Pourquoi un ebook ne se prête pas

Par Jean-François Gayrard. Photo : James Tarbotton

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Doit-on se comporter avec du matériel comme avec de l’immatériel ? Cette question, je me la pose tous les jours, car je suis convaincu d’une chose : tant que l’on cherchera à reproduire le modèle du papier au numérique, tant que l’on continuera à penser l’édition numérique, comme l’édition traditionnelle, les choses ne fonctionneront pas.

Cette question est d’autant plus essentielle dès lors que l’on parle des DRM, c’est fameux verrous numériques apposés par les éditeurs pour tenter de protéger les fichiers du piratage. Je précise bien “tenter”, puisque par expérience, nous savons très bien que DRM ou pas, cela protège de tout, sauf du piratage ! Nous avons toujours été un éditeur anti-DRM mais il a ceux qui sont anti-DRM pour les bonnes raisons et ceux qui sont anti-DRM pour des raisons que je considère d’une grande naïveté parce qu’elles ne prennent pas en compte le fait que l’immatériel n’est pas du matériel. Nous sommes un éditeur anti-DRM parce que nous souhaitons qu’un lecteur qui fait le geste d’acheter un fichier puisse le lire sans entrave, le transférer d’une liseuse à l’autre lorsqu’il change du matériel, qu’il puisse mettre ce fichier dans la liseuse de sa conjointe, de ses enfants, pour éviter aux librairies en ligne de gérer du SAV chronophage. Voilà, nos motivations. Nous ne sommes pas un éditeur anti-DRM parce qu’on souhaite que nos fichiers vendus en moyenne 3.99€ se balladent dans le nature sur des réseaux d’échanges. Une des prérogatives d’un éditeur lorsqu’il signe un contrat avec un auteur, c’est de protéger le droit des auteurs, il ne faut pas l’oublier et non, comme je peux le lire à droite et à gauche, de revendiquer le droit de partage tout azimut, surtout lorsqu’on vend des fichiers numériques à 3.99 €. Les lecteurs sauront-ils réellement capables de faire la part des choses ? Et si oui, alors comment se fait-il que dans les Top 100 des meilleures ventes se sont souvent des titres vendus à 15€ avec DRM ? Oui, je sais pourquoi, parce que ce sont des auteurs connus ! Et puis aussi et surtout, M. et Mme Tout le Monde qui télécharge des ebooks depuis les librairies intégrées de sa liseuse ou de sa tablette ne sait absolument pas ce qu’est un verrou numérique.

Pour étayer mon propos je vais vous donner un exemple concret : lorsque vous prêtez un livre papier, ce livre n’est plus en votre possession pendant la durée du prêt, vous n’en n’avez pas l’usufruit. Et normalement, la personne à qui vous avez prêté le livre, généralement, ne le prêtera pas à une autre personne, sans au moins vous en avertir. Ce que vous faîtes avec un livre papier, vous ne pouvez pas le faire avec un fichier numérique, un ebook, si vous préférez. Lorsque vous “prêtez” un fichier numérique à un ami, le fichier numérique est toujours disponible sur le disque dur de votre ordinateur ou dans votre liseuse. En outre, il est très facile à un ami d’envoyer ce fichier soit-disant “prêté” à un autre ami, sans même vous demander la permission, et ainsi de suite. Nous ne sommes plus dans une logique de prêt, mais dans une logique de “duplication” avec toutes les répercussions que cela peut avoir sur le respect du droit d’auteur, entre autres mais pas que. On comprends mieux pourquoi, les éditeurs historiques apposent des DRM et pratiquent une politique de prix exagérée.

Cet exemple ne prouve-t-il pas que nous ne pouvons pas nous comporter avec l’immatériel comme avec le physique ?

Bon nombre de billet que je lis sur le Web au sujet de l’édition numérique sont souvent écrits par des gens qui n’ont pas vraiment une vraie maîtrise du sujet, à savoir l’édition tout court. Ils supputent, ils fantasment l’édition et l’édition numérique, ils fantasment sur le fait d’être éditeur, fantasment sur les prix littéraires. Personnellement, je ne fantasme pas ni sur le métier d’éditeur, ni sur le numérique, ni sur la position de nos titres dans les Top 100 et encore moins sur les prix littéraires : chaque chose en son temps. Prouvons que nous sommes capables d’être des éditeurs tout court, pour commencer, construisons notre catalogue, notre notoriété jour après jour, titre après titre.

Je considère le numérique comme un format à part entière, comme peuvent l’être le poche, le hard cover et j’en passe. Le seul fait de considérer le numérique comme un format m’évite de fantasmer justement sur le numérique et de me concentrer son mon métier : éditeur. Car ce n’est pas le fait que nous sommes un éditeur papier ou un éditeur numérique qui fait la légitimité d’une maison d’édition, mais son catalogue, autrement dit le contenu et non le contenant. Et que ce catalogue soit imprimé ou tout numérique, cela aura de moins en moins d’importance avec le temps.

L’édition tout court, c’est une école de la patience et le numérique ne changera pas cette donnée si l’on veut exister (la concurrence est rude et les lecteurs sont hyper sollicités) et perdurer. Tout comme le numérique ne révolutionnera pas la façon d’écrire un roman, ni ne tuera le papier, ni ne tuera les auteurs. Le numérique dépend d’un écosystème et non pas comme le papier d’une chaîne du livre. Et cet écosystème répond à d’autres règles au niveau de la diffusion ou encore de la médiation. C’est pour cette raison que je persiste et signe en disant que l’on ne peut pas penser le numérique comme le papier, que l’on ne peut pas se comporter avec du matériel comme avec l’immatériel. Or, aujourd’hui, on cherche encore à calquer le modèle du papier sur le numérique.

Pensons différemment et surtout concentrons-nous sur le contenu car le support, lui, avec le temps, deviendra de plus en plus accessoire. L’être humain est ainsi fait : il aime le confort que lui procure la modernité mais refuse généralement les changements de comportement qui vont inévitablement avec. Comme ceux qui revendiquent toujours des droits (les droits revendiqués pour le papier peuvent-ils, doivent-ils être les mêmes avec le numérique, avec l’immatériel ?), mais ne veulent pas entendre parler des responsabilités qui viennent avec ou, qui les minimisent, pour justement éviter de se poser les bonnes questions.

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