Slow démocratie : et si David Djaïz se trompait ?

L'Equipe du futur
L’Observatoire du futur
4 min readFeb 6, 2021

Nous avons décidé d’écrire la critique de son essai Slow démocratie* après une récente et nouvelle lecture, à la faveur de la crise sanitaire que sévit à travers le monde et du couvre-feu, alors qu’une première lecture l’an dernier nous avait plutôt séduit.

La première partie de son livre vise juste, surtout quand il explique comment le néolibéralisme — véritable bras armé du capitaliste — a remis en cause de façon presque chirurgicale tous les acquis des trente glorieuses alors que la mondialisation s’accélérait. Une remise en cause systématique qui continue encore à l’heure actuelle et qui profite à quelques-uns. Année après année, les inégalités se sont creusées, certains territoires comme les villes se sont enrichis alors que les campagnes se sont appauvries. Au final, les démocraties ont été fragilisées, sans qu’aucun mouvement social de masse ou syndicat d’envergure ne réussisse à renverser la vapeur.

Tout cela est vrai.

Mais là où David Djaïz se trompe selon nous c’est sur le remède. Dans son essai, il développe un concept politique, la « slow démocratie », qui prône le retour à la nation pour retrouver de nouvelles marges de manœuvre et d’action et à un ralentissement global. Dans une interview pour France 3 Nouvelle Aquitaine, il précisait ainsi : « slow démocratie c’est une proposition politique pour ralentir le rythme de la mondialisation », tout en regrettant que “seule l’extrême-droite s’empare du thème de la nation pour en parler sur un mode identitaire, village gaulois qui n’a rien à voir avec ce qu’est la nation démocratique. »

Effectivement, la gauche — sans doute plus encore que la droite — a abandonné au fur et à mesure de ses expériences gouvernementales depuis 1981 les symboles de la République, alors que l’extrême-droite s’en emparait. Je me rappelle qu’en 2007, Ségolène Royal avait choqué son camp et plus largement à gauche en voulant réhabiliter le drapeau tricolore dans ses meetings ! Ce symbole fort de la République n’a jamais appartenu exclusivement à l’extrême-droite, ni à la droite. Tout comme notre hymne national d’ailleurs !

Non, ce n’est pas le problème majeur de l’essai de David Djaïz.

Nos principales interrogations portent plutôt sur le retour souhaité à l’échelle de la nation et sur le rythme à adopter pour retrouver des résultats. Nous pensons qu’en tentant de réduire les vastes problèmes du monde à une sphère plus gérable, plus locale, on nie le caractère complexe et interconnecté du monde.

Est-ce qu’une nation seule, même avec l’appui de partenaires extérieurs ou au sein de l’Union européenne, peut combattre les ravages du néolibéralisme et la course folle à bien des égards de la mondialisation ? Toute résistance locale, à l’échelle d’une région ou d’un État par exemple, n’est-elle pas vaine ? Tous les exemples à travers le monde ont montré que ces actions sont presque systématiquement des échecs. Est-ce que le « small is beautiful » est une arme suffisante pour renverser la table ?

Quand nous parlons de résistance locale, nous pensons aux luttes écologiques qui n’ont pas permis de stopper les besoins d’expansion du capitaliste localement (bétonisation et artificialisation des sols, déforestation, pollution des rivières…), mais aussi à celles contre le réchauffement climatique et la Covid-19. On a bien vu que les réponses ne peuvent pas être que nationales puisque le monde entier est concerné. C’est d’ailleurs cette hyperconnexion et le travail de coopération au niveau international qui a permis de commencer à vacciner les populations un an seulement après l’apparition du virus… Alors que la France a été incapable de produire rapidement un vaccin contre le coronavirus ; l’Institut Pasteur ayant arrêté son principal projet de vaccin, jugé insuffisamment efficace.

Pour nous, le problème n’est pas la mondialisation mais son idéologie inégalitaire. Est-ce que le retour à la nation permet de remettre en cause le néolibéralisme ? Je n’en suis absolument pas certain. Pourtant, c’est sans doute une nécessité pour protéger les peuples.

Un autre point que nous souhaitons développer concerne l’état d’esprit qu’implique un retour à la nation. C’est pour nous un projet empreint de pessimisme car il suppose que nous serions incapables à l’avenir de mettre en place des changements sociaux et collectifs de grande ampleur. Ce serait pour nous un échec de l’humanité, la victoire d’une idéologie qui ne prône pas l’intérêt général et l’abandon d’un rapport de force salutaire. Nous pensons au contraire qu’il ne faut pas perdre notre capacité à penser le futur et à maîtriser notre récit commun sur le long terme.

Par exemple, les technologies de rupture qui sont souvent pointés du doigt — de plus en plus par une partie de la gauche d’ailleurs — sont parmi les seules à pouvoir répondre aux défis gigantesques que représente le réchauffement climatique. Si nous réorientions collectivement nos efforts vers le progrès, nous pourrions transformer nos sociétés pour leur permettre de résoudre les catastrophes qui s’annoncent.

Au lieu de ralentir, ne devrions-nous pas au contraire accélérer ? Retrouver le goût de l’anticipation et du futur ? Abandonner notre goût pour la nostalgie et ses puissants pouvoirs anesthésiants ? Et si, pour obtenir des résultats qui réduisent les inégalités et redonnent vraiment foi dans l’avenir, nous nous réapproprions l’outil de production capitaliste pour le mettre enfin au service de tous ? Après tout, la technologie et l’intelligence artificielle sont aussi une chance d’émancipation et de liberté.

N’est-ce pas Marx qui a vu le premier dans l’automatisation un moyen efficace de libérer les travailleurs de leur labeur aliénant ?

*Slow Démocratie — Allary Editions — 320 pages

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