La (vraie) Génération Y arrive, et elle va réinventer le monde du travail

Thomas Papadopoulos
Possible Future
Published in
7 min readOct 12, 2017

Alors que syndicats et partis politiques de tous bords se déchirent à propos de la loi Travail, la disruption nous arrive des jeunes diplômés fraîchement débarqués sur le marché. Et non, il ne s’agit pas de cette « Gen Y » hippie et sans ambition qui n’a pas envie de travailler, au contraire : ces jeunes viennent pour en découdre, pour casser les codes et pour (re)construire. Attention, vous n’êtes pas prêts…

La « Gen-Y » est souvent présentée comme un ramassis de bons à rien. Grands rêveurs, incompris, révolutionnaires ou anarchistes, autant d’analyses qui alimentent les clichés et caricaturent souvent à l’excès l’ambition de ces jeunes, qui n’ont, pour l’instant, rien fait de plus que de signaler le fait de ne pas vouloir se faire exploiter par la Société en général et le monde de l’Entreprise en particulier. Et ces analyses — que l’on retrouve dans les dizaines de conférences taggées « génération Y » sur Youtube, ne sont pas forcément à côté de la plaque — mais cette image de grands enfants dans la lune est bien loin d’être une généralité. Parce que cette génération est loin d’être « perdue », et pour la fréquenter très directement depuis maintenant plus d’un an, je suis persuadé d’une chose : c’est elle qui va réinventer le monde du travail. Et elle prend sa mission très à cœur : celle de casser les modèles, de manière vertueuse, et surtout de construire un monde nouveau autour d’un nouveau concept d’entreprise.

Retour vers le futur

Retour au début de l’aventure French Bureau : lorsque nous avons commencé il y a un an, nous avions décidé de constituer une équipe capable d’interagir au plus haut niveau dans les grands groupes pour lesquels nous allions travailler : nous pensions qu’il nous fallait des « superstars » : très seniors, avec un maximum d’expérience.

Première désillusion : les personnes que nous avons rencontrées s’avéraient complètement dépassées. Des profils expérimentés… mais ennuyeux. Issus des meilleurs cabinets, des plus belles agences ou grandes entreprises du CAC40, mais sans réelle ambition, averses aux risques, à vouloir à tout prix protéger leur carrière… Ces derniers semblaient passer complètement à côté de notre projet : cette envie de créer un nouveau modèle d’entreprise, quelque chose qui n’existait pas encore sur le marché.

En parallèle, nous commencions à rencontrer des profils plus juniors. Jeunes diplômés ou disposant à peine de quelques années d’expérience : des « bébés ». Et là, surprise générale : nous avons eu accès à une génération complètement différente. Étrangement, alors que ces jeunes femmes et hommes sortaient des mêmes écoles que les plus anciens avec qui nous discutions, eux n’avaient pas du tout le même esprit, les mêmes ambitions. Il y a certes un effet générationnel qui permet d’expliquer cette situation : les jeunes d’aujourd’hui ne viennent plus du tout chercher la même aventure que leurs aînés. Mais il y a une autre réalité : ces « juniors » n’ont pas encore été impactés par le monde de l’entreprise.

L’effet « Gen Y »

Cet effet « Gen Y » dont on parle beaucoup dans les médias est erroné : l’image de ce jeune tout juste sorti de l’école mais qui ne veut pas s’engager, ne veut pas travailler plus de 35h par semaine au risque de déborder sur sa vie personnelle… De notre côté, nous avons au contraire eu affaire à de jeunes collaborateurs hyper motivés, portés par une vraie envie de changer le monde, de casser les règles et les codes préétablis, de réinventer les façons de travailler, de mettre en place un nouveau modèle. Des jeunes qui veulent prendre leur destin en main, qui veulent prendre leur place. Une vraie révélation ! Plutôt que de dépenser des milles et des cents pour recruter des profils expérimentés qui allaient nous coûter très cher, nous avons décidé d’investir tout notre budget sur ces jeunes talents. Pour en faire des super-héros, capables de voler au secours des grands groupes français sur le terrain de l’innovation.

Hyper-responsabilisation et transparence

Construire un modèle différent, responsabiliser au maximum ces jeunes collaborateurs, et leur demander de gérer le développement de la société avec un maximum d’efficacité : voilà la vision qui a uni nos 25 premiers collaborateurs. Il ne fallait pas se tromper ; French Bureau est fondé sur un modèle à la frontière entre cabinet de conseil en stratégie et startup-studio : des services facturés cher pour assurer un excellent niveau de rémunération et pouvoir investir sur le développement des collaborateurs, leurs projets internes et le lancement des startups imaginées avec nos clients « Corporate ».

Un modèle tout à fait cohérent avec les ambitions de ces millennials survoltés, curieux et dopés à l’hyper-responsabilisation. Auto-staffing, vacances illimitées : ils souhaitent tester tous les modèles. Ils savent aussi que la rentabilité de la société dépend de leur niveau d’implication et de l’excellence de leur production. Ils comprennent le lien direct qu’il y a entre leur implication et le résultat de la boîte, et ils vont de facto au bout de l’exercice et se prennent en main. Du coup, ça fuse d’idées, d’envies, ils veulent tout remettre en question, ils se benchmarkent en continu par rapport à ce qu’ils ont vu sur le marché, qu’ils ont vu exister depuis 20/30 ans, des modèles de cabinets de conseil, des modèles d’entreprises, des modèles d’agence, et ils sont là pour changer les règles.

Et ça va encore plus loin ! Ils prônent l’ultra-transparence. C’est par exemple de cette façon qu’est né notre playbook, dans lequel nos collaborateurs expliquent tout, à savoir comment fonctionne la société, ses secrets de fabrication… Et j’ai beau eu m’opposer à ça, ils ont un argument sans faille : si certains veulent nous copier, qu’ils le fassent ! De toute façon le meilleur capital, c’est le capital humain, et le meilleur capital humain il est chez nous, donc allez-y, faites-vous plaisir.

Briser les barrières…

Il y a, chez cette jeune génération, une volonté farouche de vouloir « casser les codes », de mettre à la poubelle ces règles qui ont régi pendant des dizaines et des dizaines d’années le monde du travail, et qui sont la cause d’un véritable décalage social entre ceux qui acceptent encore de se soumettre aux diktats des grandes entreprises, et ceux qui sont devenus les nouveaux « pirates ».

Complètement dépassés, ces codes ne sont pas nouveaux, tout le monde les connaît : quand vous arrivez dans ce type de structure en tant que junior, vous êtes écrasés par la hiérarchie, votre avis ne sert à rien — vous êtes clairement tout en bas de la chaîne alimentaire. On vous explique que sans expérience vous n’êtes rien, et que vous allez devoir travailler dur pendant trois, quatre, cinq ans avant de pouvoir accéder au stade du dessus, celui du sacro-saint “Manager”. Une fois que vous aurez atteint ce niveau, ce sera ensuite à vous d’écraser les nouveaux venus, et ainsi de suite…

Ce modèle-là, les nouveaux entrants dans le monde du travail n’en veulent plus et ils ont bien raison : quelle idée de vouloir garder ce qui n’a pas fonctionné dans tous ces grands groupes, qui ont créé des systèmes complètement monolithiques hyper pyramidaux où l’on écrase les gens ? Ce rejet me semble tout à fait logique, naturel même. Le résultat direct de ce management désastreux, c’est que les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus aller dans ces organisations, ils veulent être entrepreneurs, travailler dans une start-up, ou alors inventer de nouveaux modèles, ce qu’ils essayent de faire chez nous.

…et revisiter le mythe de « l’entrepreneur cool »

Mais le grand challenge de cette génération, c’est surtout de ne pas être sacrifiée sur l’autel de « l’entrepreneur cool », à travailler sans salaire pour sa start-up en enrichissant au passage ses VC et autres patrons d’incubateurs peu scrupuleux. Parce qu’on dit toujours qu’il faut de l’expérience, avant d’être payé correctement. Je n’en suis pas persuadé. Pourquoi faudrait-il de l’expérience à tout prix ? Comme si l’expérience faisait tout. Pourtant, il n’y a pas besoin d’attendre que les années fassent effet pour que les gens progressent. Ils progressent tout seuls, apprennent, s’entraident… Il faut surtout un bon encadrement et un maximum de responsabilités. Mark Zuckerberg a créé Facebook alors qu’il n’avait que 20 ans, et ça, ils l’ont bien intégré ! Ce qu’on appelle l’expérience, c’est — malheureusement — trop souvent une salle d’attente mise en place par des middle-managers médiocres.

Un épiphénomène ?

Contrairement à ce qu’affirment certains, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un épiphénomène. C’est une vraie tendance à laquelle nous assistons ici. Le gouvernement français est aujourd’hui en partie composé de trentenaires. On est en droit de penser qu’il s’agit d’une évolution des mentalités. Voire d’une révolution, même. C’est beaucoup plus que cette mode, le « c’est cool d’être entrepreneur », beaucoup plus profond. Cette nouvelle génération a envie de sens, elle a envie d’agir, de bouleverser les codes, parce qu’elle a vu ses parents, grands frères et grandes sœurs se faire écraser et être malheureux comme des pierres, elle a vu ses parents se faire virer à 45 ans et ne plus trouver de boulot, et puis essayer désespérément de commencer une carrière de freelance à 50 ans — n’est pas Jacques Attali qui veut…

Un nouvel espoir

Ce switch générationnel a 5 ans, grand maximum. Et ça se voit lorsque l’on analyse la popularité des majeures entrepreneurs et digital d’HEC, qui ont un succès incroyable, comparativement aux majeures historiques que sont la finance et l’audit. Plus qu’une fascination des jeunes pour la Silicon Valley — qui, certes, existe — c’est pour moi surtout la preuve d’une volonté de prendre son destin en main, d’essayer d’inventer un nouveau modèle, de jouer avec de nouvelles règles. Ces pionniers, qui ont compris que la valeur n’attend pas le nombre des années, remettent en cause le status quo — et ça nous fait du bien. C’est rassurant même. C’est un message d’espoir incroyable.

--

--