Mais pourquoi IBM rachète “trois hommes dans un garage” pour 34 mds US$ ?

Paul Richardet
PipoBingo
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4 min readNov 8, 2018

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Tout le monde connaît l’expression “trois hommes dans un garage”. Elle fait référence aux projets nés dans ces conditions et qui donnent lieu quelques années plus tard à un géant économique du numérique. Elle indique aussi une forme de mépris de la part des grosses industries ou des cadres dirigeants vis à vis des bidouilleurs ou des développeurs. Des bricolos !

IBM vient de racheter pour 34 milliards (une paille) la société Red Hat, spécialiste du logiciel libre et open source, notamment dans le domaine du cloud. C’est une des plus grosses opérations dans le secteur, intéressante à plus d’un titre :

  • tout d’abord IBM n’est pas la premier premier venu. Né en 1911, fabricant historique de machines à écrire, inventeur du PC (personal computer), défenseur du serveur centralisé, prestataire de services pour les méta-organisations. 150 mds de capitalisation, 400.000 salariés, CA de 80 mds. Du lourd, du très lourd. Un maître Jedi en somme.
  • Red Hat, Spécialiste du logiciel open source en entreprise, et maître du cloud. Léger, agile, libre. Né en 1993, 12.000 salariés, CA de 2,5 mds. Un poids léger. Le padawan.

David contre Goliath.

Ce qu’il faut bien voir, c’est que les actifs immatériels de Red Had qui justifient l’opération peuvent apparaître très faibles, compte tenu du caractère open source. Les logiciels et applications de Red Hat appartiennent en fait à tout le monde. Ils sont libres ! Chacun peut les télécharger et les utiliser librement (sous réserve de respecter les accords de licence…). Alors mais pourquoi donc IBM achète au prix fort ce qu’il pourrait très bien télécharger gratuitement ? C’est là la beauté et la force du système.

En dehors de la marque, de la réputation et des clients (ce qui n’est pas rien), IBM achète surtout un savoir faire, une connaissance, une vision, une pratique, des valeurs, un réseau, une gouvernance, un modèle libre et ouvert, participatif, interactif, adaptatif. Une forme d’intelligence en fait. Justement ce dont IBM a besoin, compte tenu du succès relatif de son programme d’IA Watson.

Surtout, cela caractérise la fin d’une époque, confirmée par l’achat par Microsoft de GitHub, et celui de MuleSoft par SalesForce.

J’avais pu dire, il y a quelques années, que “le libre open source a gagné, mais personne ne le sait”.

Le libre a gagné, car ce sont principalement ses logiciels qui font tourner l’internet, ses serveurs, ses réseaux. Sans ses applications, l’internet s’arrête tout simplement. Elles sont les garants du bon fonctionnement, de l’interaction, des standards, de l’interopérabilité. Faire parler et travailler les gens ensemble justifie des règles communes. Alors que les logiciels propriétaires restent dans des territoires clos, verrouillés, fermés, le libre et l’open source sont par définition ouverts. Et cette apparente faiblesse est en fait une force. une utilité fondamentale.

Le libre a gagné parce que, à travers ses licences, valeurs et règles de gouvernance, il organise le travail, la contribution entre l’ensemble des développeurs, la correction des bugs, l’évolution de la road map, l’interaction avec les clients. C’est aussi d’une certaine manière un fonctionnement RH, si l’on peut dire. Une forme de management ouvert. Agile.

Le libre a gagné car, dans un monde ouvert et compétitif, sans les avantages de la barrière à l’entrée, il est obligé de développer des pratiques d’adaptation, d’interaction et de créativité pour rester dans la course. Le libre est par essence innovant, sous peine de mort. Ce qui est loin d’être le cas de ses concurrents propriétaires qui finissent souvent par s’endormir sur leurs lauriers et la rente de la “taxe” d’utilisation.

Finalement, le libre a gagné en tant que modèle social, économique voir politique. En apprenant à gérer une communauté, les pratiquants finissent par développer un réseau, un écosystème, une philosophie qui permet de “fonctionner” ensemble, efficacement.

Maintenant que les choses sont claires, on peut se demander quel rôle la France peut jouer dans cette partie. Notre pays a de très bons développeurs, notamment dans le domaine open source. Pour preuve Talend et Docker, spécialistes du cloud, parmi d’autres.

Alors que Google a su prouver avec Android, à base de Linux, qu’il était possible de développer un large écosystème innovant à base de logiciel open source, les industriels de notre pays vont-ils prendre le train en marche et utiliser le libre pour ce qu’il est, soit un outil global et une vision favorables au développement économique ?

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Paul Richardet
PipoBingo

Iconoclaste, original, décalé, sensitif, fervent, entremetteur, fraternel, irruptif, boréal, perceptible, humain, trop humain...