J’ai co-construit un tiers-lieu avec ses usagers. Voilà ce que j’en retiens
Co-construire avec les usagers… oui, mais pour de vrai ! Voici 4 enseignements que j’ai appris en co-créant La Ressourcerie Bordeaux avec 20 usagers 👨🔧
Si la co-conception (ou co-design) est un terme bien connu (en étant au coeur des méthodes UX design et design thinking), il est souvent utilisé à tort et à travers, brandi comme une incantation pour se proclamer “user-centric”, ou pire encore, comme une caution pour légitimer ses propres propositions en instrumentalisant l’utilisateur (“ce que je propose est bien car j’ai écouté l’utilisateur et c’est ce qu’il veut”).
Au-delà de l’effet de mode, de l’atelier post-it ou de l’incantation sans lendemain, c’est quoi, vraiment, co-construire avec les usagers ?
Au début de l’année, j’ai participé à la construction et au lancement de ☘ ️La Ressourcerie, un tiers-lieu d’innovation sociale imaginé avec le groupe Malakoff Médéric Humanis à Bordeaux. Un des éléments-clés du projet, c’est sans doute d’avoir profondément associé les usagers à la construction du concept et du lieu. Depuis les prémices du projet, les utilisateurs ont été placés au coeur du processus de conception pour créer une offre pertinente et à leur image.
Alors si vous aussi vous souhaitez construire avec et pour vos futurs utilisateurs, voici quelques apprentissages tirés de mon expérience de la Ressourcerie.
1. Co-construire, ça ne se décrète pas : il faut le vouloir (vraiment) !
Co-construire, ça va bien plus loin que de simplement “écouter” l’utilisateur. Et pour ce faire, il faut être profondément convaincu de l’apport des gens et de l’intelligence collective. Cela suppose donc une posture d’humilité : le concepteur n’est pas un sachant mais un facilitateur qui pratique un certain art de la maïeutique pour aider à faire accoucher des bonnes idées.
Co-construire implique d’accepter de lâcher les rennes de son projet et de s’ouvrir entièrement à l’autre. Et aussi d’accepter l’imprévu : on ne peut pas prévoir ce qu’il en sortira, le chemin n’est pas tracé à l’avance… il est porté par une vision mais évolue au gré des découvertes et c’est ça qui rend la co-construction particulièrement intéressante et excitante.
« C’est la première fois que je vois des animateurs qui laissent autant la parole aux participants »
— Magali, chargée de l’accompagnement social chez Malakoff Médéric Humanis
Dans le cas de la Ressourcerie, il était clair dès le début que le concept ne pourrait pas être construit en chambre, sans ses futurs bénéficiaires. Car le public des aidants familiaux est si particulier, si divers, si délicat aussi, qu’il aurait été illusoire d’être capable de leur proposer une offre pertinente. En vérité, c’était à eux d’inventer leurs propres réponses à leurs besoins.
Nous n’étions là que pour organiser et soutenir ce processus créatif. Nous animons et organisons les ateliers de création, mais nous adaptons toujours le programme pour laisser les participants s’exprimer au mieux.
Si vous n’êtes pas convaincus dès le départ que votre projet ne peut pas se construire sans les usagers, alors la co-construction ne sera probablement et malheureusement qu’un artifice.
2. La co-construction engage des gens dans la durée
Pour que les futurs usagers se sentent réellement acteurs, il faut les engager continuellement, certes pendant la construction du concept mais aussi pendant le projet une fois qu’il est lancé.
- En amont : définir ensemble les besoins auxquels on répond, les services que l’on propose, l’offre et la valeur du concept ; puis s’accorder sur une identité qui l’incarne.
Pour construire la Ressourcerie, nous avons réuni une vingtaine de personnes (invitées par Malakoff Médéric Humanis) pour des entretiens individuels et des ateliers de créativité. A travers des mises en situation, des mini-jeux et du matériel d’idéation (maquettes, cartes…), les questions suivantes ont été posées :
Si vous aviez une télécommande avec 3 boutons magiques qui vous permettraient de soulager votre quotidien… quels seraient ces 3 boutons ?
Quelles sont les personnes que vous trouvez dans la Ressourcerie idéale ?
Quelles sont les activités proposées dans la Ressourcerie idéale ?
Décrivez en 3 mots l’ambiance du lieu
Quels sont les services auxquels on a accès dans la Ressourcerie idéale ?
Ecrivez un article de Sud Ouest qui annonce l’ouverture de la Ressourcerie et décrit ce qu’est le lieu.
Ecrivez un message WhatsApp à un proche pour lui expliquer ce qu’est la Ressourcerie et l’inviter à passer.
Ecrivez le commentaire d’un utilisateur sur la page Google Maps de la Ressourcerie. Un commentaire 5/5, un commentaire 0/5 par exemple.
Ensuite, nous avons fait une formalisation de ces apports sous la forme d’une Experience Map, d’un Manifeste du projet et d’une identité visuelle. Ces éléments ont été retravaillés en groupe pour les adapter.
- Pendant le lancement : engager les co-concepteurs pour un lancement réussi.
Lors du lancement de la Ressourcerie, nous avons organisé une soirée d’inauguration en avant-première avec toutes les personnes ayant participé aux ateliers de co-construction, à la fois pour leur présenter le lieu et pour leur demander les ajustements à faire avant l’ouverture. Nous leur avons proposé d’amener un +1 pour faire connaître la Ressourcerie autour d’eux et certains sont repartis avec une pile de flyers pour les distribuer, devenant de véritables ambassadeurs du projet.
- Tout au long du projet : la co-construction ne s’arrête pas une fois que le projet prend vie. Au contraire, il faut organiser des échanges réguliers individuels ou en groupe pour améliorer le concept en temps réel et ne pas “abandonner” tous ceux qui y ont participé.
Depuis l’ouverture de la Ressourcerie, nous mobilisons tous les 15 jours les co-concepteurs autour d’un déjeuner convivial. L’occasion de faire le point sur le projet, d’apporter de nouvelles idées et d’itérer.
3. Co-construire implique de décrypter des attentes non-exprimées
Co-construire avec les usagers ne signifie pas que le concepteur est en retrait. Son expérience et sa vision sont essentielles pour opérer un travail de décryptage, d’identification des attentes tacites, des besoins non-exprimés ou des aspirations cachées.
Autrement dit, le concepteur a toute sa place dans l’exploration de l’autre face de l’iceberg, celle que les usagers ne révèlent pas spontanément.
« C’est exactement ce que j’imaginais ! »
— Christine, participante aux ateliers de co-construction, le jour de l’inauguration de la Ressourcerie
Un travail d’interprétation est nécessaire : il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre ce que dit l’usager. Lui aussi peut se tromper, parfois, il ne sait pas vraiment ce qu’il veut, ou n’arrive pas à se projeter suffisamment ; il peut arriver aussi qu’il affirme des choses qu’il ne fait pas vraiment en réalité. Tout l’enjeu réside dans la nécessité de garder une neutralité et de ne pas inconsciemment traduire la voix de l’usager avec ses propres idées.
Pour la Ressourcerie, je crois pouvoir dire que la co-création s’est faite à égalité entre les usagers et les concepteurs : la moitié du travail a été faite par les apports précieux des futurs usagers mais c’est bien les concepteurs qui les ont traduit en une proposition de valeur pertinente. Certains aspects du concept, comme la présence permanente — mais “désinstitutionnalisée” — d’un travailleur social, découlaient de notre interprétation des besoins et n’avaient pas été soulevés initialement par les usagers. C’est aujourd’hui un élément-clé (et particulièrement apprécié) du lieu.
4. Co-créer permet de créer une première communauté d’utilisateurs
Une démarche de co-construction permet aussi d’acquérir un public dès le lancement et d’élargir rapidement la cible avec une audience qualifiée.
Cela dit, il est important de garder en tête que les premiers co-concepteurs ne sont pas forcément les utilisateurs finaux. On pourrait penser que si ces personnes prennent bénévolement de leur temps pour construire “leur” lieu, c’est qu’ils veulent avant tout en profiter pour eux-mêmes, une fois qu’il sera lancé. Mais la posture du concepteur n’est pas forcément celle de l’usager : ceux qui ont conçu le lieu ne vont pas forcément y venir.
Sur la vingtaine de futurs usagers de la Ressourcerie mobilisés pour la co-construction, environ la moitié sont des visiteurs très réguliers du lieu aujourd’hui.
Les raisons à cela restent très subjectives. Chacun vit à sa manière le processus de co-construction, se sent plus ou moins impliqué, motivé ou intéressé. Certains, en se mettant dans une posture de concepteur, vont construire pour les autres et non pas pour eux, et ne vont donc pas se projeter comme des futurs utilisateurs.
S’engager dans une démarche de co-construction implique donc aussi d’accepter que certains n’iront pas jusqu’au bout. Ce n’est pas pour ça que leur avis est moins bon.
Conclusion — “Vous êtes ici chez vous”
C’est la dernière phrase du manifeste de la Ressourcerie, et c’est aussi un beau résumé d’une démarche de co-construction. Si les futurs usagers se sentent chez eux dans le concept que vous avez construit ensemble, alors vous avez réussi !
Merci à Catherine et Juliette d’avoir été convaincues depuis le début que la Ressourcerie ne pourrait se construire sans ses usagers. Et d‘avoir vaillamment partagé et ouvert aux autres leur idée !
En savoir plus sur La Ressourcerie : https://la-ressourcerie.com, le communiqué de presse de lancement et l’article de Grégoire
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