Au delà de la permaculture: sur la voie de l’agriculture zéro déchet

Mélodie Michel
permazone
Published in
5 min readMar 3, 2020

Avez-vous déjà essayé de demander à des amateurs de permaculture quel rôle doit jouer la technologie dans les systèmes de permaculture? C’est un sujet à controverse. En posant cette question dans quelques forums de permaculture, j’ai reçu un certain nombre de commentaires anti-technologie. Ce que beaucoup aiment dans la permaculture, c’est le temps passé au contact de la nature, à observer et à essayer de répliquer des dessins, des actions et des événements qui existent depuis des millénaires — je comprends tout à fait cela. Mais si l’on considère la permaculture comme un outil pour remédier aux problèmes d’alimentation et de ressources naturelles qui accablent le monde actuel, n’est-on pas en droit de penser que la technologie pourrait nous aider à atteindre nos objectifs de durabilité?

Est-il vraiment impossible de mélanger technologie et permaculture?

Cette semaine, j’ai discuté avec Christopher Bush, le fondateur de la petite ONG canadienne Catalyst Agri-Innovations Society. Les activités de Bush et de son équipe sont parfaitement alignées avec les idéaux de la permaculture. Leur mission, c’est l’agriculture zéro déchet, et leur slogan, c’est ‘Power the World — Feed the People — Heal the Planet’ (Faire fonctionner le monde — Alimenter la population — Soigner la planète). Ils opèrent selon ce qu’ils appellent ‘la règle de la raison unique’: rien ne doit être fait pour une seule raison, et chacun des aspects d’une solution doit servir plusieurs objectifs. “Notre modèle c’est la technologie mélangée à la permaculture,” explique Bush.

Avec l’aide de son équipe, il a développé un système de méthanisation du fumier de vaches et de poules, duquel le méthane est extrait pour produire de l’énergie et dont le produit fini est un fertilisant naturel. Le fertilisant est ensuite utilisé pour produire des lentilles d’eau, qui absorbent le CO2 de l’atmosphère, et dont on peut extraire du sucre et des protéines utilisés dans l’alimentation animale. Et ainsi, le cycle continue indéfiniment. A l’heure actuelle, Catalyst est en train de lancer un site de recherche appliquée, dans lequel l’association compte organiser des compétitions d’innovation dans le milieu de l’agriculture zéro déchet.

Permazone: Comment ça se passe, la disruption de l’industrie agroalimentaire au Canada?

Christopher Bush: On sait qu’on va devoir alimenter 9 ou 10 milliards de personnes avec les ressources que nous avons, et on sait que les méthodes actuelles produisent énormément de gaspillage. Mais comme dans toutes les situations de disruption technologique, nous devons peser notre message, trouver les vrais problèmes qui perturbent l’industrie à l’heure actuelle, et commencer les résoudre, avant d’aller plus loin. Nous devons d’abord aller à la rencontre de l’industrie actuelle, pour ensuite la guider vers une réalité meilleure. Je parle rarement de ma vision pour 2050 avec le secteur agricole, parce que ce n’est pas un sujet qu’ils aiment aborder. Je me concentre sur l’inévitable: personne ne peut nier qu’il nous incombe de réduire l’impact environnemental de l’agriculture.

P: Comment les fermiers locaux ont-ils réagi à la solution que vous proposez?

CB: Au moment de la construction de notre premier site en Colombie Britannique en 2008, le gouvernement était censé introduire de nouvelles régulation pour la gestion du fumier. Ces nouvelles règles auraient dû être appliquées en 2009, mais elles ne sont sorties qu’en 2019. J’ai fait face à une catastrophe économique, et le marché m’a vu comme une menace, parce que je cherchais à résoudre un problème qu’ils disaient insolvable, et cela les forçait à changer. En février 2019, le nouveau code est entré en vigueur et tous les fermiers doivent s’y conformer.

C’est difficile d’aller à l’encontre des lobbies agricoles, qui ont une influence importante. Ce qui a mené au changement de règles ici, c’est que Abbotsford est situé au dessus d’une nappe phréatique qui alimente les Etats Unis. Les fermes locales ont participé volontairement à une étude environnementale de cette nappe, mais dès que les résultats de l’étude sont parus, ils ont été poursuivis en justice et ont perdu, étant forcés à payer des millions de dollars. Cela a retenu l’attention de tout le monde.

P: Pensez-vous que ce genre de changement ne peut venir que des régulateurs?

CB: J’espère que non, parce que si ça vient des législateurs, c’est généralement réactionnaire. Nous essayons de développer un nouveau modèle qui se détache de l’innovation par les idées, et se rapproche plus de l’innovation motivée par les résultats. Le but, c’est l’agriculture zéro déchet. Nous testons et prouvons des solutions, nous identifions les meilleures réponses, nous les installons et commençons à les utiliser, et nous organisons continuellement des nouvelles compétitions. Nous publions toutes ces données, et si quelqu’un arrive avec une meilleure solution, celle-ci devient notre nouvelle championne. On accepte tout sauf les gros égos et l’avidité. Nous espérons toujours que nous n’avons pas toutes les réponses. Cela fait 14 ans que je travaille dans ce milieu et tout d’un coup, tout a explosé.

P: Que pensez-vous de l’idée que la permaculture et la technologie ne doivent pas être mélangées?

CB: La permaculture est un terme merveilleux qui peut avoir plusieurs significations pour des personnes différentes, et qui est en lien avec l’économie circulaire. Mais même les principes de la permaculture partent de suppositions qui peuvent s’avérer vraies ou fausses sur le long terme. Notre principe, c’est de tester toutes les suppositions. Par exemple, la permaculture parle beaucoup de redonner les nutriments à la terre, mais qui dit qu’on ne va pas enlever la terre du système de production alimentaire, ou les animaux, ou même les plantes? Peut-être que la technologie va nous mener à la conversion des microbes. Notre seul but, c’est l’agriculture zéro déchet: comment alimenter le monde en énergie, produire de la nourriture pour tout le monde, et soigner la planète.

Une partie du problème, c’est que les gens ont différentes interprétations de la notion de permaculture. On parle de reproduire les systèmes naturels, mais peut-être aussi de les retirer de la nature. Il est important de ne pas se confiner dans une case: concentrons-nous sur un but, mais assurons-nous de ne pas nous limiter sur la manière d’y arriver, du moments que nous respectons la nature.

Pour notre part, tout ce que nous faisons est open-source, sans brevet. On ne veut jamais épouser une idée ou une technologie, et on invite des challengers à nous contredire chaque jour. La problématique est infinie, il y a de la place pour tout le monde. Comme l’a dit JFK: “La marée montante soulève tous les bateaux.” Nous allons utiliser tous les mécanismes imaginables pour atteindre notre but.

Pour plus d’informations sur le travail de Christopher Bush, visitez le site de la Catalyst Agri-Innovation Society website.

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