« J’aime me laisser guider par l’esprit du lieu. »

Prescient
prescient-innovations
6 min readJul 8, 2022

Rencontrez Lise Létourneau, artiste en résidence

Voici Lise Létourneau, notre artiste en résidence de ce mois-ci. Lise travaille avec le textile et crée des installations éphémères dans la nature. Elle est membre active de la communauté canadienne des arts visuels depuis plus de vingt ans, notamment en tant que présidente du RAAV de 2007 à 2012. Avec elle, nous avons abordé ce que signifie l’enregistrement numérique permanent d’une œuvre d’art physique éphémère, les changements survenus dans le monde de l’art au cours des deux dernières décennies, et la façon dont Dame Nature peut parfois emporter notre vision.

Lise Létourneau

Imprimo : Bonjour Lise,

Vous répondez aux questions d’Artiste en résidence depuis votre atelier à Shefford, Québec. Que voyez-vous depuis votre fenêtre ?

Lise Létourneau: Des fenêtres de mon atelier je ne vois que des arbres, tout est vert. Lorsque l’automne arrive, je peux déjà voir les tuyaux bleus branchés sur les arbres de l’érablière voisine. Je vis dans une petite municipalité de l’Estrie, ou Cantons de l’Est, qui se nomme Shefford. Située entre les villes de Granby à l’ouest et de Bromont au sud-est, je vis à proximité de tous les services tout en vivant dans une montagne magnifique. Mon atelier est spacieux, lumineux et très fonctionnel. Durant la pandémie, j’ai dû délaisser l’art in situ. J’ai retrouvé les joies du travail en atelier.

I : Vous travaillez avec des objets ou des textiles, parfois les deux, que vous placez dans la nature. Beaucoup de spectateurs — par exemple, celles et ceux qui vous découvrent sur Imprimo — prennent contact avec votre travail sous forme de photo numérique d’une œuvre tactile. Pouvez-vous nous dire comment vous conjuguez le travail avec la matière physique et le travail numérique ? Avez-vous en tête cette « traduction » du physique au numérique durant votre travail de création ?

LL : Lorsque je conçois une installation in situ, je dois impérativement penser au meilleur angle pour la photographier. Mes œuvres souvent très éphémères ne résistent pas longtemps aux intempéries. Si j’ai intégré des fils, de la laine ou autres matériaux, je les enlève à mon départ pour ne pas contaminer les lieux.

I :Pour que l’œuvre soit en harmonie avec le lieu où elle sera vue, qu’est-ce qui vient en premier lorsque vous créez ? Le lieu ? L’endroit ? L’idée d’une œuvre ? Un thème ou une idée que vous désirez explorer à travers votre art ?

LL : C’est souvent le lieu qui m’inspire et qui détermine la facture de l’installation. Il arrive parfois que j’aie une idée précise, mais c’est plutôt rare. J’aime me laisser guider par l’esprit du lieu.

I : Qu’est-ce qui vous interpelle dans l’art en trois dimensions, dans l’art tactile, en tant qu’artiste, et aussi en tant que spectatrice ?

LL : Je suis une fan finie des textures et des couleurs. Depuis la pandémie, plusieurs groupes textiles ont publié les travaux de leurs membres ou font circuler des œuvres d’artistes de renommée internationale, c’est un pur bonheur de voir tout ce que l’art textile nous offre à voir.

I : Avez-vous des anecdotes mémorables concernant l’installation de votre travail dans des environnements extérieurs qui échappent à votre contrôle ? Pouvez-vous en partager une avec nous ?

LL : J’ai en tête une œuvre réalisée à Montmagny, qu’on peut voir dans la série présentée au Festival international de photos d’Antiparos l’an dernier en Grèce. J’étais sur le bord du fleuve Saint-Laurent, la marée était basse et il y avait des herbes vertes qui pointaient au travers de la vase grise. Je n’avais que mes ongles pour les couper. Plus j’allais creux, plus le vert devenait tendre. J’ai passé plusieures heures à faire des petits ballots que j’attachais avec les tiges. Mon idée était de les insérer entre deux gros rochers de granit. Les ballots ne mesuraient pas plus de 17 centimètres de longueur. Je n’avais pas encore terminé de les installer que la marée commençait à monter. Je défais tout et je grimpe au sommet des rochers et recommence. Je photographie et je pars chercher mes amies qui peignaient un peu plus loin. Nous arrivons sur les lieux, les petits ballots flottaient un peu partout au-dessus des blocs de granit. J’avais oublié que durant la saison des grandes marées, l’eau peut parfois monter jusqu’à plus de trois mètres.

de la série Les surgies du fleuve

I : Vous avez à votre actif de nombreuses expositions, et certains de vos projets se sont déroulés sur plusieurs années. Parlez-nous de la relation avec votre auditoire lorsqu’une œuvre est continue dans le temps, comme votre Projet Roches nomades.

LL : Le projet Roches nomades, présenté en collaboration avec l’artiste Wanda Campbell, demeure un souvenir impérissable. Il s’est échelonné sur cinq ans. Les roches ont été présentées dans huit lieux au Québec et à Sudbury. Ce projet consistait à dresser une très longue table de 24 couverts avec des plats entièrement confectionnés avec des roches. Lors des vernissages, nous étions habillées comme des « waitress » des années 50. Vêtements noirs, tablier et gants blancs, coiffe blanche où était inscrit : « Roches Nomades ». Nous présentions aux gens des cabarets de roches emballées dans des papiers de couleurs comme si c’était des chocolats. Les gens choisissaient et automatiquement se mettaient à nous parler de leur rapport avec les roches. Certains en avaient même dans le fond de leurs poches. Les échanges étaient spontanés, ils avaient vite compris les codes de l’installation et ça les faisait rigoler. En 2002, nous avons eu la chance de participer à l’événement Montréal en lumière. Tout comme lors des vernissages, nous proposions des roches aux passants sur la place Desjardins au centre-ville de Montréal. Des artisans offraient également des bouchées de leurs produits, nous devions constamment rappeler aux gens de faire attention à leurs dents et que non, nous n’étions pas commanditées par des dentistes. Ils prenaient un temps fou à choisir, parfois en demandaient une autre pour une sœur, un ami, et certains revenaient même l’échanger. Quelle expérience!

I : D’après votre expérience en tant qu’artiste et votre engagement dans la communauté en tant que membre d’organismes tels que le RAAV, quel est, selon vous, le plus grand changement survenu dans le monde des arts visuels au cours des 20 dernières années ?

LL : En fait, il y a eu deux changements majeurs au cours des 20 dernières années dans le monde des arts visuels. Le premier changement, en 2014, fut la victoire à la cours suprême du Canada obtenue par RAAV et CARFAC contre le musée des Beaux-arts du Canada, et deuxièmement, tout frais tout chaud, en juin 2022, la réforme sur la loi québécoise sur le statut de l’artiste. Une loi qui obligera les diffuseurs à négocier avec les associations. Un souhait pour réaliser un triplé, obtenir le droit de suite lors de la réforme sur la loi fédérale du droit d’auteur.

de la série Les surgies du fleuve

I : La dernière Artiste en résidence, Randa Hijazi, vous pose cette question : Nous savons toutes et tous que les arts visuels sont une forme d’art élitiste et que seul un petit groupe de personnes acquièrent des œuvres. À votre avis, que faudrait-il faire pour que les arts visuels soient accessibles à tout le monde ?

LL : C’est un travail à long terme, mais seule l’éducation fera la différence. Si on regarde en Europe, la population est habituée d’aller au musée et de fréquenter les galeries, alors qu’ici, il n’y a pas si longtemps, seule la classe bien nantie fréquentait les établissements culturels.

I : Maintenant, quelques questions du tac au tac :

Quell·e·s sont les artistes, d’aujourd’hui ou du passé, que vous aimeriez rencontrer pour prendre un café ?

LL : Louise Bourgeois, Annette Messager, Giuseppe Penone et Andy Golsworthy.

I : Y a-t-il une compétence improbable que vous avez acquise grâce à votre pratique artistique ?

LL : Oui, la patience.

I : Vous souvenez-vous de la première œuvre que vous avez exposée publiquement ?

LL : Je crois que c’était une œuvre sur ma mère lors de l’année de la famille, au centre d’exposition de Mont-Laurier.

I : Quelle est la dernière galerie que vous avez visitée ?

LL : La galerie Simon Blais à Montréal.

***

TROUVER Lise Létourneau sur Imprimo

--

--