#quarante-deux

David Lallemand Pesleux
#Presque50
Published in
5 min readMar 25, 2018

De la famille.

Je n’avais pas vraiment prévu d’écrire sur le sujet, ni même d’y réfléchir. Réfléchir à sa famille, parfois ça fait peur. Les grands-mères se sont imposées car elles sont présentes à chaque instant ou presque dans ma vie. C’est ma sœur qui n’est pas ma sœur mais qui est plus de ma famille que certains membres de ma famille (qui se seront rappelés à mon souvenir uniquement par sms quand j’ai fait de la télévision) qui aura décidé de l’existence de ce #. « S’il n’y a pas un article sur moi là-dedans, je te tire la gueule », ou une phrase du genre, et voilà ! Vous savez maintenant que j’ai parfois du mal à dire « non ». Disons que ça dépend à qui. Elle, je ne peux rien lui refuser. C’est ma seule certitude dans un monde de doute, mon guide quand je deviens aveugle de colère ou de bêtise, ma bulle d’oxygène quand je suffoque dans l’injustice ou le mal d’amour, la lumière dans les ténèbres, le pansement sur les plaies de mon âme, la chaleur quand le froid s’installe, la paix quand tout est chaos.

Biologiquement parlant nous sommes, ma sœur et moi, aussi éloignés que, au hasard, Charles Michel et Elio Di Rupo, un rhinocéros et une libellule. Mais disons que, pour les relations humaines, on s’en sort mieux. Avez-vous déjà rencontré quelqu’un.e que vous avez le sentiment de connaître depuis bien avant votre première rencontre ? Quelqu’un.e qui partage avec vous une histoire commune même avant de l’avoir vu.e pour la première fois. C’est notre histoire à ma sœur et moi. J’étais l’aîné de ma fratrie et j’ai toujours voulu une sœur. Elle était fille unique et voulait absolument un petit frère. Elle porte le même prénom que ma mère, son père le même prénom que mon grand-père maternel et ses parents l’ont attendue dix ans comme mes grands-parents ma mère… Six ans nous séparent très exactement. Un niveau scolaire complet. De ce fait, nous ne nous sommes jamais rencontrés dans la cour de l’école et nous ne fréquentions pas les mêmes personnes. Et pourtant, nous avons vécu les mêmes histoires d’enfance, les mêmes bonheurs et les mêmes tragédies dans les mêmes familles. Que ce soit les exploits sportifs, les concours d’éloquence, les accidents de moto, à six ans d’intervalle, elle avec les aînés, moi avec les cadets, nous sommes passés par le chas identique d’une aiguille perdue dans la botte de foin d’un univers pourtant gigantesque sans jamais nous croiser.

Jusqu’à ce que celui qui a été son premier vrai mec et qui était devenu mon ami le plus proche nous fasse nous rencontrer il y a trente-cinq ans bientôt. C’était à Villers-Poterie. Une « boum » comme on appelait les « teufs » à l’époque. Dans la salle communale à côté de l’hôtel de ville. La musique qui passait dans ces soirées c’était 1984 ou Sweet Dreams de Eurythmics, Marcia Baila des Rita Mitsouko, A Different Corner et Careless Whisper de George Michael, Frankie Goes To Hollywood Relax, What is Love Howard Jones, Too Shy Kajagoogoo, Do You Really Want To Hurt Me Culture Club, Rio Duran Duran, il y avait toujours U2, Prince et David Bowie évidemment… J’en passe et des moins bons. L’adolescent que j’étais, qui roulait des mécaniques mais détestait se salir les mains, avait surtout besoin d’exister dans ce temps-là. Au milieu des Patrick qui roulaient en MG décapotable et n’avaient aucun mal à séduire les Valérie que tout le monde trouvait « waow » avant qu’on ne consacre « top biche » comme l’expression à la mode ; à côté des musiciens, des sportifs dont les abdos saillants faisaient défaillir les filles (et sans doute quelques garçons mais ça on ne le voyait pas) ; perdu imberbe au milieu des barbus virils même habillés en rose, ce n’était pas évident de trouver sa voie. D’autant qu’à la maison le baromètre familial annonçait plus souvent un ciel couvert et des orages que des éclaircies et du grand beau temps. Mes parents ont fait du mieux qu’il pouvait avec ce qu’ils avaient. Etre mère, être père, c’est le métier le plus difficile du monde et il n’y a pas d’école pour l’apprendre. Et, mon frère (mon sang) et moi, on a reçu de l’amour dans un « machin » en équilibre instable qui a, en partie, fait de nous ce que nous sommes devenus. D’honnêtes hommes.

Il y a autant de façon de grandir qu’il y a d’enfants dans des familles. Dans la nôtre, on a morflé, on n’a pas rigolé tous les jours, on a grincé des dents et pleuré sans doute plus souvent qu’à notre tour. Mais on a aussi mangé tous les jours à notre faim, reçu une éducation dans le sens noble du terme où les valeurs de partage, de tolérance et de solidarité n’étaient pas absentes. On est allé en vacances dans le Gard. On m’a permis de faire du piano plutôt que du football. On nous a épargné les bondieuseries. Et, le plus important, on nous a donné de l’amour. Parfois à côté, maladroitement, mais de l’amour, du vrai. La famille c’est ça : celles et ceux que la vie vous impose agrémentés de celles et ceux que vous choisissez pour compléter le tableau et traverser le temps. Et puis il y a le clan : le cercle rapproché de celles et ceux sans qui vous avez l’impression de devenir le jouet du vent.

Cette famille imparfaite, estropiée, blessée, avec tous ses défauts, je ne lui ai pas toujours fait confiance pour accueillir celui que je savais que j’étais et qui s’est longtemps caché. Pourtant, il n’y a pas eu d’avant et d’après. Elle est restée cette famille qui boite sans se soucier de mes problèmes d’orientation sexuelle ou de genre. Le soir de mon coming-out mon père regardait « Notre Dame de Paris » (la tragédie musicale) à la télévision et augmentait ostensiblement le son de l’appareil au fur et à mesure que le récit se précisait. Il a du mal avec les émotions mon père. Mais quand celui qui allait devenir mon mari s’est présenté à lui la main tendue pour la première fois, des lustres plus tard, mon père l’a saisi par l’épaule pour l’amener vers lui en disant « si tu dois entrer dans la famille, autant s’embrasser tout de suite ». Même si, étant jeune, j’ai voulu croire longtemps qu’on m’avait échangé à la maternité, aujourd’hui, à presque cinquante ans, il m’arrive à la lumière blafarde d’un ascenseur de voir le visage de mon père dans le miroir qui me renvoie mon image. Et, franchement, ça pourrait être pire.

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David Lallemand Pesleux
#Presque50

Spécialiste en généralités. Journaliste à mes heures. Au service des droits de l’enfant. J’avais un mois en mai ‘68.