#quarante-quatre

David Lallemand Pesleux
#Presque50
Published in
5 min readMar 27, 2018

J’aime !

Le pouce de Facebook, c’est une manière de décoder nos contemporain.e.s.

Il y a des thèses de doctorat à entamer sur le profilage que permet le listing du « like » d’une personne sur le média social qui est la preuve virtuelle que les goûts et les couleurs se discutent, voire se disputent, bien. Le plus souvent sans rien apporter de substantiel à nos facultés à mobiliser notre intelligence collective. « Dis-moi qui tu « likes » je te dirai qui tu es » ! Et c’est tellement vrai que celles et ceux qui peuvent en profiter financièrement ne lésinent pas sur les moyens pour passer votre intimité au crible et donc aussi cibler la publicité qui vous est destinée. Ce n’est plus un secret pour personne, aujourd’hui, si vous avez un jour acheté des slips, d’une banalité dont même les kangourous n’oseraient pas se réclamer, sur Internet, vous allez voir apparaître dans votre fil d’actualités Facebook tout un tas de promotions sur la lingerie masculine, pas toujours du meilleur goût, voire carrément cochonne. C’est pareil si vous faites une recherche sur la Thaïlande dans Google, dans la foulée vous allez recevoir une collection d’offres spéciales pour des voyages, à prix imbattables, vers le pays du sourire. Ou des invitations à consulter des sites de rencontres spécialisés dans le « lady boy ».

« Dis-moi ce que tu aimes, je te dirai qui tu es » ? Bonne chance !

Comment expliquer à quiconque est un peu cartésien que l’on peut être apostat et continuer à invoquer Saint Antoine quand on perd ses clés, sa voiture, son sac ou son mec ? Ce n’est pas si simple de trouver la résultante de tous ces axes, qui partent dans tous les sens, et qui constituent un être humain. Pourtant les algorithmes de Facebook prétendent pouvoir nous réduire à ce que nous « likons ». Alors je me suis demandé à quoi je pouvais bien ressembler en remontant le fil de mon historique personnel (c’est le nom officiel sur le média social et, sorti de son contexte, on se rend compte que c’est terriblement prétentieux). Les dix premiers « j’aime » : une photo de vacances de ML ; le Kroll du jour (celui avec les boîtes-aux-lettres luxembourgeoises en lien avec l’actualité du jour et un ancien Premier ministre belge) ; une photo noir et blanc d’un artiste qui réussit particulièrement bien le nu masculin et qui s’appelle Bernard André ; un tweet qui se moque de la photo postée par une Américaine, Tomi Lahren (ajouter au lexique), où elle a accroché un pistolet à l’élastique de son pantalon de yoga en réaction aux manifestation contre les armes à feu organisées par des adolescents partout aux Etats-Unis ; un tag sur les septante ans du droit de vote accordé aux femmes en Belgique ; un post satyrique d’une amie qui dénonce le commentaire sexiste d’un de ses admirateurs ; une photo de paillasson postée par DK où il est écrit « non » en grand ; un post de l’émission « Club Mania » sur Vibration FM ; un article de magazine sur les 48 milliards d’Euros belges planqués au Luxembourg et la photo d’un militant devant le centre fermé pour demandeurs d’asile 127bis.

On peut imaginer que l’échantillon était trop petit pour pouvoir tirer aucune conclusion de l’exercice… Mais on peut déjà déduire que celui qui s’est manifesté de la sorte est sensible à l’esthétique des corps, d’abord masculin, et aime la photographie, qu’il n’est pas membre de la NRA (National Rifle Association) et qu’il est sans doute un allié des défenseurs des droits des femmes et des étrangers en exil ; qu’il aime la musique électronique, qu’il est issu de la classe moyenne qui n’a pas les moyens de cacher ses sous dans les paradis fiscaux. Avec ça on ne va pas loin, mais on en sait assez pour vous balancer de la pub. Ce que ne dit pas ce portrait de vous, c’est ce que vous êtes en creux, qui vous êtes au-delà du « réactant », ce que vous aimez et qui ne s’explique pas, voire qui ne peut pas se manifester par un pouce levé comme aux jeux du cirque romains. Notre profil Facebook, même celui des plus militant.e.s d’entre nous, n’est qu’un succédané de la personne que nous sommes vraiment. C’est notre Canada Dry virtuel. C’est notre écorché sur l’Internet, notre effigie à vif.

Celui que je suis vraiment aime Joseph Kessel et George Orwell, Arthur Rimbaud, Cyrano de Bergerac et Dom Juan mais aussi la série Mystère de la Bibliothèque Verte ; Les Demoiselles de Rochefort, E.T. et Star Wars (épisodes IV,V et VI) mais aussi la totalité de la filmographie des frères Dardenne (parce que celui que je suis vraiment est aussi absolument subjectif), de Lars Von Trier et d’Eric Rohmer ; Charreneuve dans les Cévennes, Saint Marcel de Carreiret et Arpavon dans la Drôme pour les vacances ; les chips au paprika, le jambon persillé, la saucisse de Morteau, les fruits de mer, le chocolat noir avec de la nougatine ; les séries qu’on appelait télé et qui maintenant se regardent en streaming : La petite maison dans la prairie, le riche et le pauvre, Falcon Crest, Dynastie… Et plus près de nous, This Is Us, Transparent, Grace and Frankie, Game Of Thrones, Black Mirror,… J’aime Monsieur de Givenchy et Galop d’Hermès ; le bruit que font les vagues sur toutes les plages du monde ; les couchers de soleil à Ibiza ; les souvenirs des vacances chez mes grands-parents quand j’étais enfant ; New York mais pas Los Angeles ; les grands espaces ; les chiens ; les longs trajets en voiture, en train ou en avion ; Paris ; Londres ; mon jardin à Bruxelles ; le parc Duden ; le vin plutôt que la bière ; les fleurs ; les chaussures de sport mais pas forcément pour faire du sport ; …

Et avec tout ça, vous ne savez encore rien. De l’importance, pour moi, de ne pas juger sur les apparences. Et surtout pas sur un profil Facebook.



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David Lallemand Pesleux
#Presque50

Spécialiste en généralités. Journaliste à mes heures. Au service des droits de l’enfant. J’avais un mois en mai ‘68.