Résilience — la Playlist

Pause. Ces temps de confinement donnent aux plus chanceux d’entre nous la possibilité de nous interroger, plus en profondeur que d’habitude. Exit donc les chaînes d’info en continu, les fils des réseaux sociaux, on accède de nouveau à une information complète, riche et lentement distillée.

Thomas Marcus
Printemps Ecologique
5 min readMar 25, 2020

--

On m’a récemment demandé quelles étaient mes recommandations en termes de lectures sur les problématiques environnementales (non pas que je fasse autorité en la matière, mais, ayant lu pas mal sur le sujet, je peux humblement proposer une liste décente).

Si les questions que soulève la période que nous traversons sont loin d’être exclusivement d’ordre environnemental, elles concourent bien souvent à des remises en cause structurelles de nos modes de vie et nos manières d’être. De cette remise en cause, un mot émerge : résilience.

La résilience s’entend comme la capacité à absorber les chocs, tous les chocs, y compris les plus frontaux et violents que sont les enjeux environnementaux (qui eux-mêmes entraînent en cascade des problématiques sociétales, philosophiques, anthropologiques, économiques, géopolitiques…).

Nous pressentions la nécessité de la résilience, nous voilà désormais face à l’imminence de son avénement. Nous en avons désormais l’occasion.

Voici donc ma read-list Résilience :

1) Le champignon de la fin du monde — Anna Lowenhaupt Tsing

Du caviar en entrée. Anna Tsing aborde, sous un prétexte ethnographique et écologique, les limites des mécanismes capitalistes. Le champignon matsutake est une icône au Japon : son odeur représente le début de l’automne, inspire les poètes nippons et sa rareté fait grimper son prix.

Pourtant, ce champignon ne pousse que dans les décombres de forêts monoculturales exténuées par le rythme effréné qu’imposent les humains. Quand le sol est massacré et que la plupart des autres organismes ont abandonné, le matsutake émerge, parfois. En ce sens, il ne peut être cultivé. On ne peut mettre sa production « à l’échelle ». Il n’est pas « scalable », caractéristique fondamentale des biens qui ont fait émerger notre système économique et sa logique accumulative. Le capitalisme parvient pourtant à capter le matsutake, par des diversions, par l’organisation de structures parallèles, dont il a le secret.

Toutes les grandes lacunes de notre système sont abordées : résilience, précarité et l’économie comme un enchevêtrement d’histoires singulières et non comme des silos indépendants poursuivant leurs préférences propres.

On se sent vraiment moins con à la fin.

2) Or Noir — Matthieu Auzanneau

L’histoire du pétrole ou comment voir le monde sous le seul prisme de l’or noir. Le pétrole est à la base de tout ce que le monde moderne nous offre, matériellement parlant. Quasiment tout.

Dans une période ou la cote de popularité des énergies fossiles décroit, ce livre apporte de la complexité à la réflexion, et fait tomber le mythe de la substitution parfaite des énergies renouvelables (voire du nucléaire) au pétrole. Le pétrole, de par sa densité en énergie, sa profusion et sa transportabilité, était un « cheat code » sans pareil que l’humanité a activé frénétiquement. Nous nous sommes littéralement drogués au pétrole. Se passer du pétrole revient donc à questionner en profondeur nos sociétés, afin de décider comment utiliser l’énergie qu’il nous restera une fois le sevrage achevé.

Cette réflexion mise à part, le livre montre à quel point l’histoire du pétrole fut trouble, à quel point les géants pétroliers ont contribué à façonner les cartes géopolitiques et ont infiltré les cercles de pouvoir des plus grandes puissances mondiales.

3) Comment tout peut s’effondrer — Pablo Servigne et Raphaël Stevens

Beaucoup plus abordable que les deux premiers, ce livre donne des armes de lucidité et permet à des profanes d’ajouter de la complexité à leur réflexion. « Un bouclier contre le greenwashing et les discours politiques trop simplistes en termes d’environnement, accessible à tous » aurait-on pu écrire sur le bandeau. On retiendra notamment que ce livre permet de se familiariser avec la notion essentielle de taux de retour énergétique TRE, souvent peu connue du grand public.

Malgré le titre alarmiste, il donne des pistes de résilience, moins sur les organisations que sur les comportements individuels. Elles portent sur les logiques coopératives, en opposition avec les valeurs de compétition largement dominantes dans nos sociétés. Ces pistes sont d’ailleurs développées dans le livre suivant de Servigne : L’entraide, l’autre loi de la jungle.

4) Invitation à la science de l’écologie par Paul Colinvaux

Un petit livre qui pèse une tonne d’enseignements. On se sent coupable de ne pas savoir ce que chaque chapitre présente, tellement leurs enseignements sont fondamentaux pour comprendre la vie, les écosystèmes et les relations qui les sous-tendent. Le meilleur investissement savoir/temps de la liste, assurément.

5) Les transclasses — Chantal Jacquet

Il fallait que je glisse malicieusement un livre de sociologie. La résilience implique une adaptation aux contraintes, notamment biochimiques/physiques, que nous impose la nature. Appliquée à la sociologie, cette notion revêt la capacité d’un individu à s’adapter à sa classe d’origine, ou à d’autres classes selon son parcours de vie.

Chantal Jacquet livre brillamment des exemples de transclasses (individus qui sont passés d’une classe, sociale notamment, à une autre) et rejette, tout comme Bourdieu, la notion de méritocratie, sans sombrer toutefois dans un déterminisme caricatural. Elle réalise l’exploit de transformer ce que Bourdieu considérait comme des « exceptions qui confirment la règle », en parties intégrantes du modèle de reproduction des classes sociales.

C’est passionnant à lire et d’une pédagogie rare pour un bouquin de sociologie.

6) Le consommateur planétaire — Eric Lambin

Un clin d’oeil à mon professeur de mondialisation, prix Planète Bleue 2019, qui signe un essai d’une rigueur et d’une honnêteté scientifique rares. Si vous voulez un avis précis, sans aucun parti pris, sur les conséquences, positives comme négatives, du commerce mondialisé sur l’environnement, précipitez-vous dessus (enfin restez confinés chez vous hein, mais faites en sorte que quelqu’un précipite ce livre sur vous).

Bonus tracks :

Factfulness — Hans Rolsing

(des outils pour déjouer les pièges que notre cerveau se tend à lui-même)

Le monde selon Monsanto — Marie-Monique Robin

(enquête très fouillée sur l’entreprise la plus détestée au monde. Existe également sous format documentaire sur Arte)

La vie secrète des arbres — Peter Wohlleben

(pour comprendre la finesse des interactions écologiques et pour les amateurs du livre de Paul Colinvaux)

Effondrement — Jared Diamond

(pour comprendre ce qu’il ne faut PAS faire)

J’ai testé cette liste : ça marche. Bien loin de décourager, elle donne envie de participer à cette nécessaire transformation sans précédent dans l’histoire humaine (le plus grand défi de l’histoire de l’humanité comme le dit simplement Aurélien Barrau).

Faites-en de même et bâtissons la résilience (une fois que la pandémie aura cédé la place à nos problèmes d’avant).

--

--

Thomas Marcus
Printemps Ecologique

Ingénieur, spécialisé en sciences/gestion de l’environnement et en droit de la propriété intellectuelle/ Ambassadeur @ecosyndicat à Bruxelles