Work in Process #3 – Partir à l’aventure grâce à la fiction interactive

Arnaud Pfeffer
Possible Future
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16 min readApr 8, 2021

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Pour ce numéro de Work in Process, nous sommes ravis d’accueillir FibreTigre, game designer et auteur de fiction interactive, pour parler de son rapport au prototypage et son processus de création.

La fiction interactive correspond principalement à une forme de jeu dans lequel le joueur découvre son histoire en fonction des choix qu’il va être amené à faire. Livres dont vous êtes le héros, jeux vidéos, jeux de rôles… tous ces formats ont un lien avec la fiction interactive.

Quels mécanismes régissent la fiction interactive ? Peut-on utiliser ses codes dans un processus d’innovation ? Quelles nouvelles formes peut-elle prendre ? C’est au programme de cet épisode ⤵️

PF : Bonjour FibreTigre. Pourrais-tu te présenter en quelques mots ?

FT : Mon nom d’auteur est FibreTigre, je suis narrative designer et mon domaine d’expertise est la fiction interactive. J’ai gagné de l’argent en produisant des jeux videos, de la BD, du contenu audiovisuel — je soumets des pitch de série ou de jeux télé — et je suis sur Twitch depuis 5 ans.

Un de mes gros projets du moment s’appelle Game of Roles : c’est de l’actual play, une partie de jeu de rôle filmé en direct sur Twitch. Chaque épisode dure entre 2h et 3h et est visionné par plusieurs dizaines de milliers de viewers. C’est une émission très professionnelle, je travaille avec une équipe de production d’une dizaine de personnes.

PF : Tu travailles sur beaucoup de formats différents mais tous sont centrés autour de la narration. En terme de processus créatif, quelle différence vois-tu entre concevoir un jeu vidéo, un roman ou un jeu de rôle ?

FT : L’idée fondamentalement. Quand l’histoire est mise en place, son support apparaît naturellement : jeux de cartes, BD, série, manga, etc. L’histoire rentre d’elle même en une case. Souvent quand une histoire est un échec, c’est qu’elle n’a pas été formalisée dans son élément.

Par exemple, le film Watchmen est très décevant de ce point de vue : on prend la BD et on l’adapte case par case. Au final on a une succession de cases, mais on n’a pas vraiment un film. Il faut l’adapter, quitte à sortir du matériau de base. Un très bel exemple est Shining de Kubrick, il s’est complètement détaché du roman de Stephen King, quitte à déranger l’auteur sur les prises de libertés prises par Kubrick !

PF : Quelles techniques utilises-tu pour écrire ces histoires et définir leur format ?

FT : Le travail de documentation est fondamental dans l’écriture, il faut se renseigner sur tout. C’est la base de mon travail.

Connais bien ton univers et tes règles viendront d’elles mêmes.

Par exemple depuis 6 ans, je crée un jeu vidéo dans lequel on fait le tour du monde : The Beautiful Walk. J’ai dû écrire 900 aventures, sur 900 étapes autour du monde : Paris, Strasbourg, le mont Ararat, Téhéran, etc. Dans chacune de ces étapes, je suis obligé de me documenter pour raconter une histoire : dans tel village en Birmanie il y a eu une épidémie de peste, il y a cette légende, etc. Je me documente et j’apprends en permanence.

La réalité est la première source de documentation de la fiction et de tout mon travail.

J’ai aussi travaillé sur un jeu qui s’appelle A Better World. J’ai dû me pencher pendant 8 mois sur les 100 événements les plus importants dans l’histoire de l’humanité et leurs conséquences sur le reste de la chronologie contemporaine. Cela crée un socle de culture générale très intéressant, on a plus de facilités à raconter des histoires.

Une autre astuce pour raconter une histoire dans le domaine de la fiction est aussi de s’intéresser à sa cosmogonie. Vous allez créer un univers fictif, quels sont ses dieux ? Les premiers réflexes qu’on peut avoir c’est de créer un panthéon grec, un dieu monothéiste abrahamique, ou éventuellement les dieux norvégiens. C’est très difficile de sortir de ces références, mais quand on va voir des autres cultes comme les dieux sumériens, sibériens, les rites de superstition et les courants religieux asiatiques, etc. on apprend aussi un autre système de pensée. Quand on a des points d’intérêt on peut créer des histoires qui intéressent des gens.

L’autre chose, c’est que j’essaie de gamifier les processus que je considère sains dans ma vie, pour me motiver. La première fois que j’ai couru je me suis ennuyé à mourir, du coup j’ai écrit The BeautifulWalk qui récompense ma course en me faisant voyager.

PF : Par rapport à ces points d’intérêt, y-a-t’il des sujets sur lesquels tu n’as pas envie de te lancer ?

FT : J’évite d’entrer dans le militantisme social. Je ne veux pas avoir un étendard politique sur le travail que je fais. Ça ne veut pas dire que je suis inconscient des processus d’invisibilisation : dans Game of Roles il y a une grande diversité de personnages et un fort discours autour de la non-violence.

Par contre, j’essaye de ne pas avoir un agenda politique pour garder une forme d’intemporalité. Je veux qu’on puisse regarder mon contenu dans 30 ans et se dire qu’il est toujours actuel, sans propos passéistes ou trop progressistes. Cet équilibre est assez dur à trouver parce qu’on s’adresse à des communautés de plus en plus larges.

Pour reprendre l’exemple de Game of Roles, c’est une émission qui a commencé sur jeuxvideo.com, qui est lié historiquement à un forum 15–18 très caractéristique d’un discours plutôt non inclusif. Il a fallu très rapidement intégrer des femmes, des minorités visibles et construire des discours non caricaturaux dans le jeu. Je me suis aussi rapproché de Madmoizelle où je fais un jeu de rôle régulièrement pour ajouter une mixité importante dans les spectateurs. Encore une fois, je ne fais pas ça parce que c’est cool d’avoir des femmes, je fais ça parce que l’histoire elle est meilleure avec une diversité et une mixité de joueurs, de personnages, et d’audience.

PF : As-tu déjà travaillé pour des projets avec des entreprises en dehors du divertissement ?

FT : Ça m’arrive de travailler sur des prototypes de serious game, mais c’est aujourd’hui un terme qui est plutôt négatif dans le monde de l’entreprise. Les entreprises qui font du serious gaming aujourd’hui ce sont des entreprises qui ont besoin d’améliorer leurs images.

Pour poser le décor : aujourd’hui il y a environ 1300 jeux vidéos qui sortent chaque jour. Parmi ces 1300 sorties, il y a 1 jeu par jour qui va bien se vendre. Le reste va sombrer dans l’oubli. À l’inverse, il n’y a pas forcément de culture gaming dans le monde de l’entreprise, ce qui en fait un marché intéressant pour les créateurs. Résultat, on a vu des entrepreneurs plus opportunistes que disposant d’une véritable vision de gamification se rapprocher d’elles, et des entreprises vouloir créer un jeu comme elles créent leur produit. Ça ne marche pas.

Aujourd’hui je fais du serious gaming, mais je le fais pour moi ou pour des causes. Par exemple, je suis en train de faire un jeu sur le sentencing. Je me pose la question de l’application des peines et de leur pondération.

Depuis 3 mois, je suis en train de collecter les cas d’affaires judiciaires, qui sont open source. Je place tous ces cas dans une base de donnée et j’en fais un jeu. Par exemple :

Olivier Duchamp, cadre moyen sans casier judiciaire est responsable d'un accident de voiture alors qu'il conduisait et sa faute d'inattention a causé la mort d'un enfant. Il ne nie pas les faits et s'est rendu immédiatement rendu aux autorités.
Vous êtes juge, quelle peine appliquez-vous ?

Ensuite je refais le même scénario mais en changeant quelques variables, comme le nom de la personne, disons avec une connotation étrangère, ou en faisant varier le cadre de vie du coupable et je le fais tester à quelques centaines de joueurs. Avec cette méthode, on va commencer à mettre en avant des biais de société. L’objectif derrière est d’avoir un éclairage sur notre perception de la justice, par exemple.

PF : Si l’on prend l’exemple du jeu de rôle, peut-on imaginer imaginer un format de ce type à destination des entreprises ?

FT : La simulation est très intéressante pour ça. Dans ces cas là l’idée c’est mettre la personne en situation d’action. Par exemple si un employé dit “moi si j’étais DRH je ne virerais personne” : on peut faire un prototype du type :

Vous êtes DRH d'un usine produisant des clous et un de vos employés vole chaque jour des clous, mettant à mal votre équilibre financier. 
Votre entreprise menace de fermer.
Que faites-vous ?

Pour chaque réponse, on donne les conséquences objectives de ses décisions. C’est un mécanisme issu du jeu de rôle qui est facilement transposable dans un jeu vidéo. Avec celui-ci, on s’aperçoit que les situations sont complexes, et que les décisions prises qui souvent nous apparaissent parfois relever de l’égoïsme ou de l’inexpérience sont souvent les meilleures.

Pour y parvenir, il faut tout de même avoir un game design objectif et ça c’est très dur.

PF : Comment est-ce que tu assures cette part d’objectivité dans ce type de jeu ?

FT : Je passe par les mathématiques. Ça donne un éclairage intéressant dans des simulations, pouvant aller jusqu’à faire changer d’avis les joueurs sur certains sujets. Par exemple, j’ai écrit un jeu vidéo qui s’appelle One Family : on commence par jouer un personnage en -4000. Quand son personnage meurt, on joue son descendant, etc. Dans le cadre de ce jeu, je me suis aperçu que la polygamie était une stratégie de survie intéressante à des époques où l’on mourrait très vite. C’est des choses dont je me suis aperçu en créant des jeux.

Quand on prend les chiffres et les mécanismes objectivement, on est les premiers surpris.

PF : Quelle place prennent les mathématiques dans ton travail de game design ?

FT : Créer un bon game design, c’est comme créer une ouverture aux échecs, tu connais tes premiers coups par cœur. Un professionnel de game design sait déjà ce qu’il va faire tout de suite selon la thématique qu’on lui propose. Il va tout de suite lister les mécanismes à appliquer dans un nouveau jeu, parce qu’il connaît les mécanismes qui ont fait leur preuve dans le passé. Il n’y a pas de propriété intellectuelle dans le game design, donc on n’a pas de problème à reproduire ces éléments. On construit sur ce qui a été éprouvé, ce qui est semblable à la construction du savoir scientifique.

En ce qui concerne les mathématiques, le niveau est souvent assez standard en game design, sauf cas particulier. Souvent on a des systèmes de progression ou distribution de ressources qui sont très instinctives. La plus courante c’est la progression arithmétique : si je mets du bois dans mon feu je vais avoir plus de feu. Après si je remplace cette fonction par une fonction logarithmique — donc beaucoup plus lente à croître — je vais créer une confusion chez le joueur. Ça peut être un ressort narratif intéressant.

C’est bien d’avoir des notions avancées en maths quand on fait du game design très fin, par exemple pour construire un système de level pour avoir toujours un personnage cohérent avec la difficulté du jeu. Certains utilisent les mathématiques pour créer des mécanismes d’addiction, mais je ne touche pas à ça.

PF : Comment est-ce que tu testes tous ces mécanismes et sous quel format ?

FT : Presque 100% de mon travail c’est du prototype : je le donne et après je laisse les autres personnes le faire tester. Le monde du jeu vidéo est très à l’aise avec la notion de prototype : on va sortir des alpha et faire des salons publics pour faire tester les jeux.

Une fois j’avais accompagné des gens de l’audiovisuel à un salon, ils ont eu un choc culturel quand il se sont aperçus qu’on peut faire tester un jeu fini à 30%, pour eux c’était inimaginable ! C’est comme filmer un film avec 30% des acteurs et vérifier si on est sur la bonne voie. Dans le jeu vidéo c’est complètement intégré, tout le monde fonctionne en alpha.

PF : Est-ce qu’il y a également des notions de prototype dans le jeu de rôle ?

FT : Théoriquement un jeu de rôle il faut l’écrire, le jouer — plusieurs fois — réécrire et après le publier.

Avec Game of Roles on est dans le pur prototype : j’ai une séance tous les quinze jours, je suis en flux tendu entre l’écriture, la répétition et le déroulé. Je teste le format en même temps que je le produis.

Le jeu de rôle est une économie assez faible. Même, Asmodee, le milliardaire des jeux de sociétés, fait un chiffre d’affaires de niche par rapport à d’autres types de produits qu’il commercialise. Le jeu c’est un produit qui est acheté mais peu joué. Donc le prototypage traditionnel n’a pas vraiment de sens.

Quand on a des choses qui fonctionnent dans le jeu de rôle c’est soit une appropriation d’un mécanisme qui a fonctionné, soit un coup de chance.

Le jeu vidéo c’est un corpus qui a 40 ans : il y a zéro règle, rien n’est vrai.

  • Dans les années 80 c’était normal de mourir quand on faisait une erreur.
  • Dans les années 90 on a considéré que c’était inutilement pénalisant et on a décidé de ne plus tuer les joueurs.
  • A partir de 2008 on a recommencé à tuer les gens.

Aujourd’hui, il faut que le temps de production soit le plus court possible parce que la mode change vite.

Le moteur principal qui fait fonctionner un jeu vidéo c’est sa prescription : si Twitch fonctionne, il faut faire un jeu qui fonctionne sur Twitch. Si demain c’est Tiktok, il faut que le jeu soit tiktokable, etc.

PF : Est-ce que tu testes aussi cette prescription avec le jeu de rôle ?

FT : Bien sûr ! Game of Roles a été pensé pour Twitch. Avant de sortir le premier épisode, on a fait deux ans de prototypage avec le streamer MV pour adapter le format jeu de rôle sur Twitch. On a appris des petites choses : pas de scène de combat à rallonge, un rythme très soutenu, peu de lancer de dés pour maintenir en haleine, etc.

L’actual play c’est un format tout récent, tout est à inventer. Il s’inspire des techniques de jeu de rôle classique, mais on a vraiment pensé le format pour qu’il puisse être streamé.

Toutes ces recettes on les a conçues par le test, ça donne un produit très différent du reste du marché. Le message qu’on veut faire passer c’est : regardez comme c’est simple le jeu de rôle, faites-le chez vous.

PF : Comment as-tu géré cette phase de test ?

FT : J’ai eu la chance de travailler avec MV à l’époque où il montait très vite. Il a compris comment fonctionnaient les mécanismes de Twitch. Aujourd’hui c’est un des principaux streamers de la scène française. Il a rapidement su ce qu’il fallait enlever ou garder dès les premières versions de l’émission. On a fait un jeu plus tourné vers le spectacle que le jeu parce qu’il est fait pour générer de l’audience.

Par exemple, une idée que je trouvais absurde au début était de donner des noms de sub (des abonnés) aux PNJ, alors qu’aujourd’hui c’est complètement intégré. C’est une idée qui m’a été imposée par le directeur de chaîne de JVC.

PF : Tu dis que ton émission est un prototype permanent, est-ce qu’il y a des choses qui ont évolué depuis la première saison ?

FT : C’est une émission qui est difficile à faire et on a peu de marge pour l’amélioration parce qu’on a ni le temps ni le budget. On a fait des choix : on préfère avoir une musicienne qu’un super décor par exemple. On va tenter des nouvelles choses mais toujours au service de l’audience.

Après chaque émission je regarde le replay et tous les commentaires du chat. C’est un très bon moyen de voir quand les gens s’amusent, s’ennuient et ce qu’ils attendent de l’émission.

PF : Est-ce que tu retrouves cette proximité avec tes auditeurs sur d’autres plateformes que Twitch ?

FT : Historiquement l’audiovisuel s’est éloigné du retour instantané du chat en live. Il n’y a jamais de direct en audiovisuel, même pour une allocution présidentielle où il y a une à deux minutes de décalage.

La télé c’est aussi un média en train de vieillir : BFMTV c’est plus de 60 ans de moyenne d’âge, ça n’a rien à voir avec Twitch. Depuis quelques jours on voit des streamers qui arrivent à atteindre les audiences de la télé sur leur chaîne, ça va changer pas mal de choses.

J’accompagne notamment des chaînes pour leur passage sur Twitch. Il y a plein de choses à prendre en compte en terme de ligne éditoriale : Twitch c’est l’hyper réalité, on est dans la vraie vie des streamers. Si on essaie de simuler ça, ça se voit tout de suite et ça ne marche pas. C’est YouTube.

En ce qui concerne l’interactivité, je pense qu’elle vit ses dernières heures sur Twitch si ce média est amené à grandir. On peut faire de l’interactivité avec le chat quand tu as 500 viewers, mais quand tu en as 120 000 tu perds complètement sa lisibilité. Si on veut une destination audiovisuelle sur Twitch, l’interactivité va disparaître.

On peut dire que la quantité de l’audience définit le spectacle qu’on fait :

  • Si vous êtes devant 3 personnes c’est une réunion entre potes
  • Si vous êtes devant 20 personnes c’est un talk
  • Si vous êtes devant 400 personnes on est dans un théâtre
  • Si vous êtes devant 2000 personnes on est dans une salle de concert
  • Si vous êtes au-delà de 20000 personnes on est à la télé

Il y a des niveaux d’interactivité différents, et des modes de rémunération différents également. C’est normal de payer son entrée quand on va au théâtre, mais ça l’est moins quand on regarde la télé. Au delà d’un certain nombre de viewers, on doit adopter le modèle économique télévisuel, les donations ne suffisent plus.

C’est un media qui évolue très vite. Game of Roles fonctionne bien sur Twitch parce que c’est un contenu différent sur la plateforme, mais ce contenu peut complètement changer du jour au lendemain. On est toujours dans des périodes transitoires sur Twitch.

Le stream c’est aussi un milieu très difficile et très concurrentiel, c’est vraiment un petit gâteau qu’on se partage entre tous les streamers. Il n’y a pas vraiment d’amitié professionnelle, c’est difficile à vivre pour moi. C’est pas du tout le cas le jeu vidéo, c’est un monde ultra accessible. On peut contacter tout le monde et poser des questions.

PF : Y-a-t’il d’autres formes de jeu de rôle sur lesquels tu travailles ?

FT : Il y a 3 ans j’ai fait un projet qui s’appelle ATRPG. C’est une interface de jeu de rôle web, elle permet à plusieurs centaines de joueurs de participer à la même aventure en votant pour la prochaine action à faire. J’en ai fait un projet libre de droit. J’ai vu qu’il y a une personne travaillant à l’ONU qui l’a récupéré pour faire un projet d’enseignement à distance.

J’aimerais bien faire du jeux de rôles par correspondance, via mail mais massif. Les joueurs vivent une aventure par mail : ils me soumettent leurs actions et je leur envoie les conséquences. Les joueurs pourraient aussi se rencontrer au travers des mails. Donc une sorte de jeu de rôle, MMO, par écrit.

PF : Comment modélises-tu ce type de jeu ?

FT : Je ne passe pas trop par des systèmes de modélisation. J’ai commencé le game design en 2000, dans les premières années j’ai beaucoup produit, notamment des projets expérimentaux. Aujourd’hui, je fais de la fiction interactive de façon assez naturelle, c’est limpide dans mon esprit. J’envoie souvent le texte brut à mes clients, là où ils s’attendent en général à avoir un texte et un schéma pour représenter tous les embranchements de la narration. Pour ma part, je visualise assez peu mes histoires sous forme de schéma.

Cela peut être un problème par moment, mais je préfère travailler seul pour aller au bout de mes idées. Mes projets sont mes bébés et je crois en eux. J’ai envie de travailler pour moi et je veux avoir le résultat mon travail, qu’il s’agisse d’une réussite ou d’un échec, et de l’assumer. J’ai l’espoir que mes projets grandissent, notamment Aria.

Quand je travaille avec d’autres personnes, j’essaie de donner aussi un maximum de liberté dans la création, c’est aussi pour ça que je n’aime pas envoyer des schéma trop rigides.

C’est important que chacun puisse être libre de s’exprimer dans sa création. Par exemple, j’estime que la question du langage est essentielle dans le jeu et sa création. Le langue sculpte la pensée. Un des problèmes des entreprises de création française selon moi est que l’ensemble de leur travail se fait en anglais, cela abaisse fondamentalement le niveau de pensée.

Moi ce que j’adore c’est quand on a des jeux russes, faits par des russes, en russe. Au moins là on est sûr qu’on sera dépaysé.

PF : Chez Possible Future nous utilisons souvent le design fiction dans nos méthodes de prospection. Quel est ton point de vue sur cet outil, notamment d’un point de vue fiction ?

FT : Je voulais vendre au Figaro du jeu de rôle pour se mettre dans la peau de Jean Castex. C’est du pur design fiction pour analyser le présent et surtout trouver des solutions.

Au lieu de vendre une formation pour éviter des crises à des grands groupes, on peut tout à fait leur vendre du jeu de rôle :

Un historien vient de découvrir que Christian Dior était un collabo pendant la seconde guerre mondiale et est suspecté de crime de guerre.
Vous êtes le board de L'Oréal, que faites-vous ?

On reprend tous les mécanismes du jeu de rôle : vous avez tout prévu, vous laissez les participants jouer le scénario et à la fin vous analysez ensemble les bonnes et mauvaises actions qui ont été menées pendant cette crise. On apprend beaucoup plus de cette façon.

PF : Quel serait le sujet de tes rêves pour 2021 ?

FT : Hier soir, j’ai terminé un livre jeunesse que j’écris le dimanche pour ne pas déprimer et ça me fait beaucoup de bien.

En ce moment je travaille beaucoup la licence Aria, dans l’objectif d’en faire une licence à part entière.

J’ai arrêté le jeu vidéo parce que je me suis dit : je n’ai plus rien à dire. Je ne voulais pas avoir l’avis de la personne qui est là depuis 20 ans, ni devenir cette personne. Je me suis mis aux jeux vidéo parce que je trouvais qu’à l’époque les jeux étaient décevants. Aujourd’hui j’ai pas de jeu intéressant à proposer donc je laisse ma place aux jeunes dans ce secteur.

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Arnaud Pfeffer
Possible Future

Je suis designer chez Possible Future le jour, et bidouilleur de machines à dessiner le soir (insta :@arnaudpfef)