Work in Process #1 —Imprimer des gâteaux en 3D

Arnaud Pfeffer
Possible Future
Published in
6 min readFeb 16, 2021

Work in process c’est une série d’interview et de rencontres de professionnels ayant une approche du inspirante du prototypage : Comment prototype-t-on dans d’autres secteurs ? Quel est le rôle du prototype dans le processus de création ? Quelles sont les règles et astuces pour tout prototyper ?

Pour cette première édition nous recevons Marine Coré Baillais, fondatrice de La Pâtisserie Numérique, pour nous parler de son approche du prototypage entre impression 3D et produits sucrés.

PF : Bonjour Marine et merci de nous recevoir pour discuter prototypage ! Avant de rentrer dans le vif du sujet, est-ce que tu peux te présenter ?

MCB : Je m’appelle Marine Coré Baillais et je suis la fondatrice de la pâtisserie numérique. Je travaille sur un sujet très particulier et je suis très heureuse de pouvoir échanger avec vous ! Pour expliquer rapidement mon parcours : Je suis diplômée de l’Essec 95. Je ne suis ni ingénieure, ni designer, mais j’ai eu plusieurs expériences en rapport avec la création.
En 2010, j’ai rejoint mon frère pour l’aider à remonter son studio d’animation. J’ai ensuite travaillé plusieurs années chez Sculpteo pour développer leur activité de service sur le marché de l’impression 3D. Je m’occupais de tout : du service client aux opérations techniques. Tout, sauf du software ! C’était très riche, mais j’avais envie de plus travailler avec mes mains. Je voulais combiner mes deux obsessions : la fabrication additive et la pâtisserie.

En 2019, j’ai donc créé La Pâtisserie Numérique où je conçois et propose des outils et des services pour inventer de nouvelles créations sucrées grâce à l’impression 3D et des techniques de fabrication digitale.

PF : Comment est-ce que tu définirais ton métier ?

MCB : Mon travail c’est de faire des prototypes hardware : je teste des procédés d’impression 3D pour les transcrire dans la fabrication de gâteaux. Je crée aussi des recettes et des formulations pour obtenir la bonne texture dans mes préparations.

Dans une pâte à gâteau, il n’y a souvent que 4 ingrédients. Suivant l’ordre dans lequel on les ajoute, les résultats peuvent être très différents. On parle aussi beaucoup de proportion en pâtisserie. Avant même de parler de ça, je regarde comment je peux travailler chaque ingrédient individuellement.

PF : Comment ça se traduit dans ta pratique ?

MCB :

Un gâteau c’est déjà de la fabrication additive.

Par exemple, les gâteaux qu’on appelle en cadre, c’est une superposition de couche : biscuit / croustillant / crème / crème / crème. Ce sont ces familiarités qui m’ont donné envie de pousser l’exercice et de mêler 3D et pâtisserie.

Pour y arriver, j’ai besoin de piloter mon procédé avec précision : la vitesse de déplacement, le débit et la température d’extrusion de mes machines. Ce sont toutes ces contraintes qui guident ma conception. J’entre ces valeurs dans un fichier en Gcode, qui sera lu par n’importe quelle machine.

Dans la fabrication additive, il y a aussi des technologies à poudre, de fusion laser, des technologies spécifiques pour le métal, des procédés inventifs que j’essaie de transcrire dans les desserts.

© La Pâtisserie Numérique

PF : Qu’est-ce que ces technologies peuvent apporter à la pâtisserie ?

MCB : Un dessert c’est un assemblage formel de goûts et de textures. Avec ces procédés, je me retrouve à faire des formes et des assemblages nouveaux. Par exemple, quand j’utilise une technique d’impression 3D à base de poudre, j’utilise le cacao en poudre comme matériau d’impression. Déposé de cette façon, il va interagir différemment avec la recette. Ça donne un nouveau langage au dessert.

D’un autre côté, travailler avec de la pâtisserie implique quelques ajustement sur le procédé d’impression. Je travaille avec une recette, et pas avec un matériau homogène comme peut l’être le PLA ou l’ABS qu’on utilise en impression 3D.

Il faut bien comprendre comment son matériau réagit. C’est de la cuisine mais aussi de la chimie.

Je me fais aider par des gens en food science, car je me retrouve parfois devant des réactions chimiques complexes.

PF : Du coup quand tu conçois une pâtisserie, est-ce que tu pars de la 3D ou de la recette ?

MCB : Les deux sont possibles. Je peux commencer à la main, en simulant la machine. Mon procédé c’est de refaire et goûter 4 fois une même recette. Comme ça je suis sûre de bien bien comprendre tous les paramètres. Ensuite je transpose dans le procédé d’impression.

D’autres fois c’est l’inverse, je pars du procédé. Quand je travaille avec la cuisson au laser, les ingrédients ont besoin de différentes températures pour cuire ou réagir. Là, c’est le procédé de la machine qui m’oriente dans ma démarche.

PF : Comment gères-tu les paramètres comme le goût, la texture, l’odeur dans tes fichiers ?

MCB : Le goût et le toucher sont très importants, mais il y a aussi la contrainte de l’hygiène, qui est cruciale ! Je travaille avec des pâtissiers pour définir ce qui est acceptable ou pas en termes d’expérience. Pendant mon CAP pâtissier, j’ai travaillé dans la brigade de Cédric Grolet, où j’ai aussi appris à travailler avec ces métiers.

Pour l’anecdote, en ce moment j’essaie de développer des coques sans moule. Pour l’instant on a que les meringues et les choux/éclairs faits en pâte à chou qui permettent de faire ça, sinon il faut un moule. Avec l’impression 3D on peut créer une coque d’un seul coup, et faire gagner du temps aux pâtissiers. Ici, les pâtissiers m’ont guidée sur les différentes contraintes d’épaisseur de mes coques pour avoir une texture idéale.

PF : Souhaites-tu que les pâtissiers puissent s’emparer de ces procédés ?

MCB : Mon objectif, c’est de rendre les pâtissiers autonomes dans leur labo. Ils ont un sens artistique extrêmement fort, je veux leur faciliter la tâche.

Pour autant, la pâtisserie est un métier de tradition et les pâtissiers ne sont pas toujours intéressés par des technologies innovantes. Quand je suis arrivée au Meurice, j’étais face à des jeunes gens, moi j’avais 45 ans. Il y en a qui ne savaient pas dévisser une sorbetière. Moi j’étais à l’aise avec ça, et comme ils ont vu que j’étais à l’aise avec les machines, ils m’ont mis à faire ça avec toutes les machines !

Après, il y en a qui s’y mettent et commencent à installer des découpes jet d’eau par exemple. Les jeunes pâtissiers ont souvent déjà utilisé ces machines pendant leurs études et sont plus familiers des procédés techniques. On commence à voir de plus en plus de collaborations entre des écoles de pâtisserie et de design.

PF : Quel lien vois-tu entre numérique et tradition ? Quelles seraient les bonnes pratiques pour les pâtissiers ?

MCB : J’essaie de concevoir une machine suffisamment robuste pour que les pâtissiers puissent proposer leur propre recette. Je ne veux rien leur imposer. Mon travail c’est de mettre en place un procédé, aux pâtissiers de s’en emparer ensuite.

Ça implique un gros travail d’interface machine pour rendre l’impression 3D accessible dans un labo, et ce que ce procédé re-devienne de la cuisine. Ce n’est pas à la machine de leur dicter quoi faire.

PF : Tu explores tous les procédés de fablab ?

MCB : Oui ! Je travaille avec les ingénieurs de Sparkmate, donc j’ai la chance d’avoir plein de machines à disposition. C’est un superbe environnement pour bricoler en mode low cost, mais c’est aussi sa limite. J’ai parfois pris pas mal de retard sur des points importants de conception mécanique, où le bricolage ne suffisait plus.

Dans le prototypage, c’est difficile de doser le bon niveau d’investissement par rapport aux cahier des charges techniques.

Quand tu fais un procédé d’extrusion, il y a une limite liée au matériau et à la température. On peut vite tomber dans une impasse. Ici, je suis allée chercher d’autres compétences en chimie pour trouver un procédé qui fonctionne pour les pâtissiers.

PF : Quel serait ton prochain projet idéal de prototypage pour cette année ?

MCB : Ma lettre au père noël, c’est :

  1. Monter une ferme d’imprimantes 3D, pour devenir une pâtisserie numérique. J’aimerais proposer un service de biscuit personnalisé. C’est quelque chose que je connais bien grâce à Sculpteo. Ça serait un très bon moyen de faire découvrir le procédé de fabrication et de montrer son potentiel en tant qu’industrie de grande échelle.
  2. Je veux continuer de tirer le fil du Gcode et étudier toutes les machines qui fonctionnent avec. Par exemple, les machines qui font des kilts pourraient fonctionner ! Elles tissent les vêtements avec un fil continu, ça peut marcher avec la pâtisserie. Je veux explorer ces nouveaux outils pour pouvoir proposer des créations sans se faire dicter le résultat par le procédé.
  3. Mon dernier souhait serait de travailler dans les labo de Modernist Cuisine avec une machine sur mesure. C’est une équipe incontournable de l’art et la science de la cuisine contemporaine. J’ai la chance d’échanger avec eux depuis le début de mon projet, j’ai bon espoir que ça arrive bientôt !

--

--

Arnaud Pfeffer
Possible Future

Je suis designer chez Possible Future le jour, et bidouilleur de machines à dessiner le soir (insta :@arnaudpfef)