Plaidoyer pour le gluten, la viande et le gras : et si, demain, l’équilibre, la qualité et le naturel étaient vraiment nos priorités ?

Paola Craveiro
Possible Future
Published in
9 min readMay 4, 2018

Sans gluten, sans gras, sans viande, sans sucre, sans laitage : vous en avez pas marre, vous, de vous priver de tout ? Et bien nous si, et nous avons remarqué que nous n’étions pas les seules. Face à la déferlante du “sans”, les amoureux de la bonne chère contre-attaquent et redorent l’image de produits diabolisés, en faisant le choix de la qualité, du plaisir et de modèles de raison. Place alors à une nouvelle tendance food, centrée sur l’équilibre, pour guider de nouvelles façons de ré-imaginer notre alimentation !

Opinion piece écrite par Paola, avec l’appui et le soutien de Johanna

Flesh, restaurant parisien, met à l’honneur la viande !

Le rejet de la production industrielle effrénée

Oui, il y a un problème avec nos filières alimentaires. Les nombreux scandales qui ont éclaté au cours des 25 dernières années en sont la preuve, tout comme l’explosion des problématiques de santé liées à l’alimentation.

Produire vite, tout en conservant plus longtemps. Redonner du goût à des aliments, produits trop vite pour être excellents. Produire plus, pour nourrir plus. Donner de tout, à tout moment. Oublier nature, saisons, mais vouloir compenser les excès de la production intensive. Les attentes incompatibles de productivité, de goût et d’accessibilité ont fait dérailler le système. Et les consommateurs commencent à le savoir !

Mais, si l’information est partout, elle est aussi contradictoire. Beaucoup ne savent plus vers quoi se tourner. Ils veulent faire le bon choix, le choix sain — ce saint graal d’une alimentation parfaite. On leur dit volontiers qu’ils se font du mal, mais on a du mal à leur expliquer comment changer leurs habitudes. Du mal — ou juste pas envie, parce qu’elles sont trop profondément ancrées et servent un système bien huilé. Et, de toute façon, guidés par leur envie de simplicité, beaucoup ne sont pas prêts à repenser véritablement leur façon de consommer. Alors, ils vont chercher des alternatives à portée de main, qui vont leur donner l’impression de mieux manger — à défaut de le faire vraiment.

Puisque l’élevage intensif crée des conditions de vie intolérables pour les animaux et des produits de qualité médiocre, arrêtons d’en manger. Puisque le rajout de gluten dans les produits industriels comme agent de texture fait développer de nouvelles formes d’intolérance, supprimons-le. Puisque le sucre est partout et favorise l’obésité, bannissons sa consommation.

Mais, quel est le problème finalement ? À bien y regarder, c’est plutôt l’industrialisation exacerbée. Le transformé, qui a remplacé le naturel. L’excès, qui a remplacé l’équilibre. Le “sans”, qui a remplacé le vrai !

Alors, oui, il y a un problème. Mais il vient d’un modèle déraisonné, imposé au fil du temps, poussé toujours plus loin. Et il ne sera pas résolu en imposant de nouveaux modèles de l’excès.

Génération désenchantée des alternatives proposées

On a connu l’avènement du “light”, devenu poids lourd de l’alimentaire depuis les années 60. Pour les femmes qui prennent soin de leur ligne ou pour lutter contre l’obésité montante : on a enfin trouvé la 1ère solution facile, ces premiers “sans”, les 0% ! Bien vite, pourtant, ils sont devenus l’ennemi : des édulcorants dangereux, des sucres cachés, des produits moins naturels, pour compenser le goût perdu. L’incarnation, en somme, de ce qu’on rejette maintenant : le transformé ! De nouveaux “sans” viennent alors incarner la recherche de naturel. C’est l’heure du “sans additif”, “sans aspartame”, “sans conservateur”, “sans sucres ajoutés”, etc. Et, sans craindre la contradiction, ils continuent d’exiger goût et accessibilité ! Le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ?

Le “sans” est aussi devenu l’éthique de nouveaux modèles agricoles. “Sans pesticide” d’abord : le bio prend une place croissante, dans les champs, les cuisines et les supermarchés. Pour le meilleur évidemment, en proposant des produits plus naturels, plus sains, meilleurs pour l’environnement, la santé et le goût. Mais, tristement, pour le pire aussi ! Pas d’étagère vide : poussé par l’effet de mode, l’enjeu est de surfer sur la vague — et le bio devient une dérive marketing. Un label AB, sur des produits transformés, pas si bio que ça, des produits plus chers, avec pesticide naturel autorisé, ou du bio qui vient du Mexique, empreinte carbone décuplée : il est difficile de faire le tri.

Le “sans”, c’est aussi le “sans viande”. Pour protéger la planète, les animaux, sa santé : être végétarien, voire végétalien, devient une alternative plébiscitée. Si ce régime alimentaire a plein d’avantages prouvés, il ne doit pourtant pas être adopté à la légère et sans réflexion. Car les carences guettent ! Les témoignages sont nombreux de ceux qui sont passés au régime végétarien… et qui en sont revenus ! Aux USA, plus de 80% des végétariens auraient fini par remanger de la viande, selon une étude de Humane Research Council.

Enfin, aujourd’hui, c’est le “sans gluten” qui s’empare des rayons. Si, pour certain, c’est une évidente nécessité, on commence déjà à en voir ses limites. Sous la forme de risques cardio vasculaires notamment, selon une étude conduite par le British Medical Journal.

Alors, la méthode par soustraction, pas si efficace que ça ? Mince, alors, on fait quoi ? Désabusés et déconcertés, beaucoup sont fatigués d’arbitrer. Il devient de plus en plus difficile de faire simple. Coincés en étau entre effets de mode et nouveaux modes de vie, entre envies naturelles et culpabilisation généralisée, entre problème de santé et ajustement occasionnel nécessaire, nous commençons à vouloir prendre un peu de recul.

Parce que tout le monde n’est pas intolérant au gluten ! Parce qu’être flexitarien, c’est exactement la même chose qu’être omnivore ! Parce que l’alimentation, c’est tout sauf blanc ou noir !

Et surtout, parce qu’il convient de se rappeler que manger “sans” ne veut pas dire manger mieux, que le “mieux” est parfois l’ennemi du bien, que le plaisir, c’est la santé ! Et que l’alimentation devrait être et toujours rester une source de plaisir accessible.

De nouveaux critères de choix, sans devenir sceptique de tout !

Aujourd’hui, face aux injonctions contradictoires naît une nouvelle volonté de réintégrer modération, équilibre et raison au coeur de nos choix alimentaires. Il faut admettre et comprendre que les solutions trop faciles cachent toujours quelque chose, mais aussi que certaines technologies et certains modèles nous ont permis beaucoup de progrès, et qu’il convient de les ré-ajuster aujourd’hui, pour faire face à leurs limites et s’adapter à notre époque, sans les diaboliser.

“Avocado Toast” : le sain & le gras réunis !

Les signes de ce changement d’état d’esprit sont partout. Il y a eu d’abord le retour du “bon gras”. Longtemps considéré seul responsable de l’obésité, il revient en grâce, à mesure que l’on apprend à comprendre ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de notre corps. On ne mange pas trop de gras ; en fait, on en mange surtout du mauvais. Et, comme le goût des aliments se perd sans gras, il est remplacé par du sucre et des additifs (Bouh, l’obésite !). Alors, le naturel revient et on encense l’avocat, les huiles, le saumon et le gras des viandes si onctueuses. Les “bons” gras, ceux qui font du bien aux papilles et au corps, quand ils sont consommés modérément. Et, à l’occasion, on se rappelle qu’on doit manger de tout, mais pas n’importe comment ! Premier signe d’un retour global à une vision nouvelle de l’équilibre. Bien plus important pour le bien manger que n’importe quel “sans”.

Cet équilibre, on veut aussi le retrouver partout, comme en allant vers de nouveaux modèles d’agriculture et la consommation sélective de qualité. Ainsi, lassés de se voir culpabilisés de manger des animaux, les “viandards” ont contre-attaqué. On est prêt à manger moins de viande, pour en manger de la meilleure. À Paris, chez Flesh, The Beast ou Le Boeuf Volant, le savoir-faire de la viande est rappelé aux papilles. Comme chez les nouveaux bouchers, qui maturent et travaillent leurs viandes — et dans de nouveaux modèles de production/distribution, comme Ah La Vache !, qui sourcent de bonnes viandes, amenées directement de la ferme au domicile.

De manière similaire, les consommateurs privilégient aussi le local, plutôt que le bio. Se rapprocher du terroir, des producteurs, mieux savoir d’où vient ce que l’on mange et avoir l’opportunité de voir, parfois, de ses propres yeux, comment il a été produit : cela séduit plus ! Car c’est le contrôle et la compréhension de l’information qui prime sur un label, signe aujourd’hui de plus en plus suspect. Les saisons deviennent aussi un facteur majeur. Se reconnecter à la terre, à la nature, au corps et aux rythmes naturels : elle est là, la priorité !

L’envie de faire évoluer nos productions et de réinventer les traditions pour les adapter à notre contexte actuel est aussi au coeur du discours de Nathan Myrhvold, créateur de Modernist Cuisine. Il a écrit et publié Modernist Bread, présenté en conférence à SXSW cette année. Parlant du pain, ce produit ancestral, fabriqué et consommé à travers le monde, il défend la nécessité de comprendre profondément la tradition pour la réinventer aujourd’hui, pour aller plus loin, dans la qualité et les possibilités offertes autour du produit. Faire tomber des idées reçues, remettre en grâce un produit qu’on diabolise, et ne pas lui soustraire ce qui fait son essence, pour l’offrir, meilleur, à tous !

Alors, avec tout ça, on va où ?

A l’ère de tous les paradoxes alimentaires, il s’agit de composer pour soi, une alimentation qui nous fait du bien ; une alimentation qui ne génère pas de frustration, qui ne nous oblige pas, qui sert notre santé, notre bien-être, notre palais — et qui laisse place aux compromis. Alors, gardons à l’esprit certaines choses, pour innover de manière positive et permettre à tous de retrouver confiance dans la nourriture, et d’en tirer du plaisir :

  1. Il faut distinguer lorsque le “sans” est nécessaire ou lorsqu’il n’est qu’un argument marketing de plus. Il faut évidemment s’assurer que chacun ait la possibilité de trouver facilement une option qui lui convienne, qu’il soit végétarien ou allergique au lactose. Mais il faut aussi apprendre à respecter assez les pathologies, les spécificités et les envies de chacun, pour ne pas se les attribuer gratuitement, pour la mode — et en attendre une révolution de notre vie. Le “sans” peut être utile, s’il garantit l’accès à la diversité avant tout, sans créer de nouvelles obligations.
  2. L’équilibre se construit globalement — sur une semaine, sur un mois, sur une vie. Il est possible de faire des excès et de les compenser. Il est possible d’ajuster sans drastiquement changer. Il est possible de s’adapter, chaque jour, à ses envies et ses possibilités. Se contenter d’être dans l’élimination ne fait que déstructurer cet équilibre.
  3. La soustraction systématique doit alors laisser place à l’imagination de nouvelles additions. Réutilisons nos produits frais pour réinventer les recettes qui créent nos produits transformés. Réinventons nos rayons pour laisser plus de place à de nouvelles définitions du frais. Repensons nos procédés pour prendre le meilleur d’un système qui fonctionne et en supprimer ses défauts.
  4. L’envie aujourd’hui nous mène à privilégier le “manger vrai”. La recrudescence de restaurants et d’offres pour moins de transformé et plus de fait maison témoigne bien de l’importance de l’authenticité en cuisine. Une authenticité qui veut dire qu’on ne se débarrasse pas de ce qui est naturellement présent dans nos aliments. Une authenticité qui demande de composer et d’imaginer, en évitant l’excès. Une authenticité synonyme de plaisir accepté, loin de la culpabilisation ambiante qui ne sert qu’à nous faire acheter et manger certains produits, à notre détriment.
  5. Finalement, il s’agit de faire évoluer ensemble nos modèles, en accord avec notre époque, nos possibilités et nos nouveaux besoins, sans diaboliser les systèmes qui nous ont tant fait progresser depuis des années. Oui, ils ont des limites, oui, il faut les changer. Mais ils correspondaient aux attentes d’une époque et doivent aujourd’hui avoir l’opportunité — et la volonté — de s’adapter. Et, par la même occasion, ils doivent s’engager à utiliser leurs forces pour combler leurs faiblesses, et devenir acteur de la transition indéniable de confiance qui s’opère actuellement.

Allez, sur ce, on vous laisse, c’est l’heure du glûter !

❤ MIAM ❤

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