L’éditeur qui n’aimait pas les livres
Je ne suis ni nostalgique du passé ni un obsédé du futur. Je suis respectueux du passé parce qu’il est le fondement de ce que nous sommes et je regarde le futur avec curiosité mais je ne suis pas pressé de le vivre. J’aime tout simplement vivre avec mon temps et ce temps-là n’est pas si mal.
J’ai cru pendant très longtemps que j’aimais les livres. J’en avais partout, une bibliothèque, dans toutes les pièces. Je ne collectionnais pas seulement les livres mais aussi les DVD parce que j’adore le cinéma et les CD ! Et puis un jour j’ai compris une chose : je n’ai pas l’âme d’un collectionneur. Je n’aime ni les livres, ni les CD, ni les DVD mais j’aime la lecture, la musique et les films. Dès lors que j’ai eu ma première liseuse entre les mains et ma première tablette en 2010, ma perception des choses a complètement changé. Grâce à ces supports multimédias hyper mobiles, je me suis rendu compte qu’il n’était pas nécessaire de posséder la culture pour se cultiver et se divertir. Ma liseuse est un support de lecture formidable. Nous sommes devenus inséparables, nous sommes de plus en plus complices, intimes. Mes choix de lecture ont évolué depuis que je ne lis plus en papier. Ils sont plus diversifiés, moins formatés. Je prends plus de risque. Bien sûr, mon métier m’oblige en quelque part à ne pas formater mes lectures, mais ce n’est pas la seule et unique raison.
Quand je dis autour de moi que je n’aime pas les livres, les gens me regardent avec des gros yeux et me répondent tout de go : mais tu as une maison d’édition, comment peux-tu affirmer une chose pareille ! Et je leur réponds : ce n’est pas parce que je n’aime pas les livres, que je ne lis pas ou que je n’aime pas la lecture. Cela a le mérite d’engager le débat sur une chose qui est, pour moi, plus importante que tout et qui est malheureusement trop souvent occultée des discours : la lecture. Beaucoup pensent que je suis contre le papier. C’est archi-faux. En revanche, je me bats oui, et parfois avec véhémence, contre l’idée que forcément la lecture doit être associée au papier pour qu’elle ait une réelle valeur. Je me bats pour que le format numérique soit reconnu à la fois des lecteurs, des auteurs et de professionnels comme un format de lecture à part entière et c’est toujours pas gagné. Il y a 5 ans, lorsque j’ai créé les éditions Numeriklivres, je pouvais comprendre toutes les réticences. C’était l’époque où les médias utilisaient des gros titres racoleurs du genre « le numérique va-t-il tuer les auteurs », « le papier va-t-il disparaître ». Bref. Aujourd’hui, les auteurs ne sont pas morts — il y en a même de plus en plus — et le papier n’a pas disparu. Mais en revanche, ce dont je suis sûr, c’est que le plaisir de lire ne peut pas se résumer à un type de support. C’est même tout le contraire : nous avons la chance de pouvoir décupler notre plaisir de lire grâce à la diversité des supports. Et ça, c’est génial.
« Parce que nos ebooks sont des livres comme les autres », tel est le slogan que j’ai choisi pour marquer le 5e anniversaire des Éditions Numeriklivres. Parce que même au bout de cinq ans et malgré le travail accompli pas toujours dans la facilité, il y a encore beaucoup d’a priori sur la production littéraire nativement numérique et sur le fait de lire sur un support numérique. En tant qu’éditeur j’ai fait le choix conscient de promouvoir la littérature et la lecture en exploitant le format numérique tout en caressant humblement l’espoir de contribuer à lui donner ses lettres de noblesses. En quoi mon combat, dans le petit monde merveilleux de l’édition, serait moins noble et moins important que les autres ?
Ah, oui, petite précision : j’espère que vous serez nombreux à lire le titre de ce billet au second degré.
