La Chine a-t-elle atteint la suprématie quantique ?

L'Equipe du futur
L’Observatoire du futur
5 min readDec 5, 2020

C’est ce qu’a affirmé cette semaine une équipe de chercheurs chinois dans un article paru dans Science Magazine et relayé par Wired. Cette percée significative — les résultats présentés sont très impressionnants — fait de la Chine le nouveau leader dans la recherche informatique du prochain siècle, devant les puissants GAFAM, mais aussi l’Europe. Mais qu’est-ce que la suprématie quantique ? Pourquoi des pays comme les Etats-Unis et la Chine se sont-ils lancés dans cette course effrénée ?

La suprématie quantique, c’est quoi ?

Dans le film « Captain Marvel », le peuple Kree est gouverné par une intelligence suprême qui apparaît sous une forme différente à chacun de ses habitants. Cette « personne » n’est rien d’autre qu’une simulation créée par une intelligence artificielle qui a atteint un tel niveau de connaissance que le peuple Kree lui a entièrement confié les choix liés à sa destinée. Ce scénario de science-fiction n’en est plus vraiment un pour de nombreux spécialistes de l’intelligence artificielle depuis que Google a annoncé, l’an dernier, avoir atteint la suprématie quantique. Mais le géant de la Tech américaine doit désormais faire face à un concurrent sérieux, la Chine, qui a annoncé cette semaine des résultats encore plus impressionants.

Pour nous être supérieure, l’intelligence artificielle devra tout d’abord pouvoir traiter beaucoup de données en un temps record, à l’image de notre cerveau qui dispose d’une puissance de calcul de 1 zettaflop, ce qui lui permet de réaliser plus de 1000 milliards de milliards d’opérations par seconde. Dans un ordinateur, le processeur est la pièce équivalente à notre cerveau. C’est lui qui effectue tous les calculs. Pour y arriver, il travaille sur les données stockées en mémoire, et tout ce que l’on voit à l’écran, sur le réseau ou sur le disque dur constitue le résultat de ces travaux.

Sundar Pichai, PDG de Google, pose à côté d’un de ses ordinateurs quantiques

Jusqu’à très récemment, les ordinateurs savaient traiter beaucoup de données mais pas suffisamment pour rivaliser avec notre cerveau. Pour obtenir une puissance de calcul inégalé, certaines entreprises comme Google, Intel, Microsoft, mais aussi certains états comme la Chine, se sont alors tournés vers les supercalculateurs. En 2015, le plus puissant d’entre eux, « Tiahne-2a », d’origine chinoise, disposait de 260 000 processeurs et pouvait traiter 33 millions de milliards d’opérations par seconde. Impressionnante, cette performance n’en est pas moins décevante par rapport aux capacités de notre cerveau. En effet, comparés aux capacités humaines concentrées dans un organe d’à peine deux kilos, celles de « Tiahne-2a » sont 30 000 fois moins importantes, alors que la taille d’un supercalculateur peut atteindre celle de deux terrains de tennis, sans compter les dizaines de kilomètres de câbles en fibre optique qui le parcourent !

Pour beaucoup d’ingénieurs et d’informaticiens, l’avenir est désormais aux ordinateurs qui utilisent les propriétés quantiques de la matière pour repousser encore plus leurs capacités d’analyse et de traitement.

La recherche en informatique quantique est apparue dans les années 1980. Elle repose sur l’un des principes de la physique quantique appelé superposition. Selon cette mécanique, un objet peut avoir deux états en même temps. Ainsi, une pièce de monnaie peut être à la fois pile et face, alors que dans le monde « classique », elle ne peut être que l’un ou l’autre à la fois. Cet ordinateur sera capable de réaliser des opérations sans équivalent et de faire plusieurs calculs à la fois, contrairement aux ordinateurs actuels, aussi rapides soient-ils.

C’est cette suprématie quantique que Google prétend avoir atteint l’an dernier en réussissant une opération en seulement 200 secondes alors qu’un supercalculateur aurait mis 10 000 ans pour arriver au même résultat ! Et c’est ce qu’affirme aussi avoir atteint la Chine avec son proto­type d’or­di­na­teur quan­tique, appelé « Jiuz­hang », qui a résolu des calculs infi­ni­ment plus complexes en 3 minutes, alors que le plus puis­sant des super­cal­cu­la­teurs du monde aurait mis deux milliards d’an­nées à résoudre ! L’uni­ver­sité de sciences et tech­no­lo­gies de Chine, située à Hefei et à l’origine de ce résultat, a utilisé une méthode différente de celle de Google en mani­pu­lant directement des photons, soit des parti­cules de lumière !

Une course folle à la révolution quantique

L’algorithme quantique le plus prometteur est celui découvert en 1994 par Peter Shor, chercheur en mathématiques appliquées du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui lui a donné son nom. Son algorithme est capable de factoriser aussi vite que de multiplier, alors que dans un calcul classique, il y a une différence de temps de résolution entre deux opérations. Son utilisation par un ordinateur quantique pourrait craquer les clés utilisées pour les transactions bancaires… Mais aussi ceux mis en place par les pays qui disposent de la bombe nucléaire !

Grâce à l’évolution quantique et la possible explosion de la puissance de calcul des ordinateurs, l’intelligence artificielle pourrait faire un énorme bond en avant dans sa rapidité de réaction, ainsi que dans le nombre de connaissances que l’on pourrait lui inculquer.

Les futurs ordinateurs quantiques pourraient révolutionner de nombreux secteurs industriels en permettant de passer d’une intelligence artificielle “faible” (celle que nous connaissons actuellement) à une intelligence artificielle forte. Les premiers secteurs qui pourront bénéficier d’une mutation sont déjà connus : la santé, la chimie, l’industrie, la sécurité informatique, les voitures autonomes, l’énergie, ou encore les transports et la gestion du trafic. Les promesses semblent illimités — au point que l’on parle d’une révolution quantique.

En septembre 2017, lors d’une conférence sur les nouvelles technologies donnée, Vladimir Poutine annonçait déjà ce qui nous attend : “l’intelligence artificielle représente l’avenir non seulement de la Russie, mais de toute l’humanité. Elle amène des opportunités colossales et des menaces imprévisibles aujourd’hui. Celui qui deviendra le leader dans ce domaine sera le maître du monde. Et il est fortement indésirable que quelqu’un obtienne un monopole dans ce domaine”.

--

--