La maison intelligente : continuité des usages ou rupture ?

PRE-IPO
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8 min readSep 29, 2017

Il y a quelques jours, des milliers de ménages américains voyaient leur assistant connecté Google Home ou Alexa complètement détourné par la série animée pour adultes South Park[1]. Objets connectés, intelligence artificielle, blockchain, tous ces mots à la mode se conjuguent pour faire fonctionner la maison intelligente. Un marché en forte croissance, estimé à plus de 70 milliards de dollars en 2018, d’après Context Firm et Deutsche Telekom. Le terme de « maison intelligente » est lui-même intéressant puisqu’il suppose à la maison, au foyer, une autonomie, une personnalité propre et vivante. Communément, la maison intelligente bénéficie des technologies digitales et de l’information, ces dernières permettant l’intégration et l’adaptation des différentes fonctionnalités entre elles, régies par un opérateur central. Ainsi, dans une maison intelligente, chauffage, climatisation, éclairage, gestion des flux et sécurité sont optimisés et intégrés par un ou des systèmes informatiques auto-apprenants. Ce concept succède à celui de la domotique, très en vogue dans les années 90. Avec la récente commercialisation de Google Home en France, les 9 millions d’Amazon Echo vendus pendant l’hiver 2016 et, plus globalement, la grande publicité faite des géants technologiques, la maison intelligente s’impose comme axe de réflexion, au moins parce qu’elle nous touche dans ce que nous avons de plus intime : le foyer.

Un marché profond

Qivivo, leader du thermostat connecté, récemment acquis par Saint-Gobain

La maison intelligente constitue une opportunité réelle parce qu’elle concerne un marché pérenne et d’une grande profondeur. La question du logement intéresse effectivement une grande majorité des êtres humains. Et, pour la même raison, elle intéresse de nombreux secteurs et de nombreuses entreprises, à commencer par les industries traditionnelles de la construction et de l’aménagement de l’habitat. Ainsi, l’un des pionniers de la maison connectée est bel et bien la société française Saint-Gobain, entreprise pluri-centenaire, leader mondial de l’habitat et nommée pour la sixième fois de suite parmi les 100 entreprises mondiales les plus innovantes[2]. La société mobilisait en effet plus de 434 millions d’euros dans la R&D en 2015[3] et avait fait, la même année, l’acquisition de la start-up française Qivivo[4], productrice de thermostats connectés. Surtout, la multinationale française est connue pour la très grande qualité de ses verres, de plus en plus exigeants en termes d’économies d’énergie et d’isolation thermique, tandis que son Pôle Distribution se positionne clairement sur les marchés de la sécurité et des économies d’énergie au sein de la maison.

L’incursion des GAFAM

Alexa, Google Home, Siri et Cortana

Naturellement, les entreprises d’aménagement de l’habitat ont fait évoluer leur offre pour profiter des opportunités de la digitalisation. Elles ont petit à petit proposé des solutions pour l’ensemble des besoins (sécurité, énergie, chauffage, lumière…). Et puis, se sont engouffrées dans la brèche les célèbres GAFAM et autres entreprises technologiques. Ils se sont mis à proposer des assistants connectés, à reconnaissance vocale : l’Alexa d’Amazon, l’assistant Google Home, le Cortana de Microsoft… Le principe est de rendre les différents objets connectés interopérables, d’en optimiser le fonctionnement, et d’en faciliter la commande par l’humain. Ces géants du web ont pu naturellement envahir ce marché en tablant sur leurs bases gigantesques d’utilisateurs, mais aussi en raison de la complémentarité des services, par exemple la possibilité pour Google d’équiper son assistant de son système d’exploitation Android et de bénéficier de ses technologies de Natural Language Processing, forgées par l’expérience et améliorées chaque seconde. Par conséquent, à terme, Google sera capable de nourrir à la fois son moteur de recherche et les services associés grâce aux apprentissages de son assistant et à la fois son assistant par les milliards de requêtes déposées quotidiennement sur son moteur de recherche. On voit bien que les frontières entre matériel et immatériel s’affaiblissent chez ces géants technologiques, que l’on ne peut plus guère considérer comme de simples prestataires de services.

Un immense marché générique : les économies de services

AXA est déjà bien présente sur le marché de la maison connectée

Et, par extension, la maison connectée a créé un marché générique bien plus important. Les secteurs de l’assurance, des transports ou encore de la distribution y sont déjà positionnés. De fait, à partir du moment où, par exemple, une société distributrice d’énergie collecte plus de données et de meilleure qualité sur l’usage de ses clients, elle peut adapter sa production, mieux anticiper la variabilité, améliorer sa relation client. Quant aux sociétés assurantielles, en connaissant mieux leurs clients, elles peuvent proposer une facturation individualisée, et donc plus juste. On pourrait même imaginer atteindre cette perfection économique de marché selon laquelle chaque ménage se verrait proposer un tarif différent ; il y aurait alors possibilité pour les assurances d’accroître considérablement leurs revenus en discernant mieux les prix de réserve et les risques. Côté assuré, il devient plus aisé de communiquer avec l’assureur, notamment en cas de dommage ou d’urgence, et plus aisé de fournir des preuves du dommage. Et puis, les assistants connectés sont capables de mettre à jour les listes de courses en tenant les membres du foyer informés de leurs réserves alimentaires, ils sont capables de prendre des commandes… Autant de possibilités très grandes pour les secteurs concernés, et donc autant de raisons de mettre en place des partenariats avec les producteurs d’objets connectés, avec des modèles de partage de revenus et de rétro-commissions. A ce moment, les distributeurs peuvent s’assurer des revenus récurrents et supplémentaires, particulièrement utiles pour viabiliser leur modèle économique, et qui leur procurent un coussin en cas de crise.

Sécurité et propriété des données, l’enjeu fondamental

Evidemment, la pérennité de ce marché est fondamentalement conditionnée à la problématique de la vie privée, de la confidentialité et de la sécurité des données. Or, la confiance accordée par les utilisateurs est loin d’être acquise, notamment en raison de la multiplication des cyberattaques de grande ampleur. Récemment, la SEC, l’AMF des Etats-Unis, et Equifax, une des plus importantes agences de notation de crédit des Etats-Unis, ont admis avoir été hackées. Plus près de chez nous, la SNCF, Renault, la NHS, la Banque centrale russe ou encore Rosneft ont été attaquées entre mai et juin derniers[5]. En outre, la maison étant associée à une sphère d’intimité, il est légitime de se demander si ces objets et assistants ne sont pas trop intrusifs. En effet, l’épisode South Park a montré que les assistants intelligents écoutaient en permanence les conversations. Dans les conditions d’utilisation du Home[6], Google annonce écouter “de brefs extraits de conversation (ne dépassant pas quelques secondes) jusqu’à [détection du] mot clé”. Et bien qu’il soit annoncé que “tant que le mot clé n’est pas détecté, ces extraits sont supprimés et aucune information ne sort de l’appareil”, la possibilité d’enregistrement à l’insu de l’individu demeure. A l’opposé, MYXYTY, actuellement en financement sur PRE-IPO, fait partie de ces sociétés qui se positionnent clairement sur la confidentialité et la propriété des données. Née dans le sud de la France il y a une dizaine d’années, MYXYTY commercialise en marque blanche des objets connectés, et lance notamment l’industrialisation de son propre assistant de maison : le MyxyPod, conçu aux côtés d’IBM. La société MYXYTY laisse à ses clients entreprises la propriété de leurs données. En effet, les grandes entreprises sont en concurrence directe avec les GAFAM dans de nombreux secteurs (distribution, médias, services financiers, transports, etc.) et ne peuvent pas se permettre que leurs données stratégiques soient captées et utilisées par leurs concurrents.

Vers une plus grande satisfaction des besoins spécifiques

Finalement, il convient de s’interroger sur la signification même d’une « maison intelligente » et ses implications sur notre mode de vie. Dans la maison intelligente, il y a échange permanent d’informations, connectivité maximale et optimisation de l’habitat. Tout y devient tourné vers la performance. En fait, la maison intelligente semble accompagner plutôt que provoquer une révolution de société. Elle est un symptôme plus qu’un déclencheur. Elle résulte, elle procède, en même temps qu’elle entretient l’accélération de nos modes de vie, la réduction des délais (de production, de transport, de livraison), la désintermédiation. Dans son principe même, la maison intelligente a une vocation universelle. On pourrait croire que ces technologies sont réservées aux ménages les plus fortunés et aux pays occidentaux, alors qu’en réalité chaque ménage peut en profiter. Ainsi, les pays souffrant d’une faible disponibilité en ressources ou d’une distribution erratique d’électricité pourraient instantanément bénéficier d’objets connectés optimisant les flux ménagers. Et alors que de nombreux pays africains trouvent déjà le moyen d’améliorer leurs rendements agricoles grâce à des applications ou à des photos satellites, on peut tout à fait imaginer la diffusion dans ces mêmes pays de ces technologies pour maison intelligente. En conclusion, il semble que la maison intelligente accélère la convergence des usages en ce qui concerne la satisfaction des besoins physiologiques (fonctionnalités de base du logement : qualité des matériaux, entretien, consommation d’énergie…), cependant qu’elle est vouée à suivre les évolutions propres à chaque culture pour la satisfaction des autres besoins (sociabilité, transport, consommation alimentaire…). La maison intelligente, tout en fourmillant d’innovations, paraît donc poursuivre et enrichir les usages traditionnels plutôt que les révolutionner. Et c’est tant mieux, car une uniformisation des pratiques serait dommage pour la diversité humaine.

[1] Le Point, article du 21 septembre 2017 : http://www.lepoint.fr/pop-culture/series/south-park-detourne-les-google-home-et-alexa-des-telespectateurs-18-09-2017-2157949_2957.php#

[2] Site internet de Clarivate Analytics : http://top100innovators.stateofinnovation.com/content/saint-gobain

[3] Site entreprise de Saint-Gobain : https://www.saint-gobain.com/fr/saint-gobain-classe-parmi-les-top-100-global-innovators-pour-la-sixieme-annee-consecutive

[4] Les Echos, article du 13 janvier 2015 : https://www.lesechos.fr/13/01/2015/LesEchos/21854-114-ECH_saint-gobain-mise-sur-les-thermostats-connectes-de-qivivo.htm

[5] La Dépêche, article du 28 juin 2017 : http://www.ladepeche.fr/article/2017/06/28/2602549-nouvelle-cyberattaque-mondiale-plusieurs-sites-francais-touches.html

[6] Sécurité et confidentialité des données sur Google Home, https://support.google.com/googlehome/answer/7072285?hl=fr-FR, 26 septembre 2017

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