7h du mat’. Début de journée à Ouagadougou

Rencontre avec des entrepreneurs sans frontières et les opportunités de l’informel.

Ce qu’une enquête réalisée auprès d’entrepreneurs Burkinabés a à nous révéler sur les bonnes pratiques entrepreneuriales.

Marc Chataigner
Postscript on the societies of design.
6 min readApr 28, 2017

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Début 2017, pour l’un de mes clients, j’ai eu la chance de conduire une série d’entretiens avec des entrepreneurs Burkinabés, dans la région de Ouagadougou. Un des enjeux de cette enquête était entre autres de comprendre comment se structurent les entreprises en milieu dit ‘informel’.

Durant cette semaine-là, nous avons échangé avec des profils très différents, comme une productrice de mangues séchées embauchant plus de 100 femmes et exportant en Europe, ou une productrice de barres de sésame grillé, illetrée et embauchant néanmoins 5 femmes et exportant a l’occasion au Ghana et en Côte d’Ivoire en recevant ses paiements via Airtel, ou bien un ex-ingénieur agro qui monte une raffinerie d’huile de soja, ou encore un artiste passé par la Suisse avant de venir ouvrir un business de boulangerie à Ouagadougou.

Fabrication de plats préparés à base de mil // préparation de sésame grillé // séchoir solaire

Ce que je tenais à partager ici, c’est que même si certains entrepreneurs avaient un niveau d’instruction élevé (licence en droit, diplôme en agroalimentaire) et d’autres très bas (ne sachant pas lire pour certains), tous semblaient vivre et respirer les bonnes pratiques entrepreneuriales enseignées ici et là au « Nord ». À croire que certains naissent entrepreneurs.

Qu’entend-on par « informel » ?

Précisons pour commencer ce terme d’informel, car il recouvre une sémantique riche et ne doit surtout pas être entendu seulement en tant que « cadre non-formel », le cadre formel de référence auquel on se réfèrerait alors étant indubitablement celui du « Nord ».

Même si les interactions ne prennent pas place au sein d’un cadre reconnu comme « légal », elles s’ancrent soit au sein du “cadre social” qui englobe toute activité là où se déroulent les échanges, soit au sein du “cadre du projet”, même si celui-ci n’est pas défini comme une entreprise formelle.

D’autre part, si ces interactions ne s’inscrivent pas dans le cadre d’un contrat pré-établi, elles peuvent prendre la forme de “négociations” continues en lieu et place d’un contrat, ou inversement bien la forme de “réciprocités” en dehors de tout contrat.

Opportunités et ressources vues dans un contexte dit informel.

Autrement dit, les cadrans Adaptation, Familiarité et Réciprocités existent aussi au « Nord » — tout comme Influence, mais c’est une autre histoire — et sont mêmes intéressants à considérer dans le cadre de projets naissant que sont les start-ups par exemple. Ils recèlent en effet des ressources à activer pour tout entrepreneur débrouillard ; et c’est bien ce que nous rappelle cette série d’entretiens menés au Burkina Faso.

Les bonnes pratiques

Des échanges que nous avons eu avec les entrepreneurs, il ressort qu’ils savent tirer partie de cette économie « informelle » ; et à les écouter, ils semblent même avancer tout comme le state-of-the-art des entrepreneurs du « Nord ».

  1. Sonder les attentes. Dans les échanges tous relataient le fait qu’ils ont soit remarqué un besoin sur le marché, soit qu’ils avaient une envie qui n’existait pas encore sur leur marché. Chacun à leur manière, ils ont pris le temps de pitcher leur idée pour la tester avant d’aller plus loin.
  2. Faire un test de fabrication et de distribution. Un M.V.P. quoi, excusez du peu. Même les entrepreneurs qui avaient réussi à obtenir une bourse, et qui se voyaient contraints par là-même à utiliser cette bourse dans un cadre donné, tous ont commencé par tester ce qu’ils étaient capables de produire et de distribuer, afin de recueillir des retours et valider leurs hypothèses. Car le plus important restait bien pour eux de valider les hypothèses sur lesquelles ils ont fonder leur stratégie, et ils avaient 1000 fois raison.
  3. Être au clair sur sa stratégie. Ils déclarent avoir arrêté leur stratégie et savoir ce qu’ils cherchent, là où ils en sont dans leur cheminement, et d’être aux manettes de leur projet. Ça semble annodin, mais c’et tout de même une des clés de la réussite, être “in charge”.
  4. Ne pas faire de plan sur la comète, mais résoudre un problème a la fois et avoir une vue systémique. Tous nous relataient qu’ils ne faisaient pas de plan à 1 an ou 3 ans, ne sachant pas encore quel sera le prochain problème qu’ils auront à résoudre, mais en essayant de les prevenir en gardant à l’esprit une vue systémique de leur activité, l’approvisionnement, la recette produit, la distribution, les ressources nécessaires, la qualité, les quantités, etc.
  5. Se doter d’une raison d’être — i.e. raison sociale — qui dépasse la raison économique. La raison pour laquelle ils se lançaient dans l’aventure ne se résumait pas à devenir riche ou célèbre, mais une activité pour être plus autonome, un moyen de préparer sa retraite, une manière de créer de la valeur locale, de développer l’autonomie locale, des débouchés pour les producteurs, l’entreprise comme compte d’épargne pour les employée (pour assurer la rentrée scolaire par exemple), etc. Ils mesuraient leur réussite et leur avancée à l’aune de cette raison d’être.
  6. Structurer les partenariats approvisionnement après ceux de distribution. Dans ce contexte de transformateurs dans l’agroalimentaire, ils prenaient bien le pli de ne pas chercher à sécuriser à tout prix leurs approvisionnements s’ils ne s’étaient pas au préalable assurés de la demande. Selon cet ordre de priorité, ils avançaient pas-à-pas. Et pour l’approvisionnement, certains développaient de programmes de regroupement de producteurs sur plusieurs années, installant même un régime contractuel avec eux (ils trouvaient des astuces mêmes avec les cultivateurs analphabètes — cf. cadran Adaptation).
  7. Se constituer une notoriété. Que ce soit auprès de consommateurs (être perçu comme une marque pour être reconnaissable en alimentation, un critère de différenciation en alimentation, sur le marché et dans les foires), auprès de fournisseurs (être perçu comme un business clair et un débouché porteur pour assurer ses appro et rester en avance sur la concurrence), ou auprès d’institutions d’état et de financeurs (être perçu comme un projet porteur pour être écouté et épaulé par les institutions, un business clair pour rendre explicite la création et le partage de valeur), la plupart des entrepreneurs accordait une grande importance à consolider leur notoriété pour se faciliter leur avancee par la suite.
  8. Chercher a diversifier les modes de distribution puis l’offre produit. Pour certains, c’étaient la livraison présentée comme un service à valeur ajoutée — « pas besoin de traverser la ville pour venir nous voir, restez chez vous et on mutualise avec vos voisins » cf. cadran Réciprocités — ou bien trouver les canaux appropriés — stations services, marchés, alimentations, … — pour trouver les différentes manières de valoriser le produit, avant dans un second temps, de diversifier l’offre produit elle-même.
  9. Prendre le temps de stabiliser une recette avant de passer a un autre produit. Si certains entrepreneurs reconnaissaient avoir au début développés plusieurs produits ne sachant pas a priori le(s)quel(s) aurai(en)t le plus de succès, ils s’assuraient par la suite de stabiliser chaque recette, avec le volume de demande et l’équipe capable de la produire, avant de se donner le temps nécessaire pour innover a nouveau, avec un cycle similaire : étude marché, test et retours, assurer les volumes et structurer en fonction, diversifier les débouchés.

Le contexte infrastructurel et économique au sein duquel ils se développent au Burkina Faso est quant à lui assez précaire, voire instable, mais pas sans ressources ! Et leurs bonnes pratiques entrepreneuriales n’ayant rien à envier aux jeunes pousses du Nord, ils montraient le chemin pour aller chercher des moyens du côte2 de la Réciprocité, de l’Adaptation ou de la Familiarité.

Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas ici de comparer Nord et Sud, ce serait vain et idiot. En revanche, se rappeler l’agilité dont sont capables ceux aui entreprennent dans des contextes peu favorables est une source d’inspiration pour tout entrepreneur qui doit avancer pas-à-pas et avec ce qu’il a à disposition.

On the go.

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Marc Chataigner
Postscript on the societies of design.

#service #design #transition to #collaborative #innovation PhD candidate @UnivKyoto, @WoMa_Paris co-founder, @OuiShare alumni, @super_marmite co-founder