Les Ripeurs : ce que j’ai appris en lançant une startup avec un grand groupe

Ariane Dubedout
Possible Future
Published in
10 min readMay 14, 2018

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Chez French Bureau, nous venons de vivre un tournant important cette semaine : la première startup que nous avons créée, Les Ripeurs, vient de quitter nos locaux ! Avec 7 mois d’activité, une croissance (clairement) au rendez-vous, et une équipe de plus en plus nombreuse… le constat est sans appel : ça y est, pour Les Ripeurs, c’est le moment de quitter le nid.

Rétrospective sur l’aventure que nous vivons depuis 7 mois : la création d’une startup, main dans la main avec un grand groupe.

L’équipe des Ripeurs dans leurs nouveaux locaux :)

Flashback.

Nous sommes en 2016, et nous lançons French Bureau avec une mission qui nous fait rêver : inventer un nouveau modèle d’innovation. Quelque chose qui puisse combiner les méthodes des startups avec la force d’action des grands groupes. Chez les startups, nous apprécions et admirons la grande rapidité d’exécution, l’agilité et le fonctionnement “test & learn”, ainsi que l’audace. Mais nous voyons aussi les grandes forces que ce qu’on appelle parfois les “corporates” peuvent apporter : leur intime connaissance de leur marché et de ses rouages, leur capacité industrielle et leur force de frappe (en particulier grâce à des réseaux de distribution extrêmement développés) qui ferait rêver n’importe quelle startup. Nous nous donnons cette mission, qui nous anime toujours autant aujourd’hui : lancer, avec des grands groupes, des innovations ambitieuses qui ont le potentiel de bousculer des usages ou des marchés, et qui contribuent à un monde plus durable. En somme : créer une économie innovante et positive.se lance alors, nous sommes à ce moment là (à notre connaissance) le seul “corporate startup studio” en France… Et nous avons la chance d’obtenir la confiance de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France. Plus particulièrement, c’est La Plateforme du Bâtiment qui aura, la première, l’audace de se lancer dans l’aventure avec nous.

Je mène ce premier projet. L’équipe et moi passons alors au crible le secteur de la rénovation du bâtiment. Au bout de quelques mois d’immersion dans cet univers, nous avons imaginé un service. Nous l’avons conçu, nous avons évalué son potentiel, nous l’avons testé sur le terrain… Et là, nous avons compris que nous tenions vraiment quelque chose. Il a fallu prendre une décision : qu’est-ce qu’on en fait ?

On lance ! En septembre 2017, ce “quelque chose” est devenu Les Ripeurs, une startup créée par French Bureau en partenariat avec La Plateforme du Bâtiment. Un service d’évacuation de gravats de chantier, à la demande, en moins de 3h. (oui, le Uber du gravat, si vous voulez 😉)

Et, pour ma part, en contemplant tout ce qui s’est passé depuis cette date, je réalise tout ce que j’ai appris.

#1 — J’ai appris comment pallier l’effet d’inertie des grands groupes

Avec l’ensemble de l’équipe French Bureau mobilisée sur le projet, nous étions excités, presque survoltés, par la perspective que nous avions devant nous : inventer un nouveau service pour les professionnels du bâtiment. Passionnant, mais aussi un peu déstabilisant : constituer une offre de services.. c’est leur métier.. dans un coin de ma tête, je me demandais ce que nous allions bien pouvoir apporter qu’ils ne connaîtraient pas déjà.
Puis, au fil de nos échanges et nos interactions avec La Plateforme, j’ai compris que :

  • La vitesse d’exécution : nous étions libres de toute contrainte, en dehors de tout processus interne de contrôle, cela nous a permis d’aller (très) vite. Nous apportions une vitesse au projet qui a permis de rapidement convertir des insights marchés en solutions, que nous avons immédiatement concrétisé par des maquettes et confrontées à des clients potentiels. En moins de 4 mois, nous étions passé du brief initial à un business prêt à être lancé.
  • La liberté d’imaginer un service éloigné du “core business” : La Plateforme nous a fait confiance pour explorer toutes les pistes possibles, y compris (et surtout) celles qui sortent complètement du cadre habituelle. Pas de contrainte, pas de résultat pré-déterminé avant de se lancer. Nous avions 100% de liberté, et avec notre regard neuf (parfois candide) sur le marché, c’est ce qui a permis d’imaginer un service qui soit aussi éloigné de leur coeur de métier.

Il s’agissait pour nous de créer une dynamique unique avec un grand groupe. Pour La Plateforme, ce modèle permettait de s’affranchir de ses contraintes internes, tout en limitant au maximum le risque : un investissement maîtrisé, des tests conduits de façon anonyme, afin de protéger l’image de l’enseigne en cas d’échec du projet.

#2— J’ai appris qu’une jeune startup qui se lance est souvent naïve sur son marché

Je ne peux pas imaginer un monde où nous aurions compris le marché de la rénovation du bâtiment sans La Plateforme à nos côtés. Nous avons vécu plusieurs mois d’immersion intense, et pas uniquement sur Google ! Nous étions sur le terrain, dans les dépôts, sur les chantiers, avec des artisans du bâtiments et avec les pros de La Plateforme. Et clairement, c’est en combinant notre regard “neuf” avec l’expertise de La Plateforme que l’on a abouti à des insights marché aussi bien qualifiés. 20 ans de métier au contact proche des artisans du Bâtiment, ça ne se remplace pas... Et pour lancer un nouveau service, ca a été indispensable.

Le deuxième constat s’est imposé très rapidement après : la force du réseau de distribution de La Plateforme du Bâtiment est apparue absolument critique pour Les Ripeurs. Nous lançons un service pour les pros du bâtiment, et nous savons que le principal obstacle à franchir, ce sera l’acquisition. Impossible de nous faire connaître auprès des pros du bâtiment avec les techniques “web classiques” de Facebook Ads ou Google Adwords. Il faut trouver un autre moyen de promouvoir ce service auprès des artisans, et là encore, le partenariat avec La Plateforme du Bâtiment s’est avéré crucial. Sans les journées de distribution de flyers en magasin, et sans l’appui des forces de vente de La Plateforme, nous n’aurions eu aucune chance.

#3 — J’ai appris qu’à un moment, il faut arrêter de réfléchir

Cela paraît évident, mais mérite quand même d’être dit, parce qu’on l’a tellement vu en créant Les Ripeurs : il y a tellement de valeur et de richesse dans le fait de tester son concept en continu. Nous testons, testons, testons nos idées et nos concepts. En dessinant, en maquettant, en confrontant nos idées à des utilisateurs potentiels, en simulant une nouvelle fonctionnalité. C’est ce qui nous permet d’évaluer la pertinence de nos idées le plus rapidement. Chez French Bureau, c’est notre principal conseil pour tous les entrepreneurs en herbe qui ont une idée de startup à lancer : si vous tournez en rond, c’est qu’il faut arrêter de réfléchir. Prototypez votre idée le plus vite possible, et allez mettre ça dans les mains de vos utilisateurs.

C’est comme ça que nous avons sorti notre première version d’application en à peine un mois, et que nous avons lancé officiellement le service sans avoir encore ni camion, ni vraiment d’employés, ni de support, ni aucune certitude sur la justesse de nos prix.

Et heureusement que l’on n’a pas attendu : les feedbacks terrain que l’on a récolté dans nos premières commandes ont été mille fois plus précieux que toutes les études concurrentielles et analyses de prix que nous aurions pu réaliser dans le même délai.

25 sacs de gravats à évacuer d’un restaurant en travaux ? Meilleure occasion de recueillir des retours clients ;)

#4 — J’ai appris que, non, ça ne devient jamais “enfin facile”

Lancer une startup, ce n’est déjà pas facile… Mais au moins, le terrain est à peu près connu : d’autres sont passés par là avant, et les témoignages, conseils sont légions sur les réseaux sociaux. Mais, lancer une startup avec un grand groupe… Disons qu’on a essuyé quelques plâtres. C’est aussi la beauté de cette expérience : faire la preuve d’un nouveau modèle d’entrepreneuriat possible.

Alors on s’est pris quelques murs. On a galéré, plusieurs fois. Comment construire la juste table de capitalisation ? Comment trouver un juste degré d’indépendance, tout en sachant que notre image et nos actions impliquent directement une autre entreprise derrière elles ? Comment ajuster nos plans de communication, entre startup et grande entreprise ? Comment travailler ensemble dans un rythme qui nous convient à tous ?

Sans compter les “galères” et imprévus que l’on vit en tant que startup. Une tentative de fraude d’un client. Une grosse galère en opération sur le terrain. 3 camions qui tombent en panne simultanément. Les premiers gros défauts de paiement. Une application qui crashe pendant le weekend, en plein pendant une démo super-importante, et personne qui ne comprend pourquoi. Des exemples comme ça, en 7 mois, on en a déjà à la pelle. Et à chaque fois, on espérait que “ça devienne plus facile après”. J’ai compris que ça n’allait pas arriver 😅.

Mais en faisant bien les choses, en gérant chaque problème l’un après l’autre et en savourant chaque victoire l’une après l’autre… aujourd’hui, le chiffre d’affaire est là, les opérations sont solides, la croissance est au rendez-vous, et les équipes sont hyper motivées. Et le plus beau du plus beau ? Les clients nous rappellent. ❤

Pluie, vent, neige,… même pas peur ! 💪

#5 — J’ai appris les valeurs auxquelles je tiens, par le genre d’entreprise que je veux créer

J’ai compris que le plus important pour moi, avant le “potentiel business” d’une idée, c’était sa mission. En l’occurrence, pour Les Ripeurs, ce qui m’a le plus séduite, c’est la perspective de proposer (enfin) une solution en mesure de réduire l’impact environnemental du Bâtiment, le secteur qui génère de loin le plus de déchets en France. (70% des déchets parisiens proviennent du Bâtiment !). Et oui, de façon rentable. Pour une mission comme ça, ça vaut le coup de se battre !

Mais ça ne s’arrête pas là : avec l’ensemble de l’équipe French Bureau, on partage quelque chose : nous voulions tous créer une entreprise vertueuse, dont on soit fiers. La “mission” de la boîte, ce n’est pas tout ; on a vite été confrontés à d’autres questions qui nous ont demandé de nous positionner éthiquement.

Par exemple : est ce qu’on fait le choix d’une plateforme d’intermédiation ou d’un vrai service opérationnel ? Nous avions ces deux trajectoires possibles devant nous.

Première option, être un intermédiaire : Les Ripeurs pourraient être une plateforme digitale, qui capte les commandes des artisans, et les “dispatche” à un ensemble de prestataires indépendants, en prenant une commission au passage. C’est le fameux modèle “à la Uber”, ou “à la AirBnB”, qui a fait le succès de tellement de startups ces dernières années… Les avantages sont indéniables : un modèle hyper scalable, pas d’opérations terrain à gérer, on se concentre purement sur notre Tech et notre notoriété, .. et dont on dit qu’il permet de lever des fonds plus facilement. Mais quelque part, un modèle qui consiste aussi à s’enrichir sur le dos de l’uberisation de l’économie : précariser encore davantage une population de manutentionnaires auto-entrepreneurs.

Deuxième option : opérer notre propre flotte. S’équiper de camions, recruter des chauffeurs, des manutentionnaires, et gérer cette énorme activité logistique, en plus de la Tech et de la notoriété / acquisition… Un métier beaucoup plus compliqué. Mais cette “verticalisation” apporte aussi ses avantages : un maîtrise complète de la qualité de service, des retours terrains précis et qualifiés, qui nous permettent d’ajuster notre discours commercial et de faire évoluer notre offre de façon hyper agile pour coller aux besoins de nos clients.

Nous n’avons pas hésité longtemps : nous voulons une entreprise qui crée de la valeur, pas une entreprise qui prélève des commissions. Opérer un service en propre, c’est créer de la valeur, créer de l’emploi. Et tant pis si c’est moins “scalable”, nous faisons le choix de créer des emplois durables, qui seront encore là dans 10, 20, 30 ans, plutôt que de lever des millions et embaucher la moitié des bizdevs de Paris, en se rémunérant par des commissions prélevées sur les prestations des autres.

Parenthèse : c’est justement parce qu’on est fiers d’opérer en propre notre service que l’on a pu vivre avec autant d’intensité un moment magnifique : le moment où est tombée notre première commande. Je peux l’affirmer aujourd’hui : quand on crée une entreprise, il n’y a rien de plus beau qu’un client qui décide de payer pour le service qu’on lui propose.

Aujourd’hui, nous faisons face à d’autres questions éthiques : déterminer les modèles de rémunération des différentes équipes. Déterminer le niveau de protection sociale et de protection santé que nous souhaitons leur proposer vu la pénibilité du travail. Déterminer les valeurs et la culture qui régiront les process internes… Mais face à ces questions, nous savons déjà un peu mieux où nous allons, pour Les Ripeurs, comme pour les startups qui suivent :

Chez French Bureau, nous créons des startups qui sont économiquement viables et utiles, à la fois aux employés et aux clients, à leurs communautés et aux générations suivantes.

Des projets comme celui-ci, je sais que nous en aurons beaucoup d’autres chez French Bureau.

Est ce que je suis prête à recommencer ?

Mille fois.

Je voudrais également adresser un grand merci et un immense bravo :

  • À Romain Icol et Quentin Limbourg, co-fondateurs des Ripeurs, qui tiennent admirablement le navire 👏 ;
  • À Jason Beraud, Oliver Schmalz, François Viany et Anne-Laure Paty, qui construisent aujourd’hui le succès des Ripeurs ;
  • À La Plateforme du Bâtiment et Saint-Gobain Bâtiment Distribution France pour avoir eu l’audace de lancer ce projet — et de continuer à montrer une résilience et une motivation à toute épreuve, même quand nous bousculons un petit peu la façon de faire habituelle..
    🙏 Merci à Jean-Louis Bolard, Jean-Emmanuel Desbois, Karine Pruneau, Éric Chmielewski, ainsi qu’à Olivier Royer pour son soutient indéfectible chez SGDBF ;
  • À tous les Frenchies, qui ont tous contribué à ce succès, et tout particulièrement BRAVO à Tom et Ming !👏 😍

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