Sur le productivisme

Maxime Blondeau
Printemps Ecologique
3 min readMar 7, 2020

“Seule entre toutes les civilisations de l’histoire, notre civilisation s’est appliquée avec la même énergie à fabriquer des quantités toujours plus grandes de tous les produits, depuis l’alcool jusqu’aux explosifs, depuis les canons jusqu’aux aéroplanes, sans jamais qu’inquiéter de l’usage qu’on en ferait. C’est ainsi qu’on a fabriqué des quantités énormes d’alcool ; et qu’après les avoir fabriquées, on les a fait avaler aux masses, même au risque de détruire des peuples entiers.

Les sources premières du vice sont dans l’industrie et non dans les hommes.

Ce n’est pas la soif des hommes qui oblige l’industrie et l’agriculture à produire les boissons en quantité toujours plus grande : ce sont l’industrie et l’agriculture qui, entraînées par le formidable élan économique du monde, augmentent la production et qui, pour l’écouler toute, apprennent aux masses à s’enivrer. La question de l’alcoolisme est, en somme, avant tout, une question de surproduction. Nos ancêtres étaient beaucoup plus sobres non pas parce qu’ils étaient plus sages, ou plus vertueux, ou plus dévots ; mais parce qu’ils produisaient moins d’alcool et le peu qu’ils en produisaient était de qualité meilleure. Ils ne pouvaient pas boire l’alcool qui n’existait pas.
La conséquence est claire. Pour déraciner ce fléau, il faut que l’Etat revendique la faculté de limiter certaines productions pour des raisons morales et patriotiques ; c’est-à-dire d’imposer des limites morales à la puissance productive sans cesse croissante de l’industrie moderne”.

Guglielmo Ferrero, 1913.

Ce texte m’avait beaucoup marqué lorsque je vivais à Rome en 2013.

En 2020, je remarque que la remise en question du modèle productiviste pour “des raisons morales” disait Guglielmo - on dirait aujourd’hui pour “des raisons éthiques”- est un projet qui rassemble de plus en plus.

Il faudrait le vérifier par des enquêtes de terrain.

Beaucoup, au Printemps Ecologique, partagent cette vision d’une société post-productiviste, notamment pour des questions d’éthos, de comportement individuel et surtout collectif. Je n’aurais rien contre l‘idée que notre industrie produise toujours plus, toujours plus grand et toujours plus loin, si cela ne mettait pas en danger la faune, la flore, l’océan, la santé, le climat….

Je crois qu’on retrouve cette conviction dans la majorité des obédiences de France en 2020. Même quelques électeurs de droite, gaullistes ou centristes, souvent d’héritage rural ou religieux, y retrouveront le localisme et l’austérité paysanne; un électeur libéral optimiste, déçu de Macron, technophile, sensible au discours “croissance verte” porté par Villani ou Rifkin ne pourra que consentir à l‘impératif d’une adaptation du modèle productiviste. Cette ligne fonctionnera bien sûr pour une approche type Edgar Morin ou Nicolas Hulot, construite sur la notion de croissance sélective. Et cela va de soi pour les profils classés écologistes radicaux ou insoumis, dont la conviction est depuis longtemps la décroissance ou la post croissance, et qui — l’avenir nous le dira — auront peut-être constitué une avant-garde.

Ceux qui s’opposent à cette idée sont ceux — et il y en a à droite, au centre et à gauche, qui se représente le développement économique et politique en dehors de toute considération morale.

Ma conviction? Nous devrions, autour de cette intuition partagée, rassembler tous ceux qui lisent dans la remise en cause du productivisme, un nouveau projet politique. Un tel discours, de fait radical, pourrait engager une transformation profonde de notre économie en dessinant un modèle plus sobre et rationnel qui, au détriment de la quantité, valorise la qualité et la mesure. Pas suffisant sans doute pour projeter une vision complète et homogène, mais certainement nécessaire pour penser l’avenir…

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