L’innovation retail ne passe pas nécessairement par la techno

Nabil THALMANN
Personae User Lab
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6 min readDec 14, 2016

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En allant à un événement autour du Retail 2.0 organisé par Numa hier mardi 13/12, je ne m’attendais pas à entendre parler autant de l’être humain et à ce qu’on minore comme pas possible la technologie. Je peux dire qu’elle a été sévèrement remise à sa place celle-là.

Un signe de maturité des intervenants ce matin là ?Aladin Mekki, responsable de la prospective au PICOM et Dimitri Achache Bonifacio, directeur digital chez Renault retail group. Maturité des organisateurs ? SILEX ID, Le Square Paris, Numa, Renault ? Merci à ces derniers en tout cas d’avoir mis sur pied ce petit déjeuner.

Je ne sais pas. Mais ne nous plaignons pas de mettre l’humain à l’honneur.

La preuve par l’exemple

Les intervenants ont donc cités de nombreux exemples.

Faut dire que le meilleur moyen d’en revenir de la technologie, c’est de voir que ça ne marche pas toujours, dans toutes les situations et auprès de tout le monde. Ça aide toujours les échecs, pour se dire qu’on ne va pas poursuivre dans telle ou telle voie ou s’échiner à utiliser une technologie dans l’air du temps mais qui n’apporte pas les résultats escomptés.

Ah ça y est le mot est lâché : “résultats”. Et oui, toutes les actions d’une entreprise doivent servir sa pérennité et sa santé financière. La recherche d’efficacité guide beaucoup ses efforts. Encore heureux. Rendre une expérience d’achat positive pour le consommateur est un objectif tout à fait louable (en tant que voix de l’utilisateur je ne vais pas vous dire le contraire) mais pour que l’entreprise soit encore là demain pour continuer à vous faire profiter de ses produits ou services, et bien elle doit aussi penser à l’efficacité de ses actions et pas uniquement à installer sa marque.
Donc au revoir l’effet waouh systématique ou la techno à la mode (“non boss je vais pas nécessairement mettre du beacon à tout va parce que Stéphane Soumier s’en est extasié sur BFM Business”).

Si une expérience efficace se résume, du point de vue du magasin, à un consommateur qui ressort du point de vente après un passage en caisse (rentabilité des mètres carrés oblige), l’utilisateur ne la définie pas de manière aussi restrictive. Une expérience retail positive c’est :

· quelque chose dont on se souvient : pouvoir essayer un canoe cayak en plein magasin parce que ce dernier a installé une piscine temporaire avec courant artificiel peut en effet marquer une expérience en magasin mais ne garantie pas l’achat de ce produit ensuite. Un magasin n’est pas Space Mountain (demandez-vous si cela sert les objectifs de vente du magasin).

· aussi un moment où on n’a pas vu le temps passer. Ainsi ajouter un écran dans les boutiques d’essayage et un bouton permettant de demander à un vendeur de se faire apporter les vêtements qu’on souhaite essayer peut être vécu positivement par le consommateur à tel point qu’il y passera 45 mn. Mais cela aura pour effet pervers une monopolisation des cabines et une réduction du nombre de clients pouvant les utiliser dans une même journée : d’un côté un potentiel achat additionnel et de l’autre des abandons de panier. Une bonne expérience shopping mais mauvaise au niveau de l’achat. Notons tout de même que si 80% d’une expérience dans votre magasin se passe dans vos cabines, pensez simplement à dimensionner autrement votre magasin (en doublant la surface accordée à celles-là par exemple).

Oui il y a un piano à queue au Square

L’autre partie prenante qu’il faut avoir en tête : le vendeur

Immanquablement quand on parle retail, on aborde très rapidement le rôle du vendeur. Il est bon de rappeler que ce qui motive le consommateur à sortir de chez lui pour braver le froid et la foule dans des magasins alors qu’il pourrait rester bien au chaud derrière son écran à commander ses cadeaux de Noël par Internet. Il s’agit bien d’un besoin de service supplémentaire que seul un être humain pourra lui apporter, une interaction et du conseil. Par ailleurs, plus il y aura de technologie en magasin, plus vous aurez besoin d’un accompagnement humain.

D’un autre côté, on se rend compte que le vendeur en sait moins sur le consommateur que le site web de la marque et qu’il n’est au final pas suffisamment équipé face à un consommateur qui en sait parfois plus que lui et qui n’imagine pas que le point de vente physique ne sache pas rapidement retrouver les informations qu’il a déjà laissé sur le site web de la marque. Tout les points de contacts ne sont pour lui qu’une seule entité (le très souvent entendu “vous vous parlez pas entre vous?”).

C’est un constat partagé chez Renault qui avoue que ses vendeurs de véhicule souffrent de certaines lacunes sur ce point là et ne sont pas toujours sensibilisés au digital (parce que leurs pratiques personnelles ne les prédisposent pas nécessairement non plus. Disons le, il ne s’agit pas d’un manque de compétences professionnelles mais d’un constat sur des usages privés). Dimitri Achache Bonifacio nuançait que les vendeurs de véhicules d’occasion sont davantage sensibilisés au web car c’est un canal important de leads pour eux. Ils l’ont donc déjà intégré dans leurs pratiques professionnelles. Alors que les vendeurs du neuf y sont moins familiers.

Attention tout de même à ne pas faire du push intrusif voire flippant en noyant le consommateur sous ses propres données pour lui montrer qu’on le connait bien et qu’on saura lui faire vivre une expérience personnalisée (comme il en fantasme tant). Laissons au consommateur l’initiative de la demande, laissons le être un acteur de son expérience.

L’entreprise Retency nous a montré comment elle arrive à informer en temps réel les vendeurs qu’un rayon du magasin subit un flux inhabituel ou que des personnes y stagnent longuement. Là aussi cela demande à ce que les vendeurs soient équipés. Pas besoin d’équipement révolutionnaire : parfois une simple tablette ou un smartphone pouvant lui transmettre la bonne info au bon moment suffit.

Remettre à niveau les vendeurs signifie implicitement les former. C’est ce que compte faire Renault Retail Group qui a organisé prochainement un roadshow. Avec dans un premier temps, un objectif modeste d’explication et de démonstration.

L’humain au centre toute la journée

Le designer Christophe Rebours l’après-midi chez NextDoor à Issy les Moulineaux, ne disait pas autre chose : si vous ne pensez pas à créer une expérience positive pour toutes les parties prenantes dans l’utilisation de votre produits ou services, il y aura nécessairement une des parties qui le vivra mal et qui impactera négativement l’interaction qu’elle aura avec les autres parties. Auteur avec Inès Pauly du livre récemment sorti “L’expérience, le nouveau moteur de l’entreprise”, il nous expliquait justement que c’est un collectif de personnes qui est à l’origine de la création d’un service, d’un produit, d’une expérience. Si un élément fait défaut, l’expérience ne répondra pas à une attente, voire pourra éventuellement créer de nouveaux pain points.

Et de citer l’exemple d’Uber. Le service pour les utilisateurs est très apprécié pour de multiples raisons (qualité de la relation avec le chauffeur à bord, propreté, réactivité, petite bouteille d’eau et bonbons, paiement via l’application, ne plus subir la qualité médiocre et aléatoire des taxis traditionnels). Cependant, pour que le service perdure à ce niveau, il faut que les chauffeurs se sentent bien et vivent une expérience positive avec Uber. Si ce n’est pas le cas, l’entreprise restera vulnérable et sans garantie de pérennité.

A mon tour, de cite un exemple qui démontre que l’expérience client n’est qu’une partie de l’expérience qu’une entreprise doit créer. En imaginant un service de paiement sans contact via le smartphone, une entreprise aura raison de valider son application auprès des consommateurs afin de savoir s’ils adopteront facilement ce mode de paiement et si aucun frein ergonomique gêne l’expérience. Cependant, elle ne devra pas s’arrêter là. Il serait en effet dangereux qu’elle ne sollicite pas l’avis des hôtesses de caisse qui seront en interaction directe avec les utilisateurs de cette nouvelle procédure et seront sûrement un élément facilitateur déterminant de l’appropriation par le grand public. Dans cet exemple, les deux parties prenantes jouent à part égale dans l’expérience à créer.

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Nabil THALMANN
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Cofounder of the userlab of @Intuiti. Head of Flupa - UX researcher, learning by watching