Les outils déshumanisants du recrutement

Olivier Fortier
Primos Populi — Français
5 min readJun 5, 2018

Dans ma carrière, je me suis retrouvé assis sur les deux chaises du recrutement : comme candidat et comme gestionnaire recruteur. J’ai observé (et je ne suis pas le seul) un progression fulgurante dans l’apparition d’outils et d’approches pour recruter plus rapidement, plus facilement. Cela vient avec son lot de dangers.

Étant un agiliste convaincu qui a toujours eu un attachement fort pour la première valeur du manifeste Agile : « Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils », j’aimerais vous exposer à quelques utilisations d’outils que je juge questionables et déshumanisants dans le monde du recrutement. Il va sans dire, pour ceux qui me connaissent, ce sont également des red flags instantanés pour moi lorsque je suis ouvert au marché.

La fois où j’ai triché le processus d’embauche

C’était en 2016. J’ai triché. Suite à une entrevue téléphonique, on m’a fait passé un test psychométrique et un test de mathématiques (pour un poste qui demande 90% de soft skills?). Je n’avais parlé qu’à un recruteur. Pas à ma future équipe, pas à mon futur patron.

Après l’appel où l’on m’a annoncé que je recevrais les deux tests par courriel, je savais déjà que ça n’irait pas plus loin pour moi. Je n’ai simplement pas envie de travailler pour une entreprise qui choisit ses employés avec des algorithmes. Je veux une connexion humaine et chaleureuse. Je veux être choisi à l’unanimité par des gens. Mais j’ai décidé de jouer le jeu. Pourquoi? Hé bien j’étais entre deux emplois, j’avais du temps libre, je suis curieux et j’aime faire des expériences.

Je ne me rappelle plus tellement du test psychométrique, mais je me souviens avoir répondu un peu n’importe quoi. J’ai parfois donné les vraies réponses, mais poussées à l’extrême. Parfois j’ai répondu le contraire de ce que je pensais.

Pour le test de mathématique, ça c’était rigolo. Il fallait le passer sur un ordinateur, et le logiciel le saurait si on ouvre la calculatrice alors attention! Je ne suis vraiment pas très bon en mathématiques. J’ai sorti mon téléphone, je l’ai déconnecté du wifi, et je me suis laissé aller sur la calculette.

Comme j’ai fait n’importe quoi, je ne m’attendais rien d’autre que n’importe quoi comme résultat. Quelques jours après avoir accepté une offre ailleurs, le recruteur m’appelle et m’annonce que j’ai réussi avec grand succès les deux tests. Un peu surpris, j’ai répondu que j’avais accepté un emploi ailleurs déjà.

Je le regrette à ce jour, j’aurais dû engager une discussion avec lui, lui dire ce que j’avais fait, et voir comment il se sentait à ce sujet. J’étais un peu trop abasourdi pour penser à faire cela.

Les tests de personnalités dans le processus d’embauche

À la même époque, une autre entreprise m’a demandé, suite à une entrevue en personne, de remplir le test de personnalité MBTI (Myers Briggs Type Indicator). Je connais bien les types de personnalité MBTI, que j’utilise parfois comme activité de consolidation d’équipe. À prendre avec des pincettes, connaître le type de personnalité d’un collègue peut aider avec la communication.

Comme je connais déjà mon type, je leur ai immédiatement répondu que je suis INFP, excité qu’une entreprise s’intéresse à ce genre de choses. Mais il y avait déjà un bémol qui grandissait tranquillement dans mon esprit. Lorsqu’on connaît cet outil, on a tendance à déjà porter un biais par rapport aux relations selon les types de personnalités. On juge facilement le type inverse à nous comme étant incompatible. Sans parler des préjugés provenant d’une incompréhension plutôt globale de ce que sont l’introversion et l’extraversion.

Je suis un introverti. Les gens qui me rencontrent ne me croient pas. Je suis extrêmement efficace dans les discussions à 2 ou 3. Je prends souvent toute la place. Ce que je ne dis pas, c’est que je dois m’isoler par la suite pour recharger mes batteries. Mais je diverge. Les extravertis ont le vent dans les voiles depuis toujours. On m’a souvent donné des avertissements du genre : « attention, ce candidat est introverti ». Avec cela en tête, je sentais que c’était un terrain glissant d’utiliser un tel test en entrevue. Facilité à comparer les gens, facilité à être biaisé pour un type de personnalité plutôt qu’un autre. C’est d’autant plus dangereux si l’on fait passer le test à quelqu’un avant même de le rencontrer.

Ce n’est que plus tard que j’ai lu, sur la page des directives déontologiques du site officiel de la fondation Myers Briggs, le point suivant :

Il est contraire à l’éthique, et, dans plusieurs cas, illégal d’exiger à un candidat pour un poste de prendre le test MBTI si le résultat est utilisé pour sélectionner les candidats. L’administrateur ne devrait jamais conseiller ou déconseiller à quelqu’un une carrière en particulier, une relation personnelle ou une activité en se basant sur ce type d’information.

À la lecture de ce paragraphe, mon bémol était confirmé.

La facilité et la commodité, mais à quel prix ?

Monster, Indeed, Jobboom, LinkedIn. Probablement plein d’autres que je ne connais pas, incluant les outils maison. On ne manque pas de moyens technologiques pour se faire connaître, autant comme candidat que comme employeur.

Lorsqu’on est soudainement à l’écoute du marché, ça peut rapidement avoir l’effet d’une traînée de poudre. Et parfois on ne peut pas l’arrêter. Je me fais encore proposer des postes de développeur (et je n’ai pas touché à une ligne de code depuis 2013), de Scrum Master, deux rôles que je n’entrevois plus du tout dans mon avenir.

J’aime la technologie, mais pas lorsqu’elle fait fi du contact humain.

On m’a déjà fait une offre, avec salaire et avantages sociaux, sans même m’avoir parlé en personne. Ça devait être pressant (et ça, j’en parlerai dans la partie deux de cette série). On ne s’est pas demandé ce dont j’avais envie, on a simplement pris pour acquis que le salaire élevé m’intéresserait. C’est mal me connaître, et c’est exactement le point que je veux prouver : ça aurait été facile à savoir avec une rencontre, ou même un appel.

Je ne crois pas que ce genre de pratique soit très courant. Mais il s’agit là de l’extrême à son pire. Essayons de faire en sorte de ne pas en arriver là.

Les outils nous aident peu en ce qui a trait à connaître les aspirations des gens, ce qui les motive, la culture organisationnelle dont ils ont besoin pour être à leur meilleur, et spécialement, s’ils cadrent dans les attentes de l’équipe avec laquelle ils travailleront.

Les outils peuvent nous aider à trouver vite, embaucher vite. Mais la quantité est-elle si importante qu’elle doive primer sur la qualité? Comme tous les outils, c’est ce qu’on en fait qui compte vraiment.

Et, pour être égal à moi-même, si l’on me pose la très populaire question « Quel outil devrais-je utiliser pour sélectionner des candidats », je répondrai « Avez-vous essayé de leur parler? ».

Propriétaire de Primos Populi. En tant que gestionnaire, je préconise l’approche “les gens d’abord, et le reste suivra”. Mes sujets de prédilection sont la culture organisationnelle, le droit à l’erreur et l’abaissement du centre de gravité du pouvoir décisionnel. Je cultive l’épanouissement des gens.

http://www.primospopuli.com

Originally published at www.primospopuli.com on June 5, 2018.

--

--

Olivier Fortier
Primos Populi — Français

Owner of Primos Populi. I prefer to use a “people first, the rest will follow” kind of approach to everything I do.