GAFAM vs. BAT : les enjeux de l’ouverture

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5 min readNov 10, 2017

Sogou, moteur de recherche chinois récemment introduit en bourse, vient rappeler que les BAT constituent une réelle alternative aux GAFA. Acronyme de Baidu-Alibaba-Tencent, géants de l’internet chinois, les BAT ne se contentent pas d’être de simples suiveurs. Aux côtés des GAFA, ils façonnent la nouvelle économie, par le développement de nouveaux marchés (e-commerce, réseaux sociaux, services financiers, jeux…), et par le renouvellement des marchés existants. Ainsi, la poussée technologique occasionne une modification des comportements (des consommateurs, des usagers, des producteurs, des concepteurs…) et du fonctionnement productif. Car ces acteurs abondent l’innovation au sein des industries dites “traditionnelles”. Dans la voiture autonome, par exemple, en plus des constructeurs automobiles, on compte bien sûr Google et Uber, mais aussi Baidu, qui vient d’y consacrer un fonds doté d’un milliards de dollars. Et Sogou, détenu à 45 % par Tencent, a annoncé vouloir utiliser les fonds levés lors de son IPO pour être un vrai moteur de l’intelligence artificielle.

Le réseau e-commerce d’Alibaba compte plus de consommateurs que celui d’Amazon, Weibo plus d’utilisateurs que Twitter, et WeChat, application chinoise de messagerie, sur laquelle des fonctionnalités e-commerce sont présentes, rivalise avec Whatsapp et Facebook Messenger.

Les origines de la puissance

A l’origine de la puissance de ces géants chinois, on discerne deux éléments clés.

D’une part, le marché est extrêmement profond. La population chinoise avoisine 1,4 milliards de personnes et seulement une personne sur deux dispose actuellement d’un accès à internet. Autrement dit, les marges de progression sont immenses. Le nombre d’internautes avait déjà été multiplié par 7 en 10 ans. Cette densité et cette étendue de marché sont essentielles pour accéder à la taille critique, à partir de laquelle le coût marginal décroît rapidement alors que le revenu marginal est stable ou augmente. Dimension vitale, les BAT peuvent aussi escompter une intensification rapide des effets de réseau (plus il y a d’utilisateurs d’un service, plus il y a d’incitations à l’utiliser), du fait de la vigueur du tissu social chinois et de l’adoption rapide des nouvelles technologies.

Marc Zuckerberg sur la Place Rouge, à Pékin.

D’autre part, sur ce marché porteur, les entreprises chinoises de l’internet se sont développées en autarcie. De fait, une véritable muraille de Chine a été érigée autour de l’internet national. Facebook et Twitter y sont interdits, Apple est régulièrement obligée de supprimer des applications de son store et Google pèse moins de 10 % de la recherche en ligne. Il s’agit d’un des rares marchés, avec notamment la Russie où prédominent Yandex et Vkontakte, où Google et Facebook n’ont pas réussi à s’imposer. Ces deux pays manifestent un sentiment national fort et exercent un contrôle politique. Dans le cas de la Chine, le Parti communiste ne souhaite en effet pas qu’internet et les réseaux sociaux puissent jouer un rôle déstabilisateur. L’application du New-York Times avait donc été retirée de l’Appstore et, malgré les offensives de séduction de Marc Zuckerberg, Facebook n’est toujours pas officiellement autorisé. Cette segmentation de l’internet a atténué la concurrence et a favorisé la concentration de l’offre. Etant arrivés un peu plus tard que leurs concurrents européens, les BAT ont pu également apprendre de leurs erreurs, attirer des investissements plus aisément et attaquer des marchés déjà évangélisés. Toutefois, le contrôle politique peut être à double tranchant. Ainsi, à l’occasion du congrès du Parti communiste chinois, iQiyi, le Youtube chinois, a interrompu ses diffusions commerciales en faveur de messages politiques, ce qui a grévé son chiffre d’affaires prévisionnel de plus d’un milliard de dollars.

Un utilisateur captif

La concentration de l’offre est telle que moteurs de recherche (Sogou, Baidu), plateformes e-commerce (Taobao, Tmall, JD.com), réseaux sociaux (WeChat, Weibo) et sites de partage de vidéos (Tencent video, iQiyi, Youku Tudou) sont tous aux mains des BAT.

Par conséquent, le pouvoir de l’usager chinois est très faible. Il existe peu de produits substituables, et les usagers évoluent dans des écosystèmes clos, totalement autonomes. Quand le même groupe dispose d’un réseau social, d’une plateforme e-commerce, d’un site de streaming, et que tous ces services sont inter-connectés, les coûts pour passer à un autre écosystème peuvent s’avérer prohibitifs.

Nous l’avons vu, les barrières à l’entrée sont quasiment infranchissables pour le moment, du fait du contrôle politique mais aussi de la nature même de l’industrie : il est difficile de faire émerger un réseau social viable quand il en existe déjà aux moyens énormes et comptant des centaines de millions d’utilisateurs.

Les conditions sont donc réunies pour une forte rétention de l’usager. Si on ajoute à cela un esprit collectif puissant et une propension à l’échange développée, la rentabilité des géants chinois de l’internet semble assurée.

Les enjeux de l’ouverture

Bâtiments de la NSA

Les BAT ont pu se développer et apprendre en autarcie, tout en profitant des avantages de la libéralisation financière. En effet, comme Sogou, de nombreuses sociétés chinoises ont pu s’introduire sur les places boursières anglo-saxonnes : MongoDB, Alibaba, Baidu sont toutes cotées au NASDAQ. Rien n’empêchait non plus leur extension commerciale à l’étranger : ainsi, Baidu a, une dizaine d’années auparavant déjà, lancé une version japonaise de son moteur de recherche.

Dans la concurrence déjà naissante et en renforcement entre GAFA et BAT, notamment dans la voiture autonome ou le divertissement, les nord-américains partent avec un avantage de taille, rarement évoqué : une grande majorité des pages internet et des noms de domaine sont en anglais, ce qui influe fondamentalement sur le fonctionnement des moteurs de recherche et des systèmes d’exploitation en général.

Toutefois, la concurrence entre les GAFA et les BAT semble dépendre principalement des éléments politiques et réglementaires. Une des raisons pour lesquelles le pouvoir chinois n’admet pas Facebook et Twitter est qu’il ne souhaite pas que des entreprises américaines entrent en possession de données stratégiques sur ses citoyens. Le programme PRISM a sans doute renforcé cette position. Et même si les BAT ne sont pas exempts de sanctions (Baidu, Weibo et WeChat faisant l’objet d’une enquête), on peut légitimement croire que, vu les évolutions récentes (PRISM, soupçons d’ingérence russe dans l’élection américaine, taxe européenne sur les GAFA…), la pression des régulateurs européens et américains sera plus nocive aux GAFA que celle des régulateurs chinois aux BAT.

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