Facebook : nous ne devons pas laisser Mark Zuckerberg créer sa propre justice privée
Alors que les algorithmes créent leur propre réalité — avec les conséquences que nous connaissons sur la démocratie — Mark Zuckerberg a mis en place fin 2020 sa propre cour suprême. Ce conseil de surveillance — qui exerce aussi en France — aura pour but de statuer sur le retrait ou non des contenus les plus contestés et qui sont sources de débats conflictuels. Une vingtaine de personnalités y siège désormais, en attendant d’en recruter vingt autres. Parmi eux, des juristes et des spécialistes du droit, des journalistes, des membres de milieux associatifs ou d’anciens responsables publics. Une des membres de ce conseil est française. Il s’agit de Julie Owono, directrice de l’ONG Internet Sans Frontières.
Demain, la fin de la justice ?
Cette nouvelle cour suprême a pour but également de soumettre en urgence à l’étude de ses membres des cas litigieux ou qui font l’objet de vives polémiques ou médiatiques. C’est pourquoi le réseau social lui a demandé, le 21 janvier dernier, de se prononcer sur la suspension temporaire du compte de Donald Trump pour au moins deux semaines. Une durée qui pourra être prolongée ensuite pour une durée indéfinie. Pour prendre sa décision, le conseil va réunir cinq de ses membres, dont au minimum un Américain.
A la différence de Twitter qui a purement et simplement supprimer le compte de l’ancien président, la stratégie de Facebook consiste plutôt à transférer la responsabilité des décisions concernant la modération des contenus à une entité de droit privé, ce qui interroge sur les conséquences à long terme d’une telle décision.
Tout d’abord, la décision de Mark Zuckerberg met en partie fin au droit des peuples à organiser eux-mêmes la justice, un des principes fondamentaux de nos démocraties. Il concourt également à limiter l’influence de l’ensemble des institutions judiciaire qui organisent et qui structurent la vie en société, comme la police ou encore les tribunaux.
Sur le site internet du conseil de surveillance, il est précisé : “le conseil utilise son jugement indépendant pour faire valoir la liberté d’expression de chacun et garantir le respect de ce droit. Les décisions du conseil de confirmer ou d’infirmer les décisions relatives au contenu de Facebook auront force exécutoire, ce qui signifie que Facebook devra les mettre en œuvre, à moins que cela ne contrevienne à la loi”… Sauf qu’il n’existe pas spécifiquement de législation des réseaux sociaux, et que nous connaissons leur aversion pour toute forme de régulation nationale ou internationale ; celles-ci ayant été opportunément remplacées par des règles et un fonctionnement qui leur sont propres. Il est d’ailleurs précisé sur leur site internet que le conseil “(…) déterminera si les décisions ont été prises conformément aux valeurs et aux règles de Facebook”.
De quelles valeurs parle-t-on ? De quelles règles exactement ? N’est-ce pas aux états d’organiser au travers de leur justice les réponses appropriées aux contentieux déclenchés sur les réseaux sociaux ?
Pour le cas de Donald Trump, ce sont donc cinq personnes qui vont déterminer — en dehors de tout cadre légal — s’il pourra de nouveau s’exprimer ou non sur la plateforme aux 2,5 milliards d’utilisateurs à travers le monde.
Un conseil de surveillance pour tous les réseaux sociaux ?
Ce conseil de surveillance peut-il être étendu aux contenus des autres réseaux sociaux ? Autrement dit, Facebook peut-il, par exemple, proposer à Twitter de l’utiliser pour régler les litiges et les scandales liés à son utilisation ? Rien ne l’interdit… C’est d’ailleurs ce que laisse présager Thomas Hughes, qui dirige la structure qui finance la cour et assure son support logistique, dans un article du journal Le Monde.
Nous assisterions alors à la naissance d’une cour suprême mondialisée et spécialisée dans la modération et les litiges liés aux contenus des réseaux sociaux. Elle agirait de façon totalement indépendante des différents systèmes judiciaires, tout en permettant à ces réseaux sociaux de ne pas assumer la responsabilité des décisions prises.
Cette idée devrait en séduire plus d’un…