Gabriel Plassat : Bouger, un phénomène culturel intégral

Ce texte est issu de discussions avec Georges Amar et Daniel Kaplan

Postulat : Nous ne traiterons pas ici des solutions car nous n’en n’avons pas et d’ailleurs nous n’en cherchons pas. Tant de “solutions” n’ont fait d’ailleurs que repousser ou aggraver les problèmes… et à entretenir le cadre conceptuel dominant.

La mobilité ce n’est pas le transport. Le transport se caractérise par des métriques comme la vitesse, la durée du trajet associés à des modes, etc. C’est important et cela fonctionne, peut être trop d’ailleurs puisque la situation actuelle n’est pas tenable et que les effets “rebonds” cannibalisent toute tentative de “résoudre les problèmes” dans ce cadre restreint. La mobilité se rapporte avant tout à notre corps et notre âme. C’est une propriété du vivant. Alors de quoi parle-t-on avec le terme mobilité ?

Notre culture occidentale distingue science et art, cerveau gauche et cerveau droit. Cela a permis de grandes avancées scientifiques. Mais cette scission nous amène à séparer, cloisonner, découper en domaine et sous-domaine les métiers, les formations et donc les esprits. Quand un problème apparaît nous cherchons d’abord à le traiter par les sciences et les techniques. En l’absence de résultat probant, la sociologie est appelée pour questionner l’humain qui “n’accepte” pas une technologie. Ce mot d’acceptabilité révèle à la fois cet écart qui se creuse et la primauté donnée à la technique. Les québecois ont inventé le terme PFH quand une technologie ne fonctionne pas « comme prévu »…

Pour combler cet écart, on en appelle alors à « développer les imaginaires » : Puisque nous restons avec des problèmes massifs de congestion, de pollution, d’emprise sur les territoires, puisque les techniques ne nous apportent finalement pas de “solutions”, tournons-nous désormais vers le cerveau droit. Mais il ne peut pas s’agir de confier aux seuls artistes le soin de produire ces « nouveaux imaginaires » : cela reviendrait à renforcer la distinction, à rigidifier encore plus cette séparation au lieu de créer des ponts.

Au contraire, ce qu’on peut chercher dans les imaginaires, c’est l’expérience intime de ce que signifie la mobilité pour chacun de nous ; la spéculation sans injonction immédiate d’opérationnalité, la possibilité de penser hors des paradigmes et des vocabulaires dominants, le lien entre nos expérience et nos aspirations, un espace où personne n’est plus expert que les autres et où les différences s’enrichissent mutuellement, le droit d’inventer de nouveaux mots pour parler du présent comme du futur… Bref, un détour, ou un contournement, pour penser la mobilité dans toute sa complexité, sans séparation ni cloisonnement, débarrassés de la nécessité de chercher des « solutions ».

Peut on déjà regarder aujourd’hui les corps en mouvement dans le monde, leur spécificité, leur similitude ? Nous sommes tous mobiles, chacun à sa manière. En avons-nous conscience ? Quelles sont les images qui vous viennent à l’esprit ? les sons, les sensations ou les odeurs ?

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Comme la mobilité, l’alimentation se manifeste comme un phénomène culturel intégral. Se nourrir touche tous nos sens, se rattache à notre histoire, à des territoires tout en étant mondial, s’accomplit tous les jours d’une multitude de façon. Penser l’alimentation oblige à avoir une approche globale. Nous sommes, surtout en France, éduqués sur l’alimentation par notre famille, nos proches, le regard des autres et cela tout au long de notre vie. A travers les pays, il existe une infinité de cuisines, de façons de se nourrir et d’excès ou de manques. Notre alimentation touche également notre santé, notre bien être et nos relations sociales.

Les similitudes et les points communs avec la mobilité apparaissent multiples et profonds. “Manger Bouger” n’est il pas devenu un slogan ?

Nous savons tous cuisiner quelque chose, nous avons tous des avis, des goûts. Les fast foods et la malbouffe reflètent plus qu’un certain rapport à la cuisine, ils traduisent des évolutions sociales, culturelles. Ils renvoient à nos limites et nos paradoxes. La junk food se répand en même temps que la sous-alimentation. Et si nos mobilités étaient actuellement aussi “en excès”, une forme de junk mobility, tout aussi pauvre d’un point de vue culturel ? Nous consommons des transports sans aucune pensée, nos expériences y sont d’ailleurs médiocres.

Changer de régime alimentaire passe par un cheminement intellectuel complexe. Il ne suffit pas d’avoir un apport correct en vitamines, en calories pour avoir une bonne alimentation. De même optimiser son temps de transport ou son budget est intéressant mais largement insuffisant pour s’engager dans des évolutions profondes qui vont toucher de nombreux aspects intimes de la personne. Puisque la mobilité peut être considérée comme un fait culturel intégral, il devient alors évident que changer de mobilité ne peut se faire sur la base de critère fonctionnel, rationnel, venant du transport.

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Prendre le temps de penser la mobilité dans toute sa complexité apparaît donc comme une évidence. Avec qui mener ces réflexions sans chercher de solutions ? Où pense t on la mobilité sans découper par domaine, sans à priori ? Notre galerie d’image 🙂

Nous nous engageons avec le Réseau Université de la Pluralité dans une exploration collective des futurs de la mobilité qui utilise les arts, la fiction, le design et les utopies comme matériau principal, mais dans le but de les croiser avec nos expériences et connaissances, de réunir « cerveau droit » et « cerveau gauche » : Moving on, Moving up, Moving around… (« Aller, Errer, Rester, Evoluer, Quitter… » )

Vous souhaitez contribuer à cette démarche ? Nous vous proposons de poursuivre en rédigeant à votre tour un article, en vous impliquant dans notre exploration ou en organisant un moment d’échanges. Une communauté se crée et vous y trouverez les informations pour les prochains ateliers sur ce sujet, un canal de discussion et des ressources identifiées.

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