#trente-deux

David Lallemand Pesleux
#Presque50
Published in
4 min readMar 15, 2018

Je choisis Jonathan.

Si vous ne connaissez pas cette hilarantissime parodie québécoise des émissions de rencontres amoureuses télévisées, lâchez tout ce que vous faites, trouvez le premier écran venu et branchez-vous immédiatement sur « Je choisis Jonathan ». C’est parfait. Plus vrai que vrai. De la télévision qui, pour une fois, ne fait pas semblant de prendre les téléspectateur.trice.s pour des cons, je dis « respect ». Un excellent étalon de mesure (quand je vous dis qu’on ne sort jamais des images scabreuses sur le sujet) pour s’attaquer au modèle qui se veut sérieux. Je prends, au hasard, parce que c’est l’émission la plus proche de ce texte dans le temps, « L’Amour est dans le pré ». Et c’est vrai que tout de suite je choisis Thomas, l’ostréiculteur gay de Nouvelle-Aquitaine. Parce qu’il a une belle énergie.

J’ai jeté ma télévision (littéralement) il y a plus ou moins vingt ans. Aujourd’hui, c’est vrai, l’appareil n’est plus vraiment nécessaire pour être « contaminé » par les programmes qui circulent sur le net, Youtube notamment, par petits morceaux ou en totalité. Mais je dirais que c’est, malgré tout, une manière d’être protégé contre l’intrusion permanente, voire l’entrée par effraction, de ce média dans nos vies. On a tous un.e ami.e, un.e parent.e, un.e proche, qui laisse la télévision allumée quand il ou elle nous invite à la maison. On connait tous ou presque cette soumission à la lumière bleue stroboscopique et cette séance d’hypnose involontaire qui commence dès que nos yeux tombent sur l’écran et qu’on ne peut plus s’en détacher. Aucun sevrage ne permet de guérir complètement. Bref, la télé, c’est comme la drogue. Et on risque la rechute à tout moment quand on est abstinent.

Sobre (télévisuel) depuis près de deux décennies, j’avoue que je n’ai jamais regardé un seul épisode complet de « L’Amour est dans le pré » et que mes considérations partisanes, subjectives se concentreront donc sur un extrait de l’émission où le candidat Thomas a été présenté au public par une Karine Le Marchand dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Si mercato il y a pour les présentateur.trice.s ou animateur.trice.s de la télévision, la meuf elle peut s’attendre à ce que Télé-Québec lui fasse une offre au moins aussi intéressante que celle faite à Neymar par le Paris-Saint-Germain en football pour remplacer la blonde de « Je choisis Jonathan » dans Like-Moi ! (ajouter au lexique). Dans la série des clichés éculés sur les homosexuels, Karine ce n’est pas la queen, puisque ça c’est Thomas (c’est du second degré, au cas où hein), c’est l’impératrice de la caricature.

Avec sa belle énergie, la toujours très bien coiffée Madame Le Marchand, jusqu’à ce que le vent de la Nouvelle-Aquitaine souffle vraiment trop fort et que la production lui colle un bonnet, va enfiler les perles (bin oui, Thomas est ostréiculteur) d’un lourd collier de poncifs homos. Oser sortir à quelqu’un qui cultive les huîtres, à la télévision, que « ce n’est pas parce qu’il est gay mais on peut dire qu’il n’aime pas les moules », il fallait le faire et Karine l’a fait ! Franchement, ça aurait pu être drôle. Mais coincé entre un « tu es sûr que tu es homo, tu as déjà essayé les filles ? » et l’incontournable « tu fais viril », ça fait plutôt l’effet d’un ongle qui glisse sur un tableau noir. « Tu fais viril, toi » et notre Karine de chausser ses bottes de sept lieues en caoutchouc pour mettre les pieds dans le plat : « tu sais qu’il y a un nom pour ça ? Les « yag », c’est des gays à l’envers. C’est des gays qui ne se reconnaissent pas dans la culture gay : Mylène Farmer, Madonna, Dalida… Ils n’ont pas de mèches, pas de décoloration massive ». Voilà, voilà. Une véritable anthologie.

Je ne pense pas risquer grand-chose en mettant ma main à couper que Karine Le Marchand n’a jamais fait de blague sur les saucisses, voire sur sa féminité débordante, à un candidat hétérosexuel de l’émission qu’elle présente. Pas plus qu’elle n’aura jugé pertinent de poser la question de savoir s’il a déjà « essayé les hommes ». Mec à l’envers, ça donne « keum ». Pas un truc de tarlouze comme « yag ». L’objectif ici, c’est de charmer des prétendantes, romantiques, qui recherchent l’amour et la passion, pour qu’elles choisissent le candidat lambda, alpha mâle, comme prince charmant. Tout ça, avec une belle énergie. Basta. C’est là qu’on se rend compte qu’une émission de divertissement, dont l’ambition est de permettre à des couples de se former à une époque où la solitude fait des ravages à tous les étages de la société, ce n’est pas un programme si banal que ça. Et que quand cette émission rompt elle-même avec les codes qu’elle a défini, entres autres pour faire de l’audience, elle met en lumière ses paradoxes, ses aberrations, son sexisme et ses limites hétéro-normées.

C’est vraiment de la bonne télé.

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David Lallemand Pesleux
#Presque50

Spécialiste en généralités. Journaliste à mes heures. Au service des droits de l’enfant. J’avais un mois en mai ‘68.