Réunion de la section UMP de Chilly-Mazarin, le 19 janvier 2015

La science du storytelling au service du politique — ou l’art de persuader les foules.

Thomas Champion
6 min readMay 27, 2016

Petit rappel théorique à destination de tous les élus et de tous leurs opposants politique en vue de la prochaine échéance électorale.
D’après l’article de Franck Plasse paru dans Tank n°13 “Liberté sous influences”, été 2015.

Platon et Aristote discourant.

Même s’ils n’ont effectivement pas inventé la démocratie (dont les premières traces ont été trouvés en Inde… ;-P Arnaud), les Grecs antiques furent bien les premiers à la mettre en pratique.

Conséquence directe de l’application de cette “nouvelle” démocratie représentative et du développement des droits de libre expression et de libre réunion, la rhétorique (ou l’art de persuader) fut rapidement formalisée tant sur le plan pratique que sur le plan théorique, avec notamment la définition de la “trinité oratoire” :

  • Ethos (l’image) : donner une bonne image de soi pour rassurer ses interlocuteurs.
  • Pathos (le ton) : captiver son auditoire grâce à son charme et son sens de la séduction.
  • Logos (les thèmes) : convaincre par la logique des arguments.

Ces éléments forment ce que l’on appelle aujourd’hui le “mix marketing politique” qui tente d’articuler ces 3 piliers au service du récit politique ou storytelling.

Ethos (l’image)

Point de départ du storytelling : la définition du “personnage public” a partir des archétypes culturels présents dans notre culture littéraire, cinématographique ou télévisuelle. Ces typologies orientent inconsciemment la façon dont l’électeur perçoit le politique.

Quelques exemples d’archétypes identifiés par Franck Plasse. Une liste plus complète et mieux illustrée est disponible sur son site :

  • L’homme normal / François Hollande
    Positionnement : humble, au service du collectif . Dans la fiction : Bilbo (Le seigneur des Anneaux)
  • Le bienfaiteur / Christiane Taubira
    Positionnement : bienveillant, altruiste . Dans la fiction : Docteur Ross (Urgence)
  • Le gouverneur / Manuel Valls
    Positionnement : puissant, charismatique. Dans la fiction : Tywin Lannister (Game of Thrones)
  • Le fou / Nadine Morano
    Positionnement : franc-tireur, décalé. Dans la fiction : Le mentaliste
  • Le sage / Jean-Pierre Raffarin
    Positionnement : cultivé, calme. Dans la fiction : Obi-Wan Kenobi (Star Wars)
  • Le héros / Nicolas Sarkozy
    Positionnement : audacieux, conquérant. Dans la fiction : Superman

Pathos (le ton)

En déterminant une ambiance, un climat narratif, l’orateur cherche à déclencher un autre domaine d’influence au niveau affectif. Pour cela, la méthode la plus pertinente et qui apparaît la plus naturelle auprès des interlocuteurs est l’approche conversationnelle.

Dans le domaine des relations B2C (business to customers, des entreprises aux consommateurs en français), les chercheurs Boris Groysberg (professeur à Harvard) et Michael Sling (consultant) ont pu déterminer quatre paramètres conversationnels à mettre en œuvre par une marque pour séduire ces consommateurs : “les quatre i”.

Voici comment s’appliquent ces règles au niveau de la communication politique :

  • Intimité : créer une relation de proximité et de confiance à partir de l’écoute et d’une expression personnelle.
    En jouant de l’accordéon à la télévision, en s’invitant à dîner chez les Français ou en associant son épouse à ses vœux présidentiels, Valéry Giscard d’Estaing fut le premier politique à avoir recourt à ce levier.
  • Interactivité : échanger et construire grâce à un dialogue continu avec les électeurs.
    En 2007, Ségolène Royal fonda sa campagne présidentielle sur ce principe.
  • Inclusion : offrir aux interlocuteurs la possibilité de s’emparer des messages, pour les enrichir de leurs propres points de vue et/ou en devenir les ambassadeurs.
    La mobilisation populaire construite via les réseaux sociaux lors de la première candidature de Barack Obama est la parfaite illustration de ce procédé.
  • Intention : clarifier la direction proposée, les étapes à venir, les objectifs à atteindre.

Logos (les thèmes)

Comme l’intention, les thèmes relèvent du domaine de l’argumentation rationnelle et objective, cependant c’est la qualité de la formulation de ces arguments qui décuple leur véritable potentiel de persuasion, avec notamment un travail sur les éléments de language.

L’objectif étant de conférer aux phrases chocs et aux slogans un sens plus évocateur grâce à la sémantique.

Ainsi, ce n’est pas par hasard, si “la France Forte” de Nicolas Sarkozy, avec ses allitération en “F”, et “le changement c’est maintenant” de François Hollande, avec sa rime en “-an”, représentaient les univers portés par les deux candidats : conservateur pour le premier, progressiste pour le second.

Psychologie cognitive

Mariant psychologie et sociologie, la psychologie cognitive, discipline qui s’est beaucoup développée depuis la seconde guerre mondiale, étudie l’impact des autres sur les attitudes et le comportement d’un individu.

Surnommée “petit coup de pouce décisif qui permet de faire pencher la balance du bon côté” ou “méthode douce pour inspirer la bonne décision”, cette méthode est dorénavant largement incorporée aux plans de communication des marques mais également aux “mix marketing politique”.
En 2014, le gouvernement d’Angela Merkel créa un groupe-projet nommé “Gouverner efficacement” et embaucha trois spécialistes de la psychologie cognitive.

La meilleure synthèse opérationnelle de cette discipline revient à Robert Cialdini (professeur à l’Université de l’Arizona) qui condensa les principes de cette psychologie sociale en 6 leviers d’influence :

  • La réciprocité
    Nous nous sentons obligés de rendre les services qui nous ont été rendus.
    L’application : donnez ce que vous voulez recevoir.
  • L’autorité
    Nous attendons des spécialistes qu’ils nous disent quoi faire.
    L’application : montrez votre expertise, ne supposez pas que votre propos est évident par lui-même.
  • La sympathie
    Plus nous apprécions les gens, plus nous sommes enclins à leur dire oui.
    L’application : mettez au jour les similitudes réelles avec les autres et délivrez des appréciations authentiques.
  • La rareté
    Plus une ressource est rare, plus nous la désirons.
    L’application : mettez en avant des avantages uniques et des informations exclusives.
  • L’exemple des autres
    Un individu ne sachant quoi faire ou quoi penser, aura tendance à adopter le comportement ou le point de vue d’autres personnes.
    L’application : utilisez la puissance de la recommandation par les pairs chaque fois que celle-ci est disponible.
  • La cohérence dans l’engagement
    Nous voulons que notre conduite soit cohérente vis-à-vis de nos valeurs.
    L’application : faites prendre des engagements clairs, publics et volontaires.
Gustave Le Bon

Cependant, même si elle se révèle efficace, l’influence du storytelling n’est heureusement pas durable. Et les promesses non concrétisées d’un storytelling opportuniste sont finalement rarement oubliés.

Gustave le Bon, spécialiste de la psychologie des foules, l’évoquait dès 1911 dans son ouvrage Les Opinions et les croyances, dans leque il évoquait une influence “si puissante qu’elle nous oblige parfois à admirer des choses sans intérêt et qui sembleront même quelques années plus tard d’une extrême laideur.

Politizr est une plate-forme indépendante et neutre de discussions entre les citoyens et leurs élus.

Venez lire, proposer et noter des débats sur tous les sujets et suivez l’actualité de vos élus en vous inscrivant sur politizr.com.

Politizr, changerez-vous d’opinion?

--

--