SpaceX : la nouvelle Compagnie des Indes ?

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7 min readSep 20, 2017
Fernand de Magellan, premier homme à avoir fait la jonction Atlantique-Pacifique, en 1520

Peut-on inscrire le nom d’Elon Musk à côté de ceux de Christophe Colomb, Amerigo Vespucci ou Magellan ? En 2002, souhaitant participer à la colonisation extraterrestre, il lançait l’entreprise SpaceX. Une entreprise qui doit permettre à l’humanité de devenir une espèce multi-planètes. Un idéal de découverte, d’exploration.

Le vaisseau Dragon doit ravitailler l’ISS et, à terme, y transporter des astronautes

Elon Musk incarne finalement la conjugaison pluri-séculaire entre l’intérêt particulier et la découverte savante désintéressée. Nous avons là un entrepreneur, menant des sociétés recherchant le profit, et qui se lance dans des aventures qui sont de nature coloniale. Des terres, des planètes sont découvertes, des territoires sont à conquérir. On croirait un condottieri de la Renaissance, un explorateur, un navigateur. Ceux-ci obéissaient la plupart du temps au pouvoir politique, lui-même motivé par la recherche de puissance, la suprématie spirituelle et religieuse ou encore l’opportunité économique associées à l’extension territoriale. Si Magellan a pu découvrir le détroit éponyme, c’est parce que le roi d’Espagne comptait sur lui pour ouvrir une nouvelle route des épices et de la soie.

La Compagnie néerlandaise des Indes Occidentales, un expert privé au service de la colonisation de l’Amérique du Nord

L’Amérique du Nord néerlandaise à son apogée, en 1674

On se souvient que les Compagnies des Indes avaient acquis un pouvoir tel qu’elles rivalisaient de puissance avec les Etats. Lors de la colonisation de l’Amérique du Nord, la Compagnie des Indes Occidentales avait même obtenu une délégation du pouvoir néerlandais pour proprement administrer et gouverner [1]les territoires situés autour de la Nouvelle-Amsterdam, territoires correspondant actuellement à l’Etat de New-York, au New-Jersey, au Delaware, et à une partie de la Pennsylvanie. De même, la course à l’espace est menée par nombre d’entreprises privées, qu’elles viennent de la Silicon Valley (Virgin Galactics, Blue Origin, SpaceX, United Launch Alliance…), d’Europe (Arianespace, Thales…) ou d’Asie (Aeroscale, Mitsubishi Heavy Industries…). Et certains estiment alors que la course à l’espace actuelle s’accompagne d’une inévitable privatisation d’un bien commun de l’humanité. Néanmoins, ces initiatives privées peuvent pallier les lacunes budgétaires des pouvoirs publics.

SpaceX, une très proche relation avec les institutions américaines

Rappelons le modèle économique de SpaceX. La société est le sous-traitant de l’armée américaine et de la NASA pour le lancement de ses fusées. Cela nécessite d’entretenir de bonnes relations institutionnelles, d’instaurer une confiance solide et d’être maître de l’information. SpaceX a pu bénéficier d’une importante transmission de savoirs de la part de la NASA. La société n’est donc pas née de nulle part. En fait, en confiant ces missions au secteur privé, les pouvoirs publics s’évitent bien des coûts. D’une part, parce qu’ils comptent sur l’efficacité du secteur privé, réputé moins dispendieux et plus prompt à agir. D’autre part, parce qu’en cas d’accident ou d’échec d’un lancement, comme cela fut le cas pour Virgin Galactics en 2009, les Etats s’évitent une déconfiture publique et une remise en cause sérieuse de leurs capacités stratégiques. Cela entre évidemment en jeu dans les relations internationales, où chacun se scrute, cherchant la faille à exploiter.

SpaceX a lancé, le 7 juillet dernier, une mini-navette spatiale pour l’armée américaine (capture d’écran YouTube)

La question est également de savoir si et comment les entreprises spatiales peuvent être financées. En effet, l’émergence d’une telle industrie représente un investissement de départ extrêmement important, tant sur le plan physique (sites et lignes de production, achat des matières premières et des composants, matériels de stockage et conditionnement…) que sur le plan immatériel (R&D et brevets, logiciels, sécurité informatique, investissements institutionnels…). La lourdeur de ces investissements et la complexité scientifico-industrielle sont propices à la formation de marchés monopolistiques ou oligopolistiques, puisqu’elles entretiennent de solides barrières à l’entrées. Dans le même temps, il peut se passer de longues années avant que ces entreprises génèrent des revenus conséquents et récurrents. La plupart sont tout juste au stade embryonnaire. Le développement du secteur passe donc, pour l’instant, par un apport massif de capitaux de départ de la part d’entrepreneurs qui ont réussi, et par le soutien continu de grands fonds d’investissement. C’est auprès d’eux que SpaceX a pu lever près de 350 millions de dollars en juillet dernier. Enfin, le fait est que la dimension stratégique de cette industrie continue à intéresser les Etats, même en période de consolidation budgétaire : ainsi, en 2017, la France alloue 2, 3 milliards d’euros de fonds publics dans le secteur spatial, en hausse de 10 % sur un an[2].

L’exploitation des ressources spatiales est l’El Dorado de demain

Le marché des ressources spatiales est évalué à plus de 1000 milliards de dollars par CNBC

On peut en fait diviser l’économie spatiale en cinq secteurs : le tourisme spatial, bien évangélisé mais qui a pris du retard, l’exploration, la sécurité, les télécommunications et l’exploitation.

Sir Richard Branson, pionnier du tourisme spatial avec Virgin Galactics

« Tout matériau qu’un citoyen américain rapportera d’un astéroïde lui appartiendra »

A la suite des Etats-Unis, dont la loi sur l’espace de 2015 stipulait « Tout matériau qu’un citoyen américain rapportera d’un astéroïde lui appartiendra », le Grand-Duché de Luxembourg a, en juillet dernier, promulgué une loi autorisant l’exploitation des ressources de l’espace, sous réserve d’obtenir un agrément du ministère de l’économie[3]. Jusqu’alors, l’essentiel du « droit spatial », concept sujet à controverse[4], était issu de la Guerre froide et veillait surtout à empêcher la domination de l’un ou l’autre pôle. Le traité de 1967 proscrit donc l’utilisation d’armes de destruction massive et oblige à une utilisation pacifique de l’espace. Il entretient des similitudes avec le fameux Traité sur l’Antarctique, proclamant que ce continent appartient « à tout le monde et personne ». De même, le traité sur l’espace de 1967 interdit la revendication territoriale des corps célestes et l’exploitation privée des ressources spatiales. Or, la société Deep Space Industries devrait lancer prochainement des premiers satellites de prospection. Planetary Resources, entreprise dans laquelle le Grand-Duché a investi 25 millions d’euros, souhaite exploiter les astéroïdes pour en extraire eau et métaux, comme le platine. A noter que la société compte parmi ses premiers investisseurs Larry Page, fondateur de Google, et, encore lui, Sir Richard Branson. La société estime entre 25 et 50 milliards de dollars la valeur d’un astéroïde de la taille d’un terrain de football. La présence dans l’espace de matériaux de valeur permettrait de pallier la raréfaction des ressources terrestres.

L’extraction minière des astéroïdes, objectif de la société Planetary Resources

De l’intérêt d’une surveillance publique de ces activités

En parallèle de leurs visées coloniales et de leur grand pouvoir, plusieurs de ces sociétés ont tendance à se comporter comme de vrais acteurs politiques. Elles prennent position au sein de l’espace public, comme en témoigne l’opposition bruyante de la Silicon Valley à la politique de Donald Trump, que ce soit concernant l’immigration [5] ou la question raciale. Elles mènent de larges actions philanthropiques. Des rumeurs bruissent quant à une candidature de Marc Zuckerberg aux élections présidentielles américaines de 2020. Prenant acte, le Danemark avait annoncé il y a quelques mois l’ouverture d’une ambassade dans la Silicon Valley.

Il ne s’agit pas de débattre du caractère visionnaire ou non de ces aventuriers 2.0. De fait, ils révolutionnent l’action spatiale, la dynamisent et parviennent à y intéresser le public. Il s’agit plutôt de créer un cadre juridique et économique permettant une conquête raisonnée de l’espace, qui puisse à la fois créer des assurances, une protection juridique pour les sociétés privées, et à la fois garantir l’intérêt général. Il est donc nécessaire d’être très rigoureux dans l’octroi de subventions publiques, dans la bonne gouvernance des sociétés, et dans l’allocation des contrats. Il en va tout simplement de l’avenir de l’exploration spatiale.

[1] American Nations. A history of the eleven rival regional cultures of North America. Chapitre “Founding New-Netherland”

[2] Journal La Tribune, article numérique en date du 12 janvier 2017 : “La France booste le budget du CNES en 2017”, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/la-france-booste-le-budget-du-cnes-en-2017-629755.html

[3] Journal Le Monde, article numérique en date du 31 juillet 2017 : “Le Luxembourg promulgue la première loi européenne sur l’exploitation des ressources spatiales”, http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/07/31/le-luxembourg-promulgue-la-premiere-loi-europeenne-sur-l-exploitation-des-ressources-spatiales_5167065_3234.html

[4] Droit de l’espace. Droit des activités spatiales. Colloque donné par le Pr. Armel KERREST pour le sous-comité légal de l’UNCOPUOS, à Vienne en 2007. http://www.unoosa.org/pdf/pres/lsc2007/symp-02-1F.pdf

[5] Journal Politico, article en date du 31 août 2017 : http://www.politico.com/story/2017/08/31/dreamers-tech-executives-urge-trump-protect-242236

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