Pour un nouveau contrat social - 2020

En complément des conditions de travail et de protection sociale, les grands défis contemporains que sont la justice climatique et l‘éthique technologique doivent réinventer le dialogue social. Et le travail doit redevenir un espace politique.

Maxime Blondeau
Printemps Ecologique
7 min readMar 11, 2019

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En novembre 2018, avec quelques amis, nous avons lancé un appel à l’engagement des professionnels pour la préservation de la biodiversité et du climat.

Nous avions cette conviction que les entreprises portent une responsabilité dans les dérèglements contemporains et qu’ils doivent faire partie de la solution. Plusieurs centaines de salariés ont répondu à notre appel et nous avons commencé à nous réunir dans des cafés pour évaluer les possibilités de peser sur l’appareil productif.

Pendant de longues semaines, nous avons dialogué sur la meilleure façon d‘agir au coeur des grandes et petites entreprises. Nous cherchions un levier d’influence à l’intérieur, dans le quotidien des salariés. Nous cherchions une stratégie de mobilisation…

En fait, sans le vouloir, nous parlions d’une action syndicale.

J’étais moi-même un complet néophyte dans ce domaine, donc permettez moi de définir quelques termes avec vous avant de commencer.

D’abord, qu’est-ce qu’un syndicat?

Un syndicat (issu de σύνδικος et syndicus, avocats des cités grecques puis romaines) est un regroupement de personnes en vue de la gestion ou de la défense d’intérêts communs. Le terme est surtout utilisé pour décrire les syndicats professionnels représentant les travailleurs, par opposition aux syndicats patronaux représentant les employeurs.

En pratique, un syndicat professionnel est simplement une association de salariés régie par le Code du Travail dont l’objet est la défense des intérêts matériels et moraux, individuels et collectifs, de leurs membres. Mais le point clé, c’est surtout que les organisations de salariés constituées en syndicats sont les seules admises à négocier les conventions et accords collectifs (L2132–2).

Les organisations syndicales ont le monopole des accords d’entreprise. Ce sont les seules à pouvoir signer des accords contraignants en entreprise.

Par effet de système, en tant que “corps intermédiaire”, les syndicats jouent un rôle majeur dans l’établissement du contrat social à l’échelle de la société.

Qu’est ce que le contrat social?

En 1762, trente sept années avant la chute de l‘Ancien Régime, J-J Rousseau appelait de ses voeux une révolution, et lui donna le nom de contrat social. Il nous faut établir, écrit-il, « une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. »

Dans nos démocraties représentatives, le contrat social est un contrat établi entre les différents membres d’une société, résultant du dialogue social.

Qu’est-ce que le dialogue social et que négocie-t-on dans une négociation collective?

C’est une négociation encadrée par la loi, une consultation ou un échange d’informations entre représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs (qu’on appelle ensemble “les partenaires sociaux”) sur des questions d’intérêt commun liées à la politique économique et sociale. On l’appelle “négociation collective”.

Le droit à la négociation collective, défini en droit social, s’établit sur le champ de l’ensemble des conditions d’emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales. (Art. 2221–1 — Code du Travail).

Voilà ce que nous pouvons négocier. Et trop souvent, çà s’arrête là.

Aujourd’hui, le dialogue social est à l’arrêt.

Depuis 150 ans, la révolution industrielle et le temps des mines, la liste des victoires sociales est longue, et ce n’est pas certainement pas le moment d’abandonner le terrain des acquis sociaux dans l’entreprise. Mais le problème principal relève du fait que les citoyens en entreprise se mobilisent de moins en moins pour les conditions du travail. La majorité des élus syndicaux partiront à la retraite dans les prochaines années, et 93% des salariés français ne sont pas membres d’un syndicat. La France est au dernier rang européen en termes de représentation syndicale.

Les salariés s’appuient-ils trop sur leurs acquis?

Toujours est-il que les nouvelles générations de salariés sont en quête d’autonomie, de sens et de cohérence morale, ils ne s’interrogent plus tant sur les conditions du travail que sur les conséquences de leur travail. L’urgence climatique et plus généralement écologique les préoccupe, tout comme la mutation des formes du travail.

Les anciennes générations poursuivent leur mission de défense des acquis sociaux et le plus souvent, nous pouvons être heureux qu’ils le fassent.Mais en 2019, les syndicats, comme les médias et les partis politiques, font l’objet d’une grande méfiance de la part des français (baromètre de la confiance politique, Cevipof). Les syndicats n‘inspirent pas confiance. Et dans la grande majorité des cas, les français ignorent tout simplement la puissance et le potentiel et l’utilité réelle de ces organisations. Du coup, ils ne s’engagent pas.

Essayons de reposer la question différemment.

Le périmètre actuel du dialogue social permet-il vraiment aux salariés de s’engager sur les terrains qu’ils jugent prioritaires?

Elargir le champ des négociations

Pour revitaliser le dialogue social tant qu‘il est temps et réengager les salariés dans un projet de société, la première étape consiste sans doute à intégrer les sujets d‘intérêt général dans les négociations de terrain.

C’est à dire repolitiser l’entreprise autour de valeurs communes.

C’est la seule façon rationnelle de construire et de signer un nouveau pacte social dans un contexte d’urgence.

De quelles urgences parle-t-on?

Ecologique.

Dans le cadre du travail salarié de millions de citoyens, il serait temps de négocier des pratiques économiques, industrielles et agricoles plus saines dans une nouvelle relation avec les territoires et une meilleure gestion des ressources. Il devient urgent de se prémunir collectivement contre les pollutions physiques et chimiques de l’air, de l’eau et du sol, de protéger la biodiversité, développer l’économie circulaire, les transports et les énergies propres. En complément des ONG et des partis politiques, les travailleurs sont extrêmement bien placés pour peser sur les modèles économiques.

Technologique.

Nous venons de découvrir un continent numérique riche en possibles, un feu prométhéen qui nourrit d’un côté et brûle de l’autre. Pour protéger nos libertés dans le siècle à venir, nous devrons collectivement être attentifs à la sobriété numérique, aux mutations sociocognitives, aux données et à l’intelligence artificielle. Il devient impératif pour les salariés d’engager dès maintenant la responsabilité éthique de leur travail dans le domaine des sciences et des biotechnologies. Tout est lié, les questions écologiques ne peuvent être posées sans y inclure les grandes orientations technologiques.

Sociale.

Les inégalités climatiques sont intimement liées aux inégalités économiques et sociales. Il devient nécessaire, dans un contexte de crise écologique, d‘anticiper l’évolution de l’emploi, la distribution des ressources et des richesses pour concilier impératif écologique et justice sociale. Pour sortir de la crise de légitimité que traversent nos démocraties représentatives, il est urgent d’engager au coeur des organisations une plus grande représentation collective, avec des corps intermédiaires sains et un dialogue sur les priorités du siècle.

Transformer le droit social

Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, les choses peuvent basculer rapidement. La majorité de ce que nous touchons et voyons a été manufacturé par les hommes très récemment. Notre système peut donc basculer ou se réformer, si des actions collectives se coordonnent.

Mais pour permettre à ces actions collectives de transformer plus rapidement et de façon plus vertueuse notre appareil productif, c’est le champ du droit social qu’il faut élargir; il doit permettre aux négociations collectives de prendre en compte l’intérêt général, c’est à dire, pour la première fois, l’impact du travail sur la collectivité.

Le dialogue social doit entrer dans l’ère post-industrielle et le Code du Travail doit être mis à jour.

Non pas en le détricotant, ou en affaiblissant les acquis sociaux, mais au contraire en y intégrant les défis du siècle. Le dialogue social doit se renouveler et entrer dans un nouvel âge.

Le problème si épineux du climat ne pourra se résoudre autrement que par un nouveau contrat social qui résulte à la fois d’une concertation et d’un rapport de force. Nous devons transformer notre économie prédatrice en une économie inclusive.

Comment?

Comme toujours,

Par la prise de conscience, puis par les actions collectives.

Ce discours vous interpelle? En 2020, nous lançons du premier écosyndicat de l’histoire, Printemps Ecologique, que vous pouvez retrouver sur Linkedin, Facebook et Twitter.

A très vite.

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