Les chiffres de la sobriété énergétique

Ben Bidules
Permagazine
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5 min readFeb 11, 2016

Le monde actuel est un sac de chiffres: pourcentages, notes, comptages, rendements… On en trouve sur tous les produits de la vie moderne, et ils sont censés nous renseigner objectivement sur la qualité ou la performance des objets.

Pourtant, le chiffre (on devrait plutôt dire “le nombre”, si l’on était puriste) est une abstraction simpliste qui ne résume pas à lui tout seul les caractéristiques d’un appareil ou d’un système. Pire encore, beaucoup de chiffres faussent notre jugement et nous font parfois faire des choix inverses à notre éthique. C’est le cas de certains chiffres autour de l’énergie, comme nous allons le voir maintenant.

Efficacité ou performance

Quantifier et améliorer l’efficacité des systèmes, des organisations et des appareils est aujourd’hui incontournable. Les grandeurs d’intérêt s’exposent à nos yeux de consommateurs gourmands en permanence: nombre de kWh par an (appareil électrique), nombre de litres aux 100km (véhicule), nombre de hWh par m² et par an (logement), milligrammes par mètre cube (polluants d’une automobile)…

Consommation conventionnelle d’un logement (en kWh/m².an) dans une étiquette énergie

A priori ces grandeurs affichées nous permettent de comparer les produits entre eux, elles ont une prétention d’objectivité en imposant des mesures normées et identiques pour tous les produits ou systèmes du même type.

Un nombre n’est pas précis

L’affichage d’une note, d’une quantité, d’un pourcentage nous donne presque toujours l’illusion de l’exactitude. On croit par exemple que la concentration de NOx, en mg/Nm3, dans les gaz d’échappement de notre voiture est constante et quantifiée précisément. Pourtant la mesure initiale est entachée d’une incertitude et le protocole de test est parfois variable. De plus, comme le grand public a pu le découvrir lors du scandale Volkswagen, la situation réelle d’utilisation du véhicule est souvent très éloignée des conditions du test.

Ainsi, si un système A affiche une efficacité de 70%, alors que son concurrent B affiche une efficacité de 80%, on croit intuitivement que B est meilleur que A, ce qui n’est pas automatiquement vrai…

On devrait a minima visualiser ces grandeurs en les associant à leur incertitudes, comme dans un graphique type “boîte à moustache” (voir ci-dessous). Ces représentations sont malheureusement un peu difficiles à décrypter pour les non-initiés.

Exemple de représentation en “boîte à moustache”

Et si ces nombres nous détournaient des vraies solutions…

Dans une démarche éthique, respectueuse de l’environnement, on s’appuie sur ces quantifications pour choisir les meilleurs produits, ceux qui a priori consomment ou polluent moins que les autres.

On pourrait ainsi être tenté de remplacer rapidement un vieil appareil ou une vieille voiture, en arguant que les nouveaux produits du marché sont plus économes en énergie ou moins polluant.

Mais ceci est parfois trompeur. Tout ces chiffres ont besoin d’être interprêtés pour voir s’il correspondent à nos attentes et à notre éthique.

Prenons l’exemple d’un véhicule. Quand on se soucie de notre consommation d’énergie, on porte une attention particulière au nombre de litres consommés pour 100km parcourus. Si j’ai une voiture ancienne, qui consomme 6 litres/100km, il paraît bon pour l’environnement de commander une nouvelle voiture consommant 4 litres/100km. On oublie alors deux éléments importants:

  • l’énergie grise: c’est l’énergie nécessaire à la fabrication de la voiture neuve, qui n’aurait pas été consommé si nous n’avions pas produit (et acheté) cette voiture. On estime qu’elle peut être équivalente à plus de 8000 litres d’essence, soit potentiellement 30000 km parcourus… Et on ne prend pas ici en compte l’énergie nécessaire au recyclage de l’ancienne voiture, si elle est envoyée à la casse.
  • le dénominateur: il s’agit du bas de notre fraction de “litres/100km”. Le haut c’est le nombre de litres, le bas c’est le nombre de km parcourus. Si l’on parcourt 20000 km avec la voiture neuve et économe, on pollue plus que si on parcourt 10000 km avec l’ancienne voiture. On a donc une meilleure alternative pour économiser de l’énergie (et de l’argent), il s’agit de laisser un peu plus la voiture au garage.

Bien sûr, ces éléments nous renvoient sur le concept de décroissance, c’est d’ailleurs pour cela que les vendeurs ne créent pas une étiquette pour prendre en compte l’énergie grise ou pour nous inciter à garder la voiture au garage.

Au final, comme on le voit sur le graphique ci-dessous, il faut 22 ans pour que l’économie d’essence réalisé grâce à la nouvelle voiture compense l’énergie grise de sa fabrication.

Cette alternative existe pour beaucoup de systèmes ou de produits:

  • Construire une nouvelle maison économe OU ne plus chauffer certaines pièces peu utilisées dans ma maison actuelle
  • Mettre en place un chauffe-eau thermodynamique OU réduire le nombre de bains et de douches hebdomadaires
  • Acheter un grand frigo A+++ OU se contenter d’un petit réfrigérateur
  • Commander une nouvelle machine à laver économe OU réduire la température des lavages sur mon ancienne machine
  • etc.

D’autres chiffres que l’on ne nous montre pas

Les quantifications de l’énergie grise ne sont pas affichées dans les magasins, mais on peut les trouver aisément sur internet, en essayant bien sûr de comparer différentes sources.

Une maison neuve moyenne nécessite environ 800000 kWh d’énergie grise (de quoi vous chauffer pendant 40 ans). Mais ce chiffre peut varier énormément selon le type de construction: béton, plâtre et polystyrène requièrent des quantités d’énergie massives pour leur fabrication. Bois, argile et isolant naturel sont par contre économes depuis leur fabrication jusqu’à leur recyclage.

Il est donc surtout question ici de consommation, et de l’esprit de cette consommation. On peut être un consommateur responsable ou éthique, et se faire abuser par des indications ou des chiffres simplistes.

Mais alors mince, il faut donc réfléchir! Et moi qui croyait que tout ce qui était écrit dans les magasins était vrai, et que mon achat faisait du bien à l’environnement et aux hommes. Me voilà déçu!

Si vous voulez voir un de mes “bidules”, ou me contacter pour toute autre raison, vous pouvez passer par la page contact de mon site professionnel : www.pachama.eu

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Ben Bidules
Permagazine

Chercheur de sagesses énergétiques, de low-techs et de permaculture. Quels chemins suivre pour enfin prendre soin de l’humain et de la Terre?