Pourquoi il faut changer notre façon d’accompagner les startups en France

Thomas Papadopoulos
Possible Future
Published in
7 min readNov 2, 2017

Que faut-il penser des structures qui poussent l’innovation en France ?
Lancés depuis de nombreuses années, les incubateurs, accélérateurs, labs, campus, startup studios et autres modèles internes ou externes aux grands groupes n’ont — malheureusement — pas encore démontré leur efficacité. Alors que notre écosystème national bénéficie d’une pléthore d’acteurs, il est désormais évident qu’il a besoin de faire évoluer son modèle d’accompagnement, à la croisée des propositions existantes.

Collect underpants… and then… profits!

Il y a encore quelques années, cela ne dérangeait personne de voir une startup lever des milliards en présentant de façon continue des pertes abyssales sous prétexte d’une stratégie de conquête effrénée. Le mot d’ordre était : « c’est une startup, ça va forcément marcher à un moment ou un autre ».

Par définition, une startup est une entreprise au démarrage rapide et — si tout se passe bien — à l’accélération fulgurante, puisqu’elle va vouloir surinvestir sur le début de son développement afin de trouver son marché, à l’inverse des entreprises aux modèles plus classiques, qui préféreront baser leur croissance sur le développement d’un chiffre d’affaires et d’un résultat positifs.

Mais les temps ont changé. Si certaines startups parviennent encore à lever et à brûler plusieurs centaines de millions en créant des communautés, de l’usage et de la data, sans avoir la moindre idée de la manière dont elles les valoriseront, ce modèle — baptisé « collecte de slips » en hommage à ce passage magique d’un épisode de South Park — semble vivre ses dernières heures.

La majorité des acteurs de l’innovation poussent en effet désormais vers un modèle plus sain, où l’on demande aux boîtes de démontrer l’opportunité marché, en montrant des clients et des revenus — des requêtes tout à fait logiques en quelque sorte.

Pour percer, les startups doivent donc fonder leur développement sur des intuitions business plus fortes et parvenir à faire pivoter leur modèle plus rapidement afin de s’aligner avec leur marché de manière viable et durable.

Et pour cela, elles ont plus que jamais besoin d’être accompagnées…

Incubateurs et autres accélérateurs

Pour survivre dans ce nouveau monde impitoyable, les startups peuvent intégrer différents types de structures capables de les accompagner durant la phase critique de leur lancement. Certains s’appellent incubateurs, d’autres accélérateurs.

À y regarder de plus près, qu’est-ce qui différentie bon nombre d’incubateurs actuels d’un simple projet immobilier ? L’idée de ces lieux est d’intégrer des dizaines de startups dans un seul et même endroit, en grande majorité des projets qui n’ont pas encore trouvé leur modèle. En échange de l’hébergement, du chauffage, d’une connexion wi-fi et d’un peu de café, certains incubateurs proposeront même de prendre du capital dans ces startups. Évidemment, cela n’est jamais présenté comme ça : on va vous vendre du rêve, une expertise dans le monde de l’innovation, on vous promet de vous aider afin de pouvoir craquer votre projet, vous permettre d’intégrer un réseau, de vous “accélérer”. Séduisantes sur le papier, sur le nombre, ces initiatives ont malheureusement très rarement porté leurs fruits. Et même si certains incubateurs multiplient les animations et autres sessions de coaching, les retours des startuppeurs sont mitigés, parce que trop souvent, ça ne leur sert pas à grand-chose…

Le NUMA à Paris

Bien que certaines “pépites” ou futures “licornes” soient issues de ces incubateurs, de l’extérieur, on a quand même l’impression que ce sont ces structures qui profitent des startups, plutôt qu’une vraie situation gagnant-gagnant. En réalité, elles appliquent “loi des grands nombres” : il faut lancer un maximum de startups pour se rétribuer sur les rares élues qui perceront les nuages. D’un autre coté, cela permet aux startups d’avoir un bureau, d’exister au sein de l’écosystème, et le fait qu’elles se battent pour y avoir une place montre qu’il y a un besoin. Mais, concrètement, quelle proportion des startups installées dans ces incubateurs ont véritablement trouvé leur modèle ? Ces structures se distinguent-elles autrement que par leur prix des WeWork et autres espaces de co-working ?

Si elles constituaient une véritable rampe de lancement pour leur startups, alors pourquoi voyons-nous encore partir aux US les plus prometteuses d’entre-elle, rejoindre les Plug&Play et autres Y-Combinator, plutôt que de rester en France ? Et ne parlons pas d’un meilleur potentiel de financement des « séries B », alors que tous les analystes s’accordent à dire qu’il n’y a jamais eu autant de fonds à lever en France qu’à l’heure actuelle.

(re)Lier les startups avec le tissu économique

Reprenons. Pour craquer son modèle économique, en complément d’une équipe formidable et d’un “product market fit” du tonnerre, une startup a besoin de 3 choses : un socle business hyper solide, une parfaite connaissance du secteur d’activité dans laquelle elle va évoluer, et de moyens financiers conséquents. Arrêtons de nous mentir : si le taux de mortalité actuel de l’écosystème startup français est si élevé, c’est parce que trop de ces sociétés se construisent en étant trop faibles sur l’un ou plusieurs de ces éléments.

Un comble ! Car à l’autre bout du spectre, qui trouvons nous ? Les grandes entreprises françaises, désireuses de booster leur croissance par l’innovation, disposant des 3 ingrédients cités précédemment, et peu capables de développer leurs propres innovations en internes pour une bonne raison : ces entreprises sont de fantastiques machines industrielles qui ont passé les 50 dernières années à « streamliner » leur modèle opérationnel ; il est donc impensable d’imaginer qu’elle vont pouvoir, sans délai, se mettre en capacité de contrer les GAFA et NATU avec leur organisation actuelle.

Inutile de parler de l’incompatibilité évidente des ADN de ces 2 types de structures, sujet sur lequel beaucoup trop d’encre a déjà été versée. Oui : sauf exception, il faut encore 6 mois à un grand groupe du CAC40 pour signer un accord de coopération avec une startup sans provoquer un AVC à leur équipe de juristes. Et ce n’est pas grave. La solution est certainement ailleurs.

Un exemple à suivre

Une solution pourrait venir du modèle mis en oeuvre par plusieurs accélérateurs californiens, à la tête desquels on trouve Plug and Play. De loin, cette société ressemble à un incubateur classique — initialement, Plug and Play était aussi un projet immobilier — mais en plus de ça, elle a réussi en quelques années à créer un vrai hall d’exposition pour startups à destination du monde corporate. Montée par Saeed Amidi, qui a eu l’opportunité d’investir dans Paypal à l’époque, cette boîte mène plus de 500 missions par an visant à lier le destin de grandes entreprises avec les startups qu’elle a intégrées dans son portefeuille. Elle va donc un cran plus loin que les incubateurs que nous connaissons chez nous. Un grand groupe peut aller chez Plug and Play afin de rencontrer l’une des centaines de startups qu’elle accompagne.

Plug&Play Tech Center à Berlin

Et ne nous y trompons pas, le modèle de Plug and Play est un modèle de méchants : il faut payer. Ici pas de « learning expeditions » ou autres safaris de « corporates » qui viendraient jeter des cacahuètes aux startuppers. Ce qui est vendu, très cher, c’est un véritable accompagnement, qui permet de s’assurer de la qualité et du résultat de la rencontre. Un modèle bien rodé : ils font payer à la fois grands groupes et startups. Et smart, puisque les dirigeants de Plug and Play se fient au flair des grands groupes et à leur expertise marché pour investir eux-mêmes dans les startups qui ont attiré leur attention.

Revoir la « mission » des incubateurs

Tout ceci remet en question les modèles d’accompagnement qui existent en France, qui ne peuvent se limiter à vendre aux grands groupes la possibilité d’occuper quelques mètres carrés dans un lieu pour se donner bonne conscience et faire bonne figure.

Prenons un exemple concret : si je dois identifier des startups fintech, où aller ? Je peux rencontrer quelques intermédiaires qui me mettront en relation avec des startups, mais de manière très opaque : ces projets entrepreneuriaux sont-ils vraiment intéressants ? Je peux aussi faire le tour des incubateurs : on me proposera probablement de devenir partenaire et de payer, sans trop savoir pourquoi non plus.

Et ce n’est pas une question de compétence, mais une question de mission, et surtout de vision. En monnayant à l’extrême la mise en relation des startups et des grands groupes, Plug and Play a développé un modèle de service d’une rare efficacité, en étant très exigeant sur la sélection des startups de son portefeuille et en proposant un service d’accompagnement de très bon niveau. C’est donc loin d’être un fourre-tout, comme peuvent l’être — ou en donner l’impression — certaines structures françaises.

Il y a encore trop de destruction de valeur du côté des startups qui ne trouvent pas leur modèle, et qui ne trouvent pas de débouchés. De l’autre côté il y a non seulement nos grandes entreprises, mais toute l’économie qui a besoin mais qui n’arrive pas à trouver les startups avec lesquelles travailler, parce que soit le modèle est limité, lorsque c’est le cas de conférences ou d’événements (certes sympathiques, mais qui ne suffisent pas), soit il s’agit de projets immobiliers ou de projets qui profitent à d’autres entités plutôt qu’aux startups — les VC étant en embuscade derrière.

Aujourd’hui il n’y a pas — ou trop peu — de projet créant un lien efficace entre le monde des startups et le reste de l’économie française. C’est comme si ces deux mondes, pourtant l’un à côté de l’autre, ne se voyaient pas. Nous avons du pain sur la planche, et c’est urgent, pour éviter que les licornes potentielles de chez nous continuent à partir outre-Atlantique !

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