

La rareté ressentie sur ces énergies est liée au fait qu’elles sont en stock limité sur notre planète (non renouvelables), mais elle est surtout créée par la gigantesque demande mondiale.

Champ pétrolifère

La notion de rareté n’est pas uniquement liée au stock, elle découle de la consommation excessive (non durable) de ces stocks.

Ceci renvoie directement à la notion de richesse: on ne se sent pas forcément riche quand on a beaucoup de ressources, ni pauvre quand on a peu de ressources. On se sent riche quand on estime nos besoins satisfaits et qu’il nous reste un excédent de ressources, que l’on peut alors partager ou affecter à d’autres buts moins essentiels pour nous. Et on n’estime pas tous nos besoins de la même façon: c’est ce qui fait qu’un habitant de bidonville peut se sentir riche alors que parfois un bourgeois occidental se dira pauvre.

Ainsi aujourd’hui, face à la rareté apparente des énergies, on essaie par tous les moyens de récupérer ou de limiter les pertes de conversion: on récupère la chaleur des serveurs informatiques (data centers), on optimise les rendements des chaudières, on isole nos frigos et nos maisons, on réduit la consommation des véhicules… Tout ceci est positif en soi mais la demande ne décroît pas pour autant, car les nouveaux usages sont en croissance: nouveaux appareils dans la maison, voitures plus grandes, voyages plus fréquents, vélos ou trottinettes électriques, plus de surface chauffée, etc. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond.

Améliorer un élément du système (par exemple en augmentant le rendement d’un moteur de voiture), c’est une approche focalisée, qui ne prend pas en compte l’interaction de cet élément avec le tout. Acheter un nouvel appareil économe ne conduit pas forcément à une amélioration énergétique ou économique globale car on ne considère pas la variation de l’usage ou les coûts énergétiques de la fabrication. C’est un des points expliqués dans l’article suivant.

Assez parlé des problèmes, cherchons maintenant les solutions!

Un premier principe face à la rareté

O comme observation de ses besoins

Contrairement à la démarche classique, souvent spécialisée, l’approche permaculturelle a l’avantage d’être globale (holistique), elle essaie d’améliorer le système complet. On trouve donc, à côté des principes de la thermodynamique, des principes permaculturels qui proposent de relativiser la rareté de l’énergie.

Ainsi, dans la méthode du design permaculturel, on trouve des enseignements précieux quant à l’énergie, et en particulier dans l’observation (première étape de la méthode), illustrée par le principe suivant.

Observer et interagir (Holmgren)

Or, parmi toutes les choses ou phénomènes à observer dans un lieu, il y en a une essentielle : ce sont les besoins des habitants du lieu. Pour les observer on peut par exemple questionner les personnes, et noter sans les juger leurs besoins. Par contre, comme on va le voir ci-dessous, il est parfois nécessaire de les reformuler.

Prenons des exemples concrets, et énonçons quelques besoins en rapport avec l’énergie. On entend souvent les expressions suivantes:

  • j’ai besoin de me doucher chaque matin à l’eau chaude
  • j’ai besoin d’une voiture
  • j’ai besoin de chauffer ma maison

La démarche habituelle accepte ces expressions de besoins et passe directement à l’étape suivante, qui consiste à les satisfaire. Mais pas de chance! Ce que nous venons d’énoncer ce ne sont pas les besoins, mais plutôt des solutions possibles. C’est un réflexe habituel qui consiste à choisir d’emblée la solution la plus commune dans notre environnement, celle adoptée par la majorité de nos contemporains. On a souvent le même réflexe par rapport à l’argent: “j’ai besoin d’argent”, alors que l’argent n’est que l’outil qui me permet d’obtenir les biens ou les services dont j’ai vraiment besoin (nourriture, vêtements, logement etc.).

Ainsi, les vrais besoins seraient plutôt les suivants:

  • j’ai besoin d’être propre
  • j’ai besoin de me déplacer
  • j’ai besoin d’avoir chaud

En permaculture, on essaie donc de découvrir les vrais besoins, tels qu’énoncés dans la deuxième liste. De cette façon, on peut explorer plusieurs solutions pour chaque besoin:

  • propreté: prendre une douche ou un bain, se laver au gant, se laver à la rivière…
  • déplacement: avoir une voiture, en louer une, utiliser un vélo, marcher…
  • confort thermique: mettre un pull, chauffer la maison, chauffer une seule pièce…
Un vrai besoin, plusieurs solutions: les déplacements

Pour revenir à la rareté supposée de l’énergie, dans chaque situation on peut opter pour des solutions moins gourmandes en énergie que d’autres. Le choix idéal pourrait consister à choisir les solutions qui satisfont notre besoin à moindre coût énergétique (et économique, ça va souvent ensemble), tout en maintenant notre confort.

Attention à ne pas confondre confort et habitude: par exemple certains sont habitués à la voiture, d’autres au vélo, et ils ne voudraient changer leurs habitudes pour rien au monde. On ne peut pas dire que l’un est plus confortable que l’autre car cela dépend fortement de la situation. La voiture est rapide, protégée des intempéries, avec une radio, mais elle subit les embouteillages, il faut la garer, lui fournir du carburant. Quant au vélo, il est dynamisant, facile à garer près de la destination, il contourne facilement les rues barrées, mais il faut pédaler, on peut se faire mouiller, il est parfois compliqué de transporter de gros colis.

En permaculture, l’observation de ses besoins nous amène vers une conception globale qui permet de réduire l’apport d’énergie tout en atteignant la meilleure satisfaction possible. Pour reprendre l’exemple des transports, ça pourra consister à réduire la distance ou le nombre des trajets, en ayant une activité et un approvisionnement locaux, et en choisissant un mode de transport doux pour ses petits trajets.

Penser sobriété avant économie!

S comme sobriété

Les économies d’énergie sont en général envisagées dans le contexte d’une consommation énergétique exagérée, et qui entraîne des problèmes: difficultés d’approvisionnement, budget prohibitif, pollutions induites… On les applique donc en correctif sur une situation de dysfonctionnement.

Dans une approche permaculturelle, un autre principe nous incite à réfléchir en amont pour éviter que ces problèmes énergétiques n’apparaissent.

Utiliser des solutions à petites échelles et avec patience (Holmgren)

La petite échelle, on peut l’appliquer par exemple dans l’habitat: on construira ou on ne rénovera que la surface habitable dont on a vraiment besoin, pour éviter de chauffer un grand manoir inutilement.

De la même manière, lorsqu’on se déplace, on adapte le moyen de locomotion au but recherché, le plus petit véhicule étant souvent le plus sobre en énergie. Investir dans un gros véhicule n’est compréhensible que si l’on a un (vrai) besoin fréquent de transporter de lourdes charges.

Petit véhicule motorisé en Chine

Le “petit” est donc une mesure préventive contre l’apparition de problèmes énergétiques. Il est très courant de voir des personnes ennuyées par des factures énergétiques importantes alors qu’elles ont élu domicile dans une maison bien trop grande pour leur petite famille.

Cette stratégie de sobriété est non seulement efficace énergétiquement, mais aussi économique financièrement, car elle nécessite peu d’investissement. On peut lister qulelques stratégies de sobriété pour différents besoins:

  • chauffer 50m² au lieu de 200
  • rouler 5000km avec sa voiture plutôt que 20000
  • règler son thermostat d’ambiance à 18°C plutôt que 22
  • ne prendre que deux douches par semaines
  • utiliser le véhicule le plus lèger possible (ou même pas de véhicule)
  • réchauffer son corps, et non pas l’air de la pièce

Pour ceux qui veulent creuser un peu plus ce thème, certaines de ces stratégies sont développées dans les articles suivants:

Quand on utilise l’énergie pour satisfaire confortablement ses vrais besoins, et non pour servir d’autres buts annexes, on se rend compte que la rareté n’est pas si nette qu’on veut bien le penser!

Une des clefs consiste à diriger l’énergie vers le vrai but recherché, par exemple le déplacement de son corps, et non le transport de 1300kg de métal.

Limitation de l’entropie

E comme efficacité

En thermodynamique, la notion d’efficacité énergétique se définit en général par une quantité appelée rendement. Ce rendement est égal au rapport entre le flux d’énergie utile (potentiellement vendu) et le flux d’énergie payé ou récolté. Par exemple, pour une chaudière au fioul, ce rendement est égal à la puissance (puissance=flux d’énergie) de chauffage envoyée dans les radiateurs divisée par le flux d’énergie chimique du fioul. Le reste des flux énergétiques constitue les pertes de l’appareil.

Pour maximiser la rentabilité de l’appareil, les ingénieurs œuvrent donc à la diminution du flux payé et/ou à l’augmentation du flux utile, donc à la maximisation du rendement, et donc à la réduction des pertes, ou encore, si l’on se référe au deuxième principe de la thermodynamique, à la limitation de l’entropie (ces quatre formulations sont analogues).

Courbes d’optimisation de rendement pour une turbine hydroélectrique

Dans les injonctions classiques de la société de consommation, on essaie donc de résoudre la problématique énergétique par le résultat du travail des ingénieurs, c’est à dire par la commercialisation de matériels plus efficaces (générant moins de pertes), en faisant malheureusement l’impasse sur la définition du (vrai) besoin. Ceci est un oubli volontaire car travailler sur le besoin nécessite une remise en cause de la croissance, alors qu’à l’inverse, des forces fondamentales du système travaillent en permanence à faire croître les besoins (publicité).

Pour la limitation des pertes du système, trois solutions sont envisageables:

  • avoir des fonctionnements cycliques
  • ralentir
  • améliorer l’efficacité des éléments

Les cycles

Les pertes de conversion sont des états dégradés de l’énergie, par exemple de la chaleur à plus basse température. Losque l’on considère l’élément pris isolément elles sont assimilables à des déchets, et les limiter est alors une application du principe permaculturel suivant.

Ne pas produire de déchets (Holmgren)

Or les pertes d’un élément de notre lieu peuvent aussi être des ressources pour un autre. Quand ce lien est créé, l’efficacité d’un système isolé a alors beaucoup moins d’importance.

La nature fonctionne selon ce modèle: les éléments pris isolément ont un rendement de conversion très moyen, mais toutes les pertes sont utilisées par un autre élément. D’ailleurs, dans un écosystème naturel, on ne parle pas de pertes, mais d’échanges entre espèces ou de cycles.

Cycles naturels

Le schéma ci-dessus montre quelques réutilisations de pertes par la nature, mais ce n’est qu’une infime partie des innombrables liens qui unissent les éléments d’un écosystème.

  • La matière morte des végétaux (feuilles, branches…) fournit l’énergie chimique nécessaire à la vie des vers de terre, des bactéries, des champignons, d’insectes et d’autres petits êtres vivants.
  • Les excréments des animaux, qui sont les pertes de leur métabolisme, et les restes des repas des carnivores sont aussi métabolisées par ces mêmes espèces.
  • Les résidus du métabolisme de ces petits êtres vivants deviennent des éléments assimilables par les racines des plantes (constituants de l’humus).
  • Les effluents gazeux du métabolisme végétal (dioxygène) sont utilisés par les animaux et les effluents gazeux du métabolisme animal (dioxyde de carbone) sont utilisés par les végétaux.

Un autre principe permaculturel fait référence à cette notion de perte ou de déchet.

Le problème est la solution (Mollison)

Le déchet qui devient ressource en est une belle application.

On a d’ors et déjà des embryons de cycles dans certains systèmes classiques: par exemple un frigo, pour faire du froid, génère des pertes en chaleur, et en hiver cette chaleur chauffe un peu notre logement. Malheureusement, en été, cette chaleur redevient une perte, qui doit parfois être compensée par les systèmes de climatisation. La situation en est quelque peu burlesque, car la situation optimale d’hiver survient lorsque le froid (flux utile du frigo) est parfois disponible gratuitement à l’extérieur.

En permaculture, on favorise les liens entre les éléments pour que chaque perte devienne une ressource. On peut envisager que la chaleur des poules chauffe la serre, que les excréments des humains (qui sont des pertes énergétiques de notre métabolisme) enrichissent le sol etc.

Les liens qui unissent les éléments d’un lieu permacole

Lors de la conception d’un lieu, multiplier les liens entre les éléments contribue à créer de nombreux cycles de matière et d’énergie. Ainsi on peut minimiser les pertes réelles du système vu dans son ensemble. Il peut même être intéressant de ne pas améliorer l’efficacité d’un élément, si un de ses sous-produit est une ressource essentielle pour un autre élément.

Ralentir

Notons que la notion de patience (citée dans le principe “utiliser des solutions à petites échelles et avec patience”) a également un impact important sur les quantités d’énergie consommées pour satisfaire un besoin. Un processus de conversion énergétique rapide conduit en général à une plus importante création d’entropie (pertes) qu’un processus lent: une voiture génère plus de frottements à 130km/h qu’à 60km/h, et donc sa consommation en carburant est d’autant plus grande que sa vitesse est importante.

Lenteur

La patience en tant que caractère humain peut aussi avoir un impact positif sur la réduction de la demande énergétique. Par exemple, si l’on possède un chauffe-eau solaire, il peut être pertinent d’attendre le soir avant de prendre sa douche, afin d’exploiter l’énergie gratuite du soleil. Satisfaire rapidement un besoin met souvent en jeu des processus plus coûteux énergétiquement: grosse résistance électrique, voiture puissante, ascenseur… Chacun de ces processus rapide génère des pertes de conversion plus importante. Saisir ou attendre le moment opportun (le kairos des grecs) est donc gage d’efficacité énergétique.

Ralentir les processus est donc une solution très efficace pour atteindre le même but mais avec une quantité d’énergie réduite. Pourtant, soit parce-que ce ralentissement n’est pas envisagé, soit parce-que les pertes résiduelles restent importantes et ne sont pas utilisées ailleurs, le travail sur l’efficacité énergétique des éléments peut rester nécessaire.

Améliorer l’efficacité des éléments

Dans les produits et innovations disponibles dans les filières classiques (magasins de matériaux, compétences des artisans…), de nombreuses possibilités nous sont offertes pour réduire les pertes énergétiques de notre mode de vie:

  • isoler son logement, le rendre étanche à l’air (hors des entrées d’air calibrées)
  • systèmes de chauffage optimisés, avec intégration d’énergies renouvelables (solaire, bois, géothermie)
  • autoproduction d’électricité (photovoltaïque, éolien)
  • voiture consommant moins de carburant
  • appareils domestiques de catégorie A+++
  • récupérateur de chaleur sur eaux grises (douche)
  • etc.

Nous ne pouvons pas citer ici toutes les solutions d’économie d’énergie possibles, qui sont aujourd’hui innombrables.

Attention néanmoins à toutes ces innovations, car elles ne sont pas toujours une réponse adéquate si la quantité de besoins à satisfaire reste stable ou croissante. Elles peuvent nous faire passer d’une rareté à une autre par surexploitation d’autres ressources:

  • métaux rares (batteries et systèmes électroniques),
  • eau et surfaces cultivées (agrocarburants),
  • sables (nouveau bâti),
  • pétrole (matériaux issus de la pétrochimie, on passe dans ce cas précis d’une surexploitation énergétique à une surexploitation en tant que matériau)…

Cette amélioration de l’efficacité des éléments ne vient qu’en troisième position, après le travail sur les cycles et sur la vitesse, qui sont des solutions a priori plus performantes. La réduction des pertes (qui comporte trois axes, cycle, vitesse et efficacité) ne vient qu’après l’observation des besoins et la démarche de sobriété. Par conséquent, si le but est de trouver une solution à la crise énergétique, traiter uniquement de l’efficacité énergétique des matériels en faisant l’impasse sur les étapes amont (et en particulier sur le calibrage de la demande, i.e. les vrais besoins) est passablement inopérant et conduit immanquablement à des tensions sur d’autres ressources.

Des ressources énergétiques abondantes

R comme renouvelables

Lorsque nos besoins sont calibrés et que les pertes du système sont minimes, les ressources de notre lieu et de son environnement proche peuvent satisfaire une grande partie de la demande énergétique résiduelle. Pour cela on en revient à la première phase du design, c’est à dire l’observation: on liste obligatoirement dans cette phase les ressources dont on dispose, et elles peuvent être multiples:

  • l’ensoleillement
  • le vent
  • les circuits de l’eau
  • la biomasse (arbres en particulier)
  • la géothermie
  • les habitants (humains et non-humains, pour leur force physique et leur chaleur)

Observer longuement nos ressources peut alors nous montrer que la rareté est toute relative, et que certaines énergies sont réellement abondantes.

Prenons un exemple: dans la plupart des lieux habités, l’énergie solaire est d’une extrême abondance en été, à un tel point que l’on doit s’en protéger pour éviter les trop fortes chaleurs ou les brûlures. Cette abondance d’énergie solaire au niveau mondial est également assez frappante, car une toute petite fraction de cette énergie suffirait à satisfaire l’intégralité de la demande énergétique mondiale. A noter que selon les lieux d’autres sources seront potentiellement abondantes.

Eolienne de pompage utilisant l’énergie du vent

L’utilisation de ces énergies peut alors être guidée par deux principes:

Collecter et stocker l’énergie (Holmgren)

Utiliser et valoriser les services et les ressources renouvelables (Homlgren)

Ces deux principes sont complémentaires car certaines ressources renouvelables sont intermittentes, et pas toujours synchrones avec les besoins identifiés.

Pour contourner cette difficulté, on peut utiliser diverses solutions de stockage de l’énergie solaire:

  • conversion en électricité par panneaux photovoltaïques et utilisation de batteries
  • serre bioclimatique pour accumuler la chaleur en journée et la restituer la nuit
  • panneau solaire thermique pour stocker de l’eau chaude dans un ballon
  • stockage dans la biomasse des arbres, et restitution de la chaleur en hiver par utilisation d’un poêle à bois

A nouveau, tout ceci ne fonctionnera durablement que si le besoin à satisfaire est modéré. Récolter et stocker les énergies renouvelables pour un lieu sobre est assez simple et compatible avec les ressources de la planète (en énergie et en matériaux rares). C’est beaucoup plus dur de l’imaginer pour une demande croissant à l’infini.

NB: si on imagine une croissance modérée de 3% par an pendant 300 ans, cela conduit à multiplier notre demande par 7098 ([1+3/100] à l’exposant 300). Quelle que soit la source d’approvisionnement choisie, c’est tout simplement impossible scientifiquement, et défendre cette croissance infinie est une idéologie extrêmiste. Un développement durable basé sur le postulat de la croissance n’est en réalité pas durable (en tout cas pas à l’échelle de plusieurs générations).

Une demande énergétique modérée permet d’envisager aussi l’utilisation de la force animale et humaine (renouvelable), chose difficile à imaginer s’il faut développer des puissances analogues à celles de certaines machines modernes.

Simplicité de la démarche permaculturelle

L’énergie est ainsi une notion centrale lors d’un design en permaculture, car tout est énergie sous différentes formes: la nourriture, nos actions, les matériaux, les flux. Or face au discours de crise énergétique, la complexité du monde moderne actuel cache la simplicité des solutions qui s’offrent à nous.

Ce qu’il faudrait retenir en priorité dans cette approche permaculturelle de l’énergie, c’est que les problèmes actuels sont solutionnés en premier lieu par l’observation (de nos besoins liés à l’énergie), et cette observation est aussi une remise en cause des dogmes de la croissance et du confort moderne: c’est donc avant tout une rebellion légitime face aux absurdités du système d’hyper-production et d’hyper-consommation. On retrouve ici la fibre révolutionnaire de la Permaculture, rappelant la petite phrase suivante.

La Permaculture est une révolution cachée dans du jardinage

Enfin, bien que les solutions médiatisées actuellement pour solutionner la crise de l’énergie soient utiles (performance énergétique et énergie renouvelables), elles n’arrivent qu’en avant-dernière et dernière position de l’approche proposée:

  • Observation des besoins
  • Sobriété
  • Efficacité : cycles, ralentir, performance énergétique
  • Renouvelables

Se limiter comme on le fait actuellement à ces deux derniers piliers ne donnera pas de résultats tangibles, et le passé nous prouve cela. En effet malgré les énormes progrés de la performance des systèmes dans les dernières décennies (moteurs plus propres, appareils plus économes, maisons mieux isolées…), et la croissance des éoliennes et des panneaux solaires, la consommation globale d’énergie a continué à augmenter. C’est ce qu’on appelle l’effet “rebond”: les économies ont été compensées par l’augmentation du poids des voitures, des kilomètres parcourus, des mètres carrés chaufés etc.

Seul l’effet “débond”, contraire à l’effet “rebond”, peut ainsi conduire à une vraie solution énergétique: les économies d’énergie ne sont utiles que si elles s’accompagnent d’une libération par rapport à nos aliénations. Cela implique donc l’observation que notre bonheur passe par exemple par une croissance du temps libre ou des relations sociales et pas forcément par des nouveaux achats ou des augmentations d’usage.

A nous d’orienter les énergies dans une bonne direction

Si vous voulez voir un de mes “bidules”, ou me contacter pour toute autre raison, vous pouvez passer par la page contact de mon site professionnel : www.pachama.eu

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Ben Bidules
Permagazine

Chercheur de sagesses énergétiques, de low-techs et de permaculture. Quels chemins suivre pour enfin prendre soin de l’humain et de la Terre?