Mobilisation 2.0: vers un printemps démocratique?

Lionel Bouzonville
6 min readMar 18, 2016

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Un manifestant portant un masque anonymous en novembre à Paris • Crédits : REUTERS/Benoit Tessier — Reuters

“Manifeste pour un Printemps républicain”, tel est le nom de la dernière mobilisation en ligne initiée par des journalistes, politiques, universitaires et autres citoyens anonymes. Pour l’occasion, France Culture posait à ses invités des questions sur ce que change internet à la contestation et comment la politique y répond.

Intervenants:

  • Iannis Roder: Professeur d’histoire-géographie dans un collège de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
  • Yael Mellul: Présidente de l’association Femme et libre
  • Loïc Blondiaux: Professeur à l’université de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), chercheur au Centre européen d’études sociologiques et de science politique de la Sorbonne (CESSP) et au Centre de recherches politiques de la Sorbonne (CRPS).

Cet article est un résumé des échanges ayant eu lieu entre les journalistes et les invités — principalement Loïc Blondiaux.

Les pétitions en ligne, nouvel outil de constation citoyenne

change.org afp.com/JOEL SAGET

Le principe des pétitions en ligne (Mesopinions.com, Change.org, Avaaz…) conduit à un abaissement du coût d’expression dans l’espace public pour les citoyens et les associations et conduit à une déstabilisation des représentants “traditionnels” (syndicats, partis politiques) qui se trouvent débordés.

Ces mouvements sont de fait portés par des organismes ou des personnalités non représentatives “traditionnels”, ce qui est une vraie nouveauté dans notre vie politique.

Mais le fait que signer une pétition en ligne soit plus simple que de mobiliser réellement signifie-t-il pour autant que cela est moins représentatif?

Il y a des cas de figure très différent suivant les sujets, mais il faut noter que la pétition contre la la Loi Travail de Myriam El Khomri a réuni 1,2M de signatures en un temps record, ce qui en fait un succès incontestable, dont le gouvernement a du tenir compte.

A l’opposé, on peut noter qu’une autre pétition à grand succès, contre la pêche en eau profonde, qui a réuni 900000 signatures, a subi un sort différent car elle n’a pas du tout réussi à faire changer la loi. Le gouvernement a ici été sensible aux arguments d’autres groupes de pression — les pêcheurs et les menaces de blocage de ports.

Les réseaux sociaux comme outil d’expression citoyenne

(c) lecubevert.fr

Toujours sur la Loi Travail de Myriam El Khomri, la stratégie de communication de réponse du gouvernement a été immédiatement disqualifiée par les réseaux sociaux et abandonnée en rase campagne dans la foulée.

Les réseaux sociaux sont devenus depuis quelque temps un nouvel indicateur de “l’opinion” — parmi les autres (sondage, groupes d’intérêt, collectif, etc.).

Certains mouvements issus des réseaux sociaux jouent sur les capacités expressives des citoyens, plus que sur leur nombre. Par exemple, le mouvement #OnVautMieuxQueCa a invité les internautes à témoigner de leurs expériences et de leurs conditions dans le monde du travail. Cela constitue une nouvelle forme de représentation, issue “d’en bas”, des émotions et opinions populaires.

Pour Loïc Blondiaux, c’est ce que Internet produit de meilleur et de plus inattendu.

Le Manifeste pour un Printemps républicain

Le manifeste républicain est composé d’un assemblage politique très hétéroclite. C’est un collectif hybride qui tente de fédérer des sensibilités politiques de gauche et de droite sensible à la question laïque.

Dans sa conception, il se situe à mi-chemin entre la politique classique et ce qu’Internet peut produire comme changement en mettant notamment des personnalités connues au même niveau que des citoyens “anonymes”.

Pour Yael Mellul, les réseaux sociaux sont “à la fois un lieu de haine et de violence absolue mais aussi un lieu de formidables rencontres pour fédérer des luttes communes”. L’objectif du manifeste est d’aller à la rencontre des citoyens et d’ouvrir le débat.

On est ici dans une des transformations qu’Internet fait subir à la démocratie en étant utilisé comme chambre d’écho au débat intellectuel et politique.

De nouveaux outils numériques au service de la démocratie?

(c) Politizr https://www.politizr.com

Jusqu’à présent, la discussion a surtout tourné autour d’outils utilisant Internet comme lieu d’interpellation des instances politiques traditionnelles. Mais depuis quelque temps, un certain nombre d’acteurs et de collectifs, de plus en plus nombreux, utilisent internet pour “hacker la démocratie” et transformer les liens de représentation en essayant de substituer aux institutions traditionnelles une forme de démocratie qui reposerait sur des plateformes numériques.

Citons les exemples de La Primaire qui essaie de faire émerger un candidat à la présidentielle issu de la société civile ou du mouvement Ma voix qui travaille à faire élire des “députés augmentés” qui s’engageraient à pratiquer le mandat impératif. Et en Islande, c’est le Parti Pirate qui est annoncé vainqueur des prochaines élections législatives!

Tous ces mouvements témoignent d’une forme de révolution silencieuse et d’une volonté de bousculer l’ordre politique, c’est un ferment d’innovation politique remarquable. Mais pour le moment, les élites politiques et intellectuelles ne les prennent pas au sérieux…

Selon Loïc Blondiaux, on ne mesure pas suffisamment ce qu’est l’allergie à la représentation d’une partie de la population et c’est cette partie qui s’exprime via les plateformes numériques.

Le journaliste et intellectuel Brice Couturier fait remarquer que ce type de notion conduit au populisme:

Ces mouvements discréditent nos élus mais n’y-a-t-il pas un risque de récupération par un apprenti dictateur qui ferait le lien entre lui et le peuple sans passer par les élus?

En réponse sont cités deux exemples très différents de mouvements issus d’Internet et ayant accédé, ou partiellement accédé, au pouvoir, avec Bepe Grillo en Italie et Podemos en Espagne

Plus généralement, on ne peut pas présumer politiquement de ce que ces outils donneront en terme de positionnement idéologique. En revanche, on peut reprocher la grande naïveté politique de ceux qui promeuvent ces outils, ces entrepreneurs de “civictech” ou de “startup démocratiques”, dans le sens où ils n’anticipent pas ce que pourraient être les risques d’une instrumentalisation par des démagogues de leurs outils.

Le fait que des élus soit contestés par ces outils ne pose-t-il pas un problème démocratique?

Il s’agit d’un conflit de légitimité extrêmement classique en démocratie: la démocratie est par définition une forme de conflit ininterrompu.

Au contraire, on peut noter quelques évolutions intéressantes ces derniers temps avec la loi sur le numérique qui s’est ouverte à la contribution. Le principe d’une “démocratie contributive” et d’un “gouvernement ouvert” renvoie à ce que pourrait être un processus de transformation de la décision aujourd’hui: il permettrait de “mélanger” les représentants et les représentés car aujourd’hui une partie de la société civile a réellement envie de contribuer de façon active, comme par exemple avec la plateforme Parlements&Citoyens.

Pour conclure, Loïc Blondiaux note qu’il n’y pas d’indifférence citoyenne à l’égard de la politique mais une indifférence et une saturation à l’égard de la vie politique traditionnelle. Les citoyens ont envie de faire de la politique, avec ou contre les institutions traditionnelles - do it yourself democracy!

Politizr est une plate-forme indépendante et neutre permettant aux élu-e-s de toute la France de débattre publiquement des sujets proposés par leurs concitoyens.

Politizr, changerez-vous d’opinion?

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