Pourquoi mes amis et moi ne sommes pas allés voter ?

Cet article est rédigé dans le cadre d’un mémoire participatif, cliquez ici pour en comprendre le principe !

Je suis un terrible fils et un terrible citoyen

Au mois de décembre 2015, je reçois un mail de mon père qui me dit :

Je suis un terrible fils et un terrible citoyen car je ne suis pas allé voter. Je n’ai voté à aucun tour des élections régionales comme 66% des électeurs de mon âge.

Des excuses, je n’en ai pas vraiment : je suis inscrit sur les listes électorales de ma région natale donc il faut que j’y retourne pour déposer mon bulletin ; il y avait la queue à la gendarmerie pour signer une procuration ; je n’ai pas eu le temps de m’informer sur l’enjeu de ces élections…

Ce sont des excuses techniques plutôt qu’idéologiques. Détaché de tout sentiment d’appartenir à un courant de pensée, je n’ai pas l’impression de m’être abstenu par militantisme mais par simple désintérêt, ce qui est bien plus triste.

Le sociologue Raymond Boudon expliquait que l’on devait s’efforcer, pour comprendre les actions humaines, de rejeter les explications irrationalistes. En d’autres termes : les individus agissent parce qu’ils ont de bonnes raisons de le faire. Mais quelles seraient les bonnes raisons de ne pas aller voter ? Pourquoi je ne suis pas allé voter ? Ce non-vote est-il irrationnel ?

Les justifications sont nombreuses et semblent définir une profonde crise idéologique. En essayant de comprendre ces raisons qui nous poussent à s’abstenir, on prend conscience de l’ampleur de cette crise.

Je me suis appuyé sur différentes recherches de sociologues et j’ai décidé d’illustrer leurs théories à ma manière. D’abord avec des tweets qui témoignent le courant de pensée d’une génération et ensuite en posant simplement à mes amis cette question : “pourquoi tu n’es pas allé voter ?”

“C’est tous les mêmes”

J’ai passé quelques repas de famille où une conversation politique qui débute se conclut très vite par cette phrase assassine : “c’est tous les mêmes”. On a beau être un bon orateur, comment répondre à ça ?

Si l’on s’intéresse de plus près à cette phrase, on comprend qu’une souffrance de la mal-représentation essaye d’être exprimée.

Nous voyons depuis des années les mêmes figures politiques. Alain Juppé, qui se présente à la primaire des Républicains, a traversé trois décennies de la vie politique française. Même si l’âge n’est pas important car Charles de Gaulle avait 75 ans lors de sa première élection et Bernie Sanders à 74 ans, il faut comprendre qu’il existe un immobilisme politique dans notre pays. Cet immobilisme correspond à l’inertie des idées.

La durée trop longue des mandats ajoutés à la possibilité de les cumuler empêche une certaine respiration politique. Un représentant du peuple devrait transmettre l’idée d’un homme missionné pour le bien commun, au lieu de ça il minimise les risques pour assurer sa réélection. De cette manière, un système de castes tourne en vase clos au détriment de l’intérêt collectif.

Pour cumuler, la sphère politique est imperméable. Si nous y retrouvons toujours les mêmes visages, c’est que pour faire partie de cette classe il faut un bagage culturel et intellectuel important. Regardez le parcours scolaire de nos dirigeants vous constaterez un manque cruel de diversité.

L’ÉNA

“On préfère être entre énarques à l’UMP” Marine Le Pen

Le mot “énarque” a été inventé par Jean-pierre Chevènement. Il est employé dans son livre L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise où il critique “la sélection sociale des élèves, la logique du classement et la faiblesse de la formation” de leur ancienne école. Cette école est devenue un symbole de rupture entre le pouvoir et les citoyens. Le terme d’énarque est devenu un argument politique et démagogie.

À l’image d’un bouc émissaire, la figure d’énarque représente le manque de diversité d’une élite uniforme, censée représenter les citoyens. Mais sommes-nous bien représentés ? Votons-nous vraiment pour une élite ? Nos responsables politiques sont-ils représentatifs de la société ?

La mal-représentation

En étudiant les instances départementales, Thomas Amadieu et Nicolas Fremont expliquent qu’il est sociologiquement compréhensible que des ouvriers ou des employés peinent à se reconnaitre dans des assemblées composées majoritairement d’individus aux revenus, aux patrimoines et donc aux intérêts différents des leurs. Observons quelques chiffres livrés par l’émission Datagueule :

“Moins de 4% des membres de l’Assemblée nationale ont entre 25 et 40 ans. Dans la population française cette tranche d’âge représente 19% c’est-à-dire 4,5 fois plus.
À l’inverse 32% des députés ont entre 60 et 70 ans, là où cette génération représente à peine 11% des Français, presque trois fois moins. Au sénat 80% des élus sont des hommes, les sénateurs ne sont pas élus par le peuple mais par 162 000 grands électeurs soit 0,3% des inscrits sur les listes électorales en 2014. “

Le sociologue Pierre Rosanvallon a appelé ce déficit de la représentation “la mal-représentation”. Il explique :
“D’un côté, la constitution d’une société d’individus a consolidé les fondements de l’égalité, mais de l’autre, la société moderne a payé le prix fort de cette mutation qui a conduit à une altération de sa visibilité. Tout un pan de la société ne dispose plus des structures adéquates permettant d’organiser et de relayer les revendications du peuple.“

Cette théorie l’a poussé à créer le projet Raconter la vie qui a l’ambition de créer un Parlement des invisibles. À travers des livres et un site internet participatif naît le besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, les aspirations quotidiennes prises en compte. En faisant sortir de l’ombre des existences et des lieux, Raconter la vie contribue à rendre plus lisible la société d’aujourd’hui et à aider les individus qui la composent à s’insérer dans une histoire collective.

Le vote c’est la multitude face à un choix collectif

Les citoyens sont mal-représentés et l’on constate que les initiatives comme la limite de la durée des mandats, l’organisation de primaire ou la parité ne suffisent pas à réparer les mécanismes de la représentation. Nous verrons que l’image massive du peuple se transforme en multitude. Les citoyens cherchent à affirmer leur individualité dans une société ou voter consiste à choisir un camp. Un choix a la signification collective.

Si les citoyens ont le sentiment que les politiques sont les mêmes, c’est qu’en fait ils le sont ! Les mêmes personnes reviennent sans cesse sur la même scène politique. La crise de la représentation amplifie la rupture entre citoyens et élites politiques. Cette crise est à l’origine d’un danger profond pour notre pays : l’absence de regard neuf sur les problèmes à résoudre. Que se passerait-il si la scène politique s’ouvrait à d’autres métiers ? Comment un designer s’attaquerait aux problèmes que doit résoudre un politique ?

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