Vente couplée papier/numérique : une belle utopie

Éditions Numeriklivres
Le blog de Numeriklivres
4 min readNov 19, 2014

Par Jean-François Gayrard

Je ne m’attarderai pas sur l’aspect juridique de la question car je ne maîtrise pas suffisamment le dossier. Aujourd’hui le cadre législatif de la vente couplée numérique/papier n’est pas défini et pose problème au regard de la loi sur le prix unique du livre.

Je me concentrerai ici plutôt sur la démarche et sur les deux principaux arguments mis en avant par les adeptes de la vente couplée : inciter les lecteurs à passer au numérique, impliquer le réseau des librairies physiques dans le vente de livres numériques. Jusqu’ici tout va bien. L’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage (plagiat assumé d’une réplique du film culte de Mathieu Kassovitz La Haine).

Incitation à la lecture numérique

Je ne suis pas convaincu que la vente couplée papier/numérique va inciter les lecteurs à lire en numérique pour une raison bien simple : si je suis un adapte du papier — et c’est mon droit le plus absolu — et que j’adore aller voir mon libraire, ce n’est pas pour acheter du numérique mais bien pour acquérir un livre physique, parce que j’aime ça. En revanche, si je suis un lecteur qui a choisi de lire exclusivement en numérique — c’est mon cas — qui est équipé en conséquence (une liseuse et une tablette), quel est l’intérêt pour moi d’aller acheter un livre papier pour obtenir la version numérique gratuite ? Aucun. Comme je suis un lecteur numérique, je télécharge mes lectures depuis les librairies en ligne intégrées ou pas à mon terminal de lecture.

L’autre côté qui me dérange dans cette volonté de démocratiser la vente couplée papier/numérique, c’est une fois de plus cette tendance à vouloir faire du format numérique un succédané, un truc que l’on donne, de lui faire perdre toute valeur. Je persite et signe depuis toujours en disant que le format numérique est un format de lecture à part entière. Il n’est pas seulement le complément du papier comme on nous le martèle un peu trop souvent.

Aujourd’hui quand on parle du numérique, deux mots reviennent souvent : “complément”, “donner”, deux mots particulièrement réducteurs, deux mots qui, ni ne valorisent, ni ne légitiment le format numérique comme un format de lecture à part entière, capable d’avoir son propre modèle économique.

Un autre aspect qui me dérange également ; à l’heure où nous cherchons tous des solutions pour éviter la duplication illicite des fichiers numériques sans passer par la case DRM, la vente couplée papier/numérique risque d’accentuer le phénomène. Imaginez, je viens d’acheter un livre papier parce que la lecture numérique ne m’intéresse pas. Que vais-je faire du fichier numérique que l’on m’a donné ? Peut-être que je n’en ferai rien. Mais peut-être aussi que comme j’ai un ami qui a une liseuse, je vais le lui donner (et le droit d’auteur dans ce cas ?). Ami qui a son tour va le donner et ainsi de suite. Du coup, en quoi le fait d’avoir offert le fichier numérique a un lecteur papier, a transformé ce même lecteur en lecteur numérique ? Et puis jusqu’à preuve du contraire, personne ne m’a encore prouvé que d’offrir la version numérique faisait vendre plus de livres papier.

Impliquer les librairies physiques

Là encore il y a quelque chose que je ne comprends pas lorsqu’on argumente le fait que c’est une belle façon d’impliquer les libraires dans la vente de livres numériques ; l’impliquer de façon passive — on ne motive pas le libraire à vendre du numérique mais à vendre du papier pour obtenir le numérique gratuitement — et non active.

Dans une librairie physique, la principale préoccupation d’un libraire, c’est de vendre des livres papier. Point. Le libraire, et nous sommes bien placés pour le savoir, n’a déjà pas, dans une grande majorité des cas, de liseuses, ne s’intéresse pas à la lecture numérique, encore moins à la production éditoriale des éditeurs nativement numérique. Donc, qu’il y ait une version numérique ou pas lorsque son client achète un livre papier, c’est le cadet de ses soucis. Et de vous à moi, pourquoi un libraire qui n’est pas du tout impliqué dans l’écosystème de la lecture numérique, inciterait son client à lire en numérique ?

Je ne doute pas que toutes ces initiatives (comme également la vente d’ebooks sous forme de carte postale dans les librairies, encore une belle utopie) partent d’un bon sentiment : inciter les lecteurs à passer à la lecture numérique ou encore impliquer les librairies physiques dans la vente de livre numérique, mais, au-delà de l’aspect légal qui n’est pas du tout réglé, sont-elles réellement pertinentes ? Sont-elles réellement réfléchies et ne vont-elles pas créer l’effet inverse de ce qu’elles promettent ?

Ce que je constate au fil du temps, c’est que de plus en plus, on aborde le numérique que s’il est intéressant pour vendre du papier. Même les éditeurs nativement numérique changent progressivement leur fusil d’épaule et pas toujours pour les bonnes raisons (on fait du papier bien souvent pour rentrer dans le moule et se faire bien voir de la chaîne du livre, pour présenter sa pile de livres papier dans des salons du livre d’un bled perdu). Si ceux qui font du “numérique” en natif ne croient plus à la force de ce format de lecture, comment arriverons-nous à convaincre les lecteurs à lire en numérique et à s’équiper en conséquence ?

Mais alors, si j’achète la version numérique, pourquoi n’aurai-je pas droit à la version papier gratuit ? Mais pour en faire quoi, en fait, puisque je lis exclusivement en numérique ?

Prochainement, ne manquez pas…

https://www.youtube.com/watch?v=emJtfS1dhVk&feature=youtu.be

--

--

Éditions Numeriklivres
Le blog de Numeriklivres

Éditeur et propulseur de littérature francophone grand public au format numérique (ebook) depuis mai 2010