Du bon usage de la laïcité (et du Printemps républicain)

Printemps Républicain
Printemps Républicain
6 min readMay 28, 2016

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Lors de la création du Printemps Républicain, nous avons posé un certain nombre de principes. Des polémiques récentes, que nous n’avons jamais provoquées mais auxquelles nous avons probablement trop peu répondu, montrent que nous n’avions pas exposé les choses assez clairement. Voici quelques rappels.

La laïcité est une composante essentielle des principes républicains mais ne les épuise pas

Le Printemps républicain a été créé autour des principes de la République. Principes parmi lesquels la laïcité tient une place éminente. Non seulement parce qu’elle est remise en cause de divers côtés, mais aussi et surtout parce qu’elle permet l’ouverture d’un espace public dans lequel les convictions « notamment religieuses », sans être tues ni niées, deviennent des éléments seconds de l’identité des individus au profit de ce qu’ils ont de commun, c’est-à-dire leur qualité de citoyens. Le rappeler est important, défendre la laïcité contre ses adversaires est essentiel. Pour autant la promotion des principes de la République ne se résume pas à la seule défense de la laïcité. Au contraire, parler de laïcité sans parler d’égalité — égalité hommes-femmes bien sûr, mais aussi justice sociale -, c’est négliger que la République forme un tout ; et c’est s’exposer au risque de rapporter tout débat politique à un clivage sur la seule question religieuse.

A plus forte raison, défendre la laïcité ce n’est pas seulement s’en prendre aux islamistes ou aux courants politiques et intellectuels qui légitiment leur discours

Nous avons abondamment démontré, collectivement et individuellement, que nous étions on ne peut plus claires sur la condamnation de l’idéologie frériste et salafiste, sur les dangers qu’elles représentent pour la jeunesse, pour les libertés des femmes, et sur la bienveillance que continuent à leur apporter des intellectuels de renom, des leaders politiques et associatifs ou encore certains médias. Mais d’autres dangers sont à dénoncer également : la puissance électorale du Front National, la force de pénétration des réseaux identitaires, l’impact du conspirationnisme. Les risques qu’ils font courir à la société française ne sont pas moins grands ni moins inquiétants. Il faut d’ailleurs noter les nombreux rapprochements qui s’opèrent entre certains de ces identitaires/conspirationnistes et les leaders du « frérisme » (l’idéologie des Frères musulmans) et du salafisme 2.0. Cela s’est vu dans les mobilisations contre les soi-disant « théories du genre ».

Défendre la laïcité, ce n’est pas faire une fixation obsessionnelle sur le voile

Le problème posé par l’islamisme est de nature politique, idéologique et culturel. Le port du voile est un enjeu de mobilisation symbolique pour les islamistes, mais s’ils ont choisi ce vecteur de mobilisation, c’est bien parce que ses usages, extrêmement divers et ne répondant pas à l’origine à un mobile religieux, peuvent fédérer. Il y a bien sûr de quoi s’inquiéter que le port du voile progresse, et surtout qu’il soit de plus en plus souvent le signe d’une telle revendication. On doit dénoncer fermement le fait qu’il puisse être imposé, en particulier à de très jeunes mineurs, ou que la pression mise pour qu’il soit porté se fasse de plus en plus forte. Mais en condamner par principe l’usage, sans précision ni condition, c’est non seulement ignorer l’exercice d’une liberté constitutionnelle — non pas une « liberté vestimentaire », mais bien la liberté de conscience et d’expression — mais aussi commettre l’amalgame fatal entre islam et islamisme. Fatal parce que faux. Fatal parce que les islamistes n’attendent que cela : faire du « voile » une bannière, alors qu’il ne l’est pas. Lorsqu’on le critique, ni l’excès ni l’approximation ne sont permis : ce sont des cadeaux aux islamistes. C’est le contraire qu’il faut faire : ne pas être dans l’excès ni la caricature, ne pas faire de toute femme musulmane portant le voile une victime inconsciente des enjeux ou une militante complice de l’enfermement, mais développer une critique de principe, sans concession sur le fond, respectueuse dans la forme. Ce qui est à critiquer est un système, et l’instrumentalisation de pratiques personnelles et collectives hétérogènes par une idéologie, et cela seul.

Défendre la laïcité, ce n’est pas dénoncer en boucle le « système »

Certes il y a beaucoup trop d’arrangements clientélistes au niveau local ; il y a eu souvent, de la part des formations républicaines, des paroles ou des gestes qui ont manqué, et plus largement une sous-estimation du sujet, par indifférence, par commodité, et, parfois aussi par calcul. Tout cela, nous ne l’ignorons pas, et c’est bien la raison pour laquelle nous avons annoncé que le Printemps républicain interpellerait les futurs candidats à l’élection présidentielle sur un certain nombre de sujets ayant trait à la défense et à la promotion des valeurs républicaines. Néanmoins, il ne faut pas se tromper d’adversaire : aussi critiquables qu’ils puissent être sur le sujet, les formations de gauche, du centre et de la droite modérée ne sont pas des agents d’influence du salafisme.

On peut soutenir, discuter ou combattre la politique économique et sociale du gouvernement actuel. Mais doit-on pour autant oublier que, pour la première fois depuis longtemps, et même si on ne partage pas toutes ses options, il s’est trouvé un premier ministre prêt à soutenir le combat pour la laïcité et prêt à descendre dans l’arène pour condamner ceux qui, à gauche, considèrent les salafistes comme des interlocuteurs valables, voire comme des alliés potentiels ? Occulter cette avancée, c’est nier le réel.

Par conséquent, on ne saurait accepter qu’au nom d’une défense qui se prétend intransigeante de la laïcité, on laisse se développer une rhétorique des « petits », défenseurs démunis de la laïcité, contre les « gros » qui chercheraient à défendre, par pure tactique électoraliste, les intérêts d’une majorité de gauche qui miserait sur l’électorat musulman, supposé acquis, pour les prochaines échéances politiques. Cette « doctrine Boniface » (du nom du spécialiste des relations internationales Pascal Boniface) ainsi qu’elle a été nommée au PS il y a quelques années, a d’ailleurs conduit son auteur à la rupture avec ce parti.

Certes, cette rhétorique essentialiste et communautariste a ressurgi ses dernières années. Elle rapproche curieusement les partisans d’une gauche qui se veut moderne et libérale, celle de Terra Nova, et la « gauche de la gauche » qui adhère aux théories de « l’intersectionnalité ». Le Printemps républicain n’adhère pas à ses approches. Il appelle à les combattre pied à pied dans les partis, les syndicats, les associations avec l’objectif de convaincre les camarades, élus, dirigeants, du caractère délétère et suicidaire des options ethnicistes que portent, à fronts renversés, les marches de la gauche.

Etre de gauche, c’est certainement exercer son esprit critique, y compris envers ceux que l’on soutient ou dont on se sent proches. Et, dans un large mesure, surtout envers eux. Mais les accuser de complicité avec l’ennemi en s’appuyant sur une rhétorique anti-système qui ressemble comme une soeur à celle des formations populistes, certainement pas.

Le Printemps républicain n’est pas « anti-système » mais il n’est pas un agent du système non plus !

Un bien curieux reproche nous est adressé depuis l’origine : nous serions une officine agissant pour le compte du parti socialiste, chargée d’accomplir on ne sait quelle basse besogne en ciblant tel ou tel acteur de la cause laïque, mais surtout chargé de mettre sur orbite nos ambitions personnelles. Le Printemps Républicain est une démarche autonome et collective, permettant à des Français de tous milieux de se retrouver, d’échanger et de travailler ensemble. Il n’a pas été bâti pour servir la gauche institutionnelle, il n’a pas été bâti non plus pour la détruire. Il est juste en dehors, à côté, dans une démarche qui a sa spécificité propre. La plupart de ses fondateurs ne sont plus ou n’ont jamais été membres du PS. Aucun contact n’a eu lieu entre ses membres et le PS, et ce depuis sa création. Ceux qui pour des raisons de déontologie professionnelle avaient à prévenir leur supérieur hiérarchique l’ont fait, et n’ont rien fait de plus. Difficile d’être moins inféodé. Quant aux ambitions personnelles, quelles qu’elles soient et quelles que soient celles que l’on nous prête, il est à peu près évident qu’elles n’ont aucun besoin d’être servies par une entreprise associative difficile — on le voit — et chronophage, que les formations et les courants institués ont tout lieu de considérer avec circonspection.

Rappelons en conclusion ce pourquoi la République a été faite : pour construire et pour rassembler. Il faut certes se montrer impitoyables envers ses adversaires ; mais il faut en son sein accomplir tous les efforts possibles pour réunir et permettre à des citoyens d’origines, de convictions et de sensibilités différentes de vivre ensemble. Cela, et cela seul, compte à nos yeux.

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