Pourquoi tu ne sauveras pas le monde en mangeant un steak végétal.

Oriane
Possible Future
Published in
7 min readJan 27, 2020

Si les “alternatives végétales” (les “alternatives aux produits animaux”, comme le tofu ou encore le lait de soja) étaient autrefois relégués aux sombres recoins des rayons diététiques et des magasins bio, ces aliments occupent aujourd’hui une part de plus en plus importante de nos supermarchés et de nos assiettes. Mais ces produits sont-ils réellement notre meilleur pari pour une alimentation plus respectueuse du bien-être animal, de notre santé, ou encore de notre environnement ?

Illustration by Adrien Quillet.

Avant toute chose, dans cet article nous parlerons notamment de la “simili-viande”, qui est créée et vendue pour remplacer une pièce de viande. On en trouve de toutes les formes, toutes les couleurs, tous les goûts, à base d’algues, insectes, champignons et végétaux. Les simili-viandes vont ainsi du “steak” de lentilles et de blé et la saucisse au tofu aux goûts et textures qui ne font pas consensus, aux nouveaux produits issus de processus complexes afin de reproduire de manière identique le profil sensoriel de la viande. Les icônes de ces nouveaux produits sont l’Impossible Burger ou le Beyond Burger. En somme, la simili-viande est un produit fait pour remplacer et imiter de la viande mais sans aucune chair animale.

Illustration by Adrien Quillet.

De l’autre côté, il y a la “viande de synthèse”, qui consiste à faire “pousser” de la viande en labo, c’est à dire de faire multiplier les cellules qui constituent les tissus animaux et de les assembler comme cela se ferait dans le corps d’une vache par exemple. La viande de synthèse, c’est de la chair animale, mais qui ne nécessite pas d’animal vivant pour être produite.

L’Impossible Burger, autrefois restreint à certaines tables très élitistes new yorkaises, est désormais disponible chez Burger King. Quant à la viande de synthèse, elle ne ne relève plus du domaine de la science fiction. La principale barrière qui demeurait — celle de la viabilité économique de ces produits — semble même en passe d’être franchie. Certains estiment que la “no-kill meat” pourrait même atteindre un prix de vente équivalent à la viande issue de ces bonnes vieilles vaches dans les 3 à 5 années à venir. Avec 900 millions de dollars levés en 2018 pour les fabricants de simili-viandes et des produits en rupture de stock dès leur arrivée sur le marché, l’engouement pour ces alternatives technologiques ne fait aucun doute.

Devant l’appétit insatiable de la population mondiale pour la viande, il ne fait aucun doute que nous devons trouver des solutions, et rapidement. Si l’élevage est un formidable moyen de valoriser les terres que nous ne pouvons mettre en culture, les cultures fourragères occupent un tiers des terres arables mondiales selon la FAO. Mathématiquement, si la population augmente et que tout le monde souhaite manger autant de viande, on va avoir un problème de place …

Même si elles semblent contribuer à ce besoin de nourrir l’humanité, les simili viandes et viandes de synthèse masquent en fait la nécessité de trouver des solutions aux problèmes sous-jacents : la sur-consommation de viande et la manière dont nous élevons les animaux aujourd’hui. Pire, leurs promesses écologiques et sanitaires sont encore difficilement tenues et les gains environnementaux sont incertains.

Impossible Foods a développé un steak haché quasiment indiscernable d’un steak haché conventionnel grâce notamment à l’hème de soja, protéine qui permet à ce steak végétal de “saigner”. Illustration by Adrien Quillet.

Des faux steaks qui ne tiennent pas encore leurs promesses et des innovations fondamentalement bornées.

Les simili-viandes sont des produits ultra-transformés, un agrégat de nombreux ingrédients, additifs, agents texturants, colorants et arômes. Fondamentalement de la junk-food végétarienne.

Sur le plan environnemental, plus un produit nécessite des process de transformation, plus le gain environnemental qu’on peut en espérer est bas. Or, ces alternatives sont le fruit de nombreuses transformations, généralement très énergivores. Ainsi, la viande de synthèse a un impact environnemental globalement plus important que celui de l’élevage de volaille et porcin et qui serait du même ordre de grandeur que celui du bovin. (Meat alternatives: an integrative comparison, Cor van der Weele, Peter Feindt , Atze Jan van der Goot , Barbara van Mierlo, Martinus van Boekelc, 2019).

L’immense majorité des simili-viandes disponibles dans nos supermarchés nécessitent l’extraction et l’isolement de protéines végétales. Ajoutez à cela un peu de matière grasse, du liant et des arômes pour un goût et une texture au top. Enfin, formez les produits finaux et faisant passer la mixture dans des conditions thermiques et de pression pour obtenir une texture semblable à la viande. Un process complexe et énergivore en somme…

Grâce à l’optimisation des process et les économies d’échelle, il est certain que les coûts économiques et environnementaux diminueront et que nous arriverons à fabriquer des répliques parfaites de steak haché dans les années à venir, et des pièces entières de viande à l’échelle d’une dizaine d’années. Mais à ce moment, nous serons coincés, nous ne pourrons pas aller au-delà. Dans la logique des simili-viandes et viande de synthèse, on ne peut que reproduire parfaitement la chair animale, et cette imitation parfaite constitue la limite de cette industrie. On ne peut pas aller plus loin. C’est une créativité qui est fondamentalement bornée.

La course au “faux steak haché parfait” questionne la place de la technologie et de l’innovation dans les grands défis que nous devons résoudre aujourd’hui. En nous centrant uniquement sur une approche technologique, nous nous restreignons à singer ce qui existe. Et nous passons totalement à côté de véritables innovations, d’une véritable rupture par rapport à notre système alimentaire. Si nous parvenons à sortir du cadre intellectuel de “reproduire la viande animale sans animaux”, dans lequel nous sommes par défaut, une infinité de possibilités de création se dessinent.

Ok, mais du coup on fait quoi ?

Surtout, arrêtons les protéines végétales compressées et aromatisées de manière aberrante en steaks, saucisses et nuggets. Si ces produits ont peut-être été nécessaires pour amorcer le changement en créant des repères d’usage grâce à leurs formes, leurs noms, il est temps aujourd’hui de passer à autre chose !

Les chiffres du nombre de flexitariens en France tournent autour de 30% : c’est à dire qu’un tiers de la population fait consciemment attention à sa consommation de produits carnés. La prise de conscience et la transition sont amorcées et on peut se permettre d’être beaucoup plus créatifs pour permettre aux consommateurs de diminuer leur consommation de viande sans la singer.

Parmi les nombreuses voies à explorer, il y a la matière première : de nouveaux ingrédients sont déjà commercialisés ou le seront dans un futur proche comme les mycoprotéines, les algues ou encore les insectes. Le domaine du vivant regorge encore de possibilités à explorer : par exemple le chanvre, le lupin ou encore des légumineuses comme le marama ou le pois bambara.

En matière de texture, pourquoi ne pas explorer ce que ces végétaux, algues et insectes ont à nous donner dans leur entièreté et les associer plutôt que chercher de manière aberrante à recréer ce que nous renions ? L’ingénierie des aliments nous fournit une panoplie de techniques incroyables. Utilisons-les, non pas pour copier ce que nous connaissons, mais comme des outils potentiels qui nous accompagnent pour explorer des alternatives, qui seront en plus véritablement vertueuses.

Enfin, prenons la liberté de repenser la structure de nos repas. Déconstruisons le repas classique occidental, structuré autour de la viande en tant que coeur de repas. C’est un travail de longue haleine, compte tenue de toute la valeur sociale que la viande porte. Reposons-nous la question : pourquoi mangeons-nous de la viande ? Selon les avis, cela sera pour le goût, la valeur nutritive ou encore pour la convivialité d’un barbecue. Partons des usages, de la valeur que les consommateurs attribuent à cette consommation en premier lieu et construisons autour de cela.

Par exemple, beaucoup d’entre nous consomment de la viande pour ses protéines, qui ont une image ultra-positive dans notre société car associées aux muscles, à la force et la vitalité. La viande est en effet un aliment incroyablement nutritif grâce aux protéines et surtout leur qualité. Mais ça veut dire quoi au juste la qualité des protéines ?

Illustration by Adrien Quillet.

On peut voir une protéine comme un collier de perles, et chaque perle est un acide aminé. Lorsque nous mangeons des protéines, nous les défaisons et puis utilisons les acides aminés perles pour faire nos propres protéines colliers. La viande contient tous les acides aminés essentiels, c’est à dire des acides aminés que notre corps ne peut pas produire seul et qu’il faut donc qu’on puise de notre alimentation.

La plupart des protéines végétales en revanche ne possèdent pas l’ensemble de ces acides aminés essentiels. Si on ne mange que du soja par exemple, nous aurons des carences en certains acides aminés. Ce n’est pas une raison de dire que les végétaux ne seront jamais aussi nutritifs que la viande, mais bien au contraire une formidable opportunité d’expérimenter des associations légumineuses — céréales qui apporteront l’ensemble des acides aminés essentiels et explorer par la même occasion des nouvelles associations de saveurs.

Si on peut concevoir que la viande de synthèse fera sans doute partie du futur et pourrait devenir intéressante notamment par comparaison à l’élevage bovin, il est vraiment dommage de se cantonner à copier la viande telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il faut se préparer à aller bien au-delà si l’on souhaite répondre à la demande mondiale croissante et aux enjeux écologiques. La frénésie des simili-viandes et viandes de synthèse est un mirage et éclipse d’autres alternatives qui sont plus bénéfiques et viables à court terme. Les produits mis au point sont un concentré de notre capacité technique, des prouesses technologiques, mais nous enferment dans un seul schéma de pensée. Ne voyons pas la technologie comme une fin en soi, mais comme un moyen formidable de véritablement innover, de venir à bout du problème de la demande en protéines du futur, avec un produit réellement à la croisée des demandes : sain, durable, pratique et avec du goût !

Alors, êtes-vous prêts à inventer “la viande” de demain ?

Chiche ! Et même pois chiche.

Un grand merci à Adrien Quillet pour ses illustrations, ainsi qu’à Faten Saleh et Thomas Papadopoulos.

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