Pour que vive l’école de la République

par David Leturcq

Printemps Républicain
Printemps Républicain

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S’il est un sujet fondamental pour la République, c’est bien celui de son école. Dès sa naissance, la République conféra à l’école une place centrale. Sur elle reposait alors l’essentiel des espoirs portés par le nouveau régime. À elle d’en assurer l’avenir. L’instruction publique avait alors deux vertus, qui la faisaient tant chérir : transmettre aux futurs citoyens la même culture ainsi que de l’esprit critique, et être une promesse d’émancipation et d’élévation. Ainsi, leur vie ne se résumerait pas à chercher la suffisance matérielle sans avoir à se soucier de politique, et l’école insufflerait à tous l’amour de la démocratie. Lorsqu’il fut certain que la France avait choisi un régime démocratique, l’école publique devint le cœur même de la IIIe République. Elle enfanta alors les fameux Hussards Noirs qui tenaient les écoles communales, permettant à des fils d’ouvriers et de paysans d’accéder aux plus hautes sphères de la société. Car l’école avait obtenu, au cours du XIXe siècle, cette vertu nouvelle qui la fait qualifier encore aujourd’hui d’ « ascenseur social ». À l’élite par le sang voulue par les régimes aristocratiques, la République substituait enfin une élite par l’excellence, à laquelle chacun pouvait prétendre accéder un jour…

L’école aujourd’hui: un champ de ruines

Au millénaire suivant, que reste-t-il de toutes ces gloires passées ? Ayons l’honnêteté de ne pas noircir le tableau. On peut se réjouir que tous les enfants bénéficient de la même instruction jusqu’au collège. Mais quelle instruction ! Les chiffres les plus optimistes parlent depuis plusieurs années d’un collégien sur cinq ne sachant ni lire ni écrire correctement (déchiffrage pénible de la moindre phrase en français correct). N’importe quelle personne soucieuse de l’évolution de l’école — en fait, quiconque a déjà lu une épreuve du certif’ passé à dix ans autrefois — s’aperçoit que son niveau d’exigence était supérieur à celui de l’actuel brevet des collèges, s’adressant pour sa part à des enfants de 14 ans, mais nous y reviendrons… Quelle conclusion en tirer ? « Le niveau baisse » — évidemment ! Et d’abord à cause de la destruction du primaire.

Le primaire est mort. Mort de l’autoritarisme qu’il subit depuis plusieurs décennies. L’auteur s’autorisera ici à puiser dans l’expérience familiale d’une grand-mère institutrice qui, ayant subi les pressions d’inspecteurs, vit son avancement gelé pour avoir refusé d’appliquer les nouvelles méthodes d’apprentissage de la lecture. Ces mêmes inspecteurs qui, peu de temps après, reviendront lui demander de reprendre une classe rendue en grande partie illettrée par ces méthodes. L’anecdote date, l’institutrice en question ayant cessé d’exercer il y a 22 ans. Le primaire a ainsi été relégué au rang de jouet entre les mains d’”experts” qui, mieux que les enseignants, prétendent leur apprendre comment apprendre à l’élève depuis maintenant plusieurs décennies, avec les résultats que l’on sait.

Alors oui : le cap change souvent, mais les mantras demeurent et ils ont la peau dure. L’ennui, voilà l’ennemi !

L’ennui, voilà l’ennemi !

Il faut donc abandonner la « posture verticale », laisser les élèves « construire leur savoir » (sic.). Déjà victime de cette maladie, notre école s’est vu infliger une dernière estocade, qui lui a été portée par l’inénarrable réforme des rythmes scolaires, qui entérine les inégalités entre communes. Celle-ci laisse ainsi le soin aux communes d’organiser leurs activités périscolaires, bien souvent… payantes. Au sens pécuniaire évidemment, mais aussi horaire : les emplois du temps doivent désormais être fixés avec la mairie, en compatibilité avec les activités périscolaires. Ce n’est pas faire preuve d’une immense originalité, que de s’interroger sur la nécessité d’un tel bouleversement, lorsque le triptyque « lire-écrire-compter » n’est de facto que peu — voire par endroits pas du tout, maîtrisé.

Et puis… le collège. Pour le collège, notons en premier lieu qu’il récupère des élèves sortis du primaire, c’est-à-dire au moins 18% d’élèves incapables de lire et d’écrire correctement aujourd’hui en France. Le rôle du collège est, en théorie, de donner des éléments solides de culture et de connaissances communs à tous, avant que n’intervienne la spécialisation à la fin de la 3e. Hélas, l’adoption du socle commun par la loi Fillon en 2005 coïncide, pour de nombreux professeurs, avec le début du glissement mortifère du savoir au savoir-faire, sous la pression des besogneux magiciens de la rue de Grenelle. L’époque où le professeur pouvait transmettre son savoir à ses élèves est révolue, ou ne saurait tarder à l’être. S’il en subsiste encore quelque chose, c’est à la résilience de ces amoureux de l’école de la République qu’on le doit. À ces professeurs qui cherchent malgré les ordres à simplement faire leur métier. Le lecteur pourrait croire à un peu d’exagération. Si seulement ! Abandonnez tout espoir que la situation soit plus douce que décrite en ces lignes. La bonne parole de la tête pensante de la réforme du collège [1], fidèlement portée par ses inspecteurs dans le cadre des « réunions de formation » ou autres conférences vous ouvrira les yeux. « Idéalement, on n’aura plus besoin de professeurs pour apprendre ». « Vous n’avez rien à transmettre à vos élèves », et même, « vous avez plus à apprendre d’eux qu’ils n’ont à apprendre de vous ». Alors : « peu importe s’il y a du bruit dans votre classe : cela signifie qu’il y a de la vie ».

Après des décennies de contrôle idéologique du ministère par les experts ès éducation (leur coup d’Etat scolaire remonte à la loi Jospin de 1989) il est temps d’en dresser le bilan. Et de faire le ménage de toute urgence.

30 ans de réformes scolaires : quels résultats ?

Il y a onze ans, Laurent Lafforgue, membre de l’Académie des Sciences, médaillé Fields (équivalent du Nobel en Mathématiques), tout juste nommé au Haut Conseil de l’Éducation fut contraint d’en démissionner la semaine même de son installation. La cause de cette éviction ? Il venait d’apprendre que pour sa première réunion au HCE, il serait fait appel aux “experts de l’Education nationale”. La nouvelle ne le laissa pas indifférent. Laurent Lafforgue s’indignait et s’émouvait, il est vrai [2], de voir la résolution des problèmes confiée à ceux qui en étaient la cause. Ainsi, depuis dix ans au moins, ceux qui avaient pour mission de redresser la politique éducative de notre pays avaient décidé qu’il valait mieux préserver les intérêts des experts qui nous avaient envoyés dans le mur, plutôt que des esprits neufs, capables de voir autre chose que des yeux usés par des décennies d’idéologie. Ce qui depuis dix ans ne produisait aucun résultat positif le devait au fait que nous n’avions pas encore assez essayé. Imparable !

Ce qui depuis dix ans ne produisait aucun résultat positif le devait au fait que nous n’avions pas encore assez essayé. Imparable !

Pour achever sur l’histoire récente de la politique éducative en France et passer un instant du général au particulier, il nous faut évoquer la dernière « réforme du collège ». Car elle illustre plus qu’aucune autre ces potions que l’on veut faire avaler à notre école quand elle ne les digère pas. Commençons par un chiffre simple : 72%. C’est le taux d’incompréhension des Français vis-à-vis du traitement médiatique de cette réforme (sondage réalisé pour le Comité Orwell en Janvier [3]). Ainsi, alors que la chose scolaire est ô combien vitale dans une démocratie, les citoyens s’estiment bien mal informés quant aux enjeux d’une réforme qui se veut pourtant « une révolution copernicienne », pour reprendre les termes de la ministre.

L’objet de ce texte n’étant pas ladite réforme, nous la résumerons rapidement : suppression de facto des langues anciennes, amputation des disciplines fondamentales de 4 heures hebdomadaires pour des EPI (exposés d’élèves mêlant les disciplines en théorie, usines à gaz douteuses en pratique : « Madame Bovary mangeait-elle équilibré ? », « Calculer la résistance du corps de Cloclo » , « organiser un tournoi de Slam », etc.) et bien sûr, de l’ « AP », ou accompagnement personnalisé en classes entières et mélangées, afin de s’assurer que les profs ne fassent pas cours à leurs élèves. Quel véritable républicain pourrait accepter que les quatre heures mentionnées plus haut soient retirées d’autres disciplines, dans le cadre d’un calcul et d’une appréciation laissés à la discrétion des établissements ? Certains élèves suivraient ainsi plus de cours de français alors que d’autres perdraient moins d’heures de maths ? Étrange conception de l’égalité que celle qui anime pourtant toutes les réformes scolaires, à en croire les discours de leurs promoteurs.[4]

Retrouver une ambition républicaine pour l’Ecole

Une fois dressé le bilan de ce qui a été et va probablement être fait, poursuivi, puis aggravé si rien n’est fait, il convient de dire ce qu’il s’agirait de faire.

Quelle mission pour l’école?

La première question fondamentale qui se pose est celle de la mission de l’école : il est temps de la définir, clairement. De réaffirmer que le premier rôle de l’école est d’instruire les élèves, et non de les éduquer ou de leur transmettre uniquement des valeurs. On peut légitimement nourrir bien des inquiétudes sur la mise en cause des valeurs cardinales de la République à l’école, mais ces valeurs doivent se vivre, et non se décréter.

Sur la laïcité, il est donc inimaginable de se contenter d’une charte et de quelques passages dans le programme d’EMC (Enseignement moral et civique), pendant qu’on admet — voire qu’on autorise — de graves intrusions du fait religieux à l’école. À ce sujet, quinze années avaient été perdues entre l’affaire du voile à Creil et la commission Stasi. L’abrogation de la circulaire Chatel est un immense pas en arrière, et le « livret laïcité », qui enjoint aux professeurs de ne pas confronter religion et science est également préoccupant. Nous finirons par payer le prix de nos reculades et de nos renoncements.

De même, à quoi bon affirmer l’égalité quand l’école meurt de l’égalitarisme de façade qu’on lui impose ?

De même, à quoi bon affirmer l’égalité quand l’école meurt de l’égalitarisme de façade qu’on lui impose ? Des dispositifs autrefois basés sur l’excellence des élèves et qui leur permettaient d’échapper aux déterminismes sociaux seront bientôt purement et simplement supprimés. Au nom de quoi ? D’une plus grande égalité ! Les dispositifs assurant la continuité seront essentiellement proposés à Paris. Bien curieuse égalité ! Seuls certains collèges proposeront encore les langues anciennes, véritable ascenseur social, dont nombre d’enfants de REP bénéficiaient pour s’extraire d’un milieu défavorisé et accéder à la culture fondatrice de notre République. Que n’a-t-on écouté les professeurs qui, depuis leur classe prioritaire, hurlaient que latin, grec et allemand constituaient autant de véritables vecteurs d’intégration par la culture ? Il est urgent, à l’heure où des territoires sont privés du meilleur de notre culture et enfermés dans un communautarisme dangereux, de redonner à l’école les moyens de transmettre à tous cette culture qui, si elle ne l’est plus, en mourra. Il est urgent pour cela de favoriser l’apprentissage de la langue. Quelle bêtise de la part du ministère, d’avoir imposé à tous une seconde langue vivante dès la cinquième, alors que le passage forcé d’une année à l’autre hissera sans aucun doute le taux de collégiens ne sachant pas lire correctement le français à 25 ou à 30% ! Mais rassurons-nous : ces chiffres sont peut-être d’ores et déjà atteints !

Prenons les choses dans l’ordre.

Former des professeurs

Nombre de professeurs des écoles regrettent le compagnonnage qui permettait aux professeurs d’être formés par un plus ancien qu’eux, et d’expérimenter des méthodes utilisées et efficaces, plutôt que celles tout juste extraites de l’esprit d’un chercheur de la rue de Grenelle, loin des salles de classe. Nombre de professeurs décrivent ainsi leur passage à l’IUFM comme une suite d’ateliers de fabrications d’affiches, et de lecture de manuels… Loin, là encore, de ce que devrait être une réelle formation à l’enseignement en primaire. Ne vaudrait-il pas mieux une formation auprès de leurs ainés comme c’était le cas avant les IUFM, dont le maquillage en ESPE ne change pas drastiquement le fonctionnement ? La lecture de quelques témoignages de professeurs est assez édifiante : on en tire l’image d’une longue période d’initiation à des doctrines bien éloignées de la réalité des classes, où il faut savoir allier habilement pédagogie et autorité. Le nouveau maître arrive souvent bien désarmé face à une classe réelle, et peine à se faire entendre. Même celui qui fut l’artisan de “ l’élève au centre “ en fit les frais lorsqu’il retrouva une classe en 2011 [5]. Les écoles normales, permettant à un élève fonctionnaire-stagiaire de recevoir une solide formation généraliste, tout en touchant une solde, à condition de réussir le concours associé, étaient un modèle qui n’était pas exempt de toute critique, mais avait fait la preuve de son efficacité. S’ensuivaient deux années de tutorat où le nouveau professeur enseignait dans sa classe, régulièrement sous l’œil de son tuteur, et allait périodiquement assister aux cours de celui-ci. Ce compagnonnage avait l’immense avantage de ne pas apprendre des concepts abstraits éloignés des classes, mais de voir et d’expérimenter en direct des pratiques pédagogiques éprouvées et efficaces. Il est grand temps de laisser les professeurs plus libres de leurs méthodes pédagogiques, plutôt que de leur en imposer, de surcroît sous la menace.

Renouer avec les savoirs

Au collège, il est plus qu’urgent de se redonner les moyens de nos ambitions ! Pour former un citoyen, il faut d’abord en faire un esprit instruit et cultivé ! J’invite chacun à aller regarder les sujets zéro du brevet des collèges [6] et à les comparer à des annales de certif’[7] ! La dictée du certif’, adressée à des CM2 d’alors est plus difficile que celle du brevet adressée aux 3e actuels ! Il est temps de garantir plus d’heures dans les disciplines fondamentales au collège, alors que les carences graves en français, en mathématiques et en histoire se multiplient. L’auteur osera proposer, puisque les inégalités sociales semblent à bien juste titre préoccuper les réformateurs, d’ instaurer des heures d’études surveillées, gratuites, à la fin des cours, pour que les élèves puissent disposer des conditions de travail dont ils ne bénéficient pas tous chez eux, et éventuellement s’entraider. À défaut, la moindre des choses serait de rétablir des séances de soutien en petits groupes, et pas sur les heures des autres cours ! Le coût pourrait largement en être assumé par l’arrêt du gaspillage engendré par les plans numériques successifs, qui ne profitent pour l’heure qu’à Microsoft, quand les bienfaits pour les élèves sont encore à prouver [8] (je vous laisse deviner ce qu’on trouve dans les fameuses tablettes dont ont été et seront bientôt tous équipés les collégiens après quelques semaines [9]).

Il s’agit également d’abandonner l’approche par « compétences » (…) La culture littéraire, et la connaissance de réalités historiques ou scientifiques ne sont pas des « compétences »

Il s’agit également d’abandonner l’approche par « compétences » adoptée pour faire plaisir à quelques experts, mais surtout à l’OCDE (protocole de Lisbonne) et à son fameux test PISA. Cette approche ne convient pas à notre collège : la culture littéraire, et la connaissance de réalités historiques ou scientifiques ne sont pas des « compétences ». On en est ainsi réduit à « comprendre, s’exprimer en utilisant la langue française à l’oral et à l’écrit » ce qui donne, dans les manuels qui commencent à sortir à l’heure où ce texte est écrit, des phrases aussi précises que « dans une phrase complexe le verbe peut être éloigné du sujet » [10]. Cessons de prendre les élèves pour des imbéciles ! Eux aussi ont le droit de connaître la grammaire, ce n’est pas à quelques pontes de les en priver ! Rien n’est plus intolérable que d’astreindre des jeunes à ne connaître qu’une culture fantasmée comme étant la leur (manuels faisant appel à des textes de rap ou à du langage SMS, que beaucoup peuvent tout simplement ne pas connaître ou apprécier plus que la littérature [11]) ! Le rôle de l’école est au contraire de les faire naître dans un monde qui les précède et de leur en donner les clés !

Cessons immédiatement de culpabiliser les enseignants en leur expliquant qu’ils ne sont pas assez bienveillants dans leur évaluation parce qu’ils notent (en rouge parfois !), ou trop « verticaux » dans leur cours s’ils osent apprendre une date à un élève [12] ! Il faut que les professeurs se sentent de nouveau soutenus dans leur fonction comme dans leur travail pédagogique. Plus encore que la nécessaire revalorisation de leur salaire, toujours inférieur à celui pratiqué chez nos voisins, c’est au respect et à l’estime de leur ministère qu’aspirent les professeurs, ce qui n’a jamais été aussi peu le cas qu’aujourd’hui : la Directrice générale de l’Enseignement Scolaire n’hésite plus à parler de «l’éducabilité des professeurs », à se plaindre qu’ils ne passent pas encore tous « les paliers de maturité », et espère ouvertement leur suppression prochaine [13], alors que le ministre nie toute difficulté de mise en place de sa réforme, en dépit de la réalité [14].

Former des citoyens

Quelques heures d’Enseignement moral et civique (EMC) ne suffiront jamais à faire un bon citoyen. Il est plus que jamais vital de rétablir les humanités au collège, afin de donner aux nouvelles générations un accès aux fondements de notre société ! À l’heure où l’on peine à affirmer nos valeurs de tolérance et de démocratie, renforçons l’enseignement des textes qui y ont mené ! Plutôt que de faire écrire des lettres-SMS de rupture à des élèves, ouvrons-les à la culture qui est la leur, dès lors qu’ils ont vocation à être citoyens de notre nation ! Comment faire aimer un pays à des enfants qui ne le connaissent qu’imparfaitement ? Sans rétablir le roman national, il serait bon que l’histoire de France soit enseignée plus exhaustivement.

Combien de collégiens connaissent la victoire de Valmy ou la défaite de Sedan, savent ce qu’est la fête de la Fédération, et connaissent de manière, même imparfaite, la liste des régimes ayant succédé la Révolution Française ? Comment aimer un pays dont on ne connaît bien ni les grandes dates ni les acteurs ?

Combien de collégiens connaissent la victoire de Valmy ou la défaite de Sedan, savent ce qu’est la fête de la Fédération, et connaissent de manière, même imparfaite, la liste des régimes ayant succédé la Révolution Française ? Comment aimer un pays dont on ne connaît bien ni les grandes dates ni les acteurs ? Il est important de redonner du souffle à un enseignement chronologique, qui transmette à tous les futurs citoyens l’histoire du pays dont ils seront souverains. Surtout à une époque où le négationnisme et le révisionnisme font florès ! Une histoire sans fards, et sans exagérations, insérée évidemment dans un contexte européen puis mondial, mais pas au détriment d’ellipses regrettables. Le nombre d’heures assignées à l’Histoire-Géographie est scandaleusement bas au regard du volume des programmes.

Restaurer la méritocratie

À la fin du collège, le brevet devrait de nouveau sanctionner une réelle réussite vis-à-vis des programmes (le sujet zéro de sciences comportant tout de même des questions demandant de tracer un trait d’un neurone 1 à un neurone 2 sur une figure imprimée, et une épreuve de réécriture qu’un enfant de 11 ans serait en droit de trouver insultante).

Au lycée, enfin, il est prioritaire de rétablir des programmes exigeants alors que ceux-ci ont été vidés de leur substance par la réforme du lycée. La lecture comparative des programmes de mathématiques d’année en année traduit de manière indubitable une baisse d’exigence sur les contenus, tandis que le taux de réussite au bac traduit malheureusement plus une perte de valeur de celui-ci qu’une hausse de niveau des élèves, ce qui n’est plus un secret pour personne. Le baccalauréat ayant de plus vocation à sanctionner la capacité de l’élève à suivre une formation universitaire par la suite, l’université meurt à petit feu qu’il soit devenu, de facto, un certificat de fin de lycée dont même les élèves préfèrent souvent rire. Les professeurs sont incités à tant de bienveillance dans la correction, que c’en est indécent (interdiction de trop pénaliser l’orthographe, notation sur 25 des épreuves de maths à la moindre pétition). Redonnons au bac de la valeur ! Faisons des épreuves nécessitant une réelle maîtrise des programmes, et corrigeons-les honnêtement et non pour faire du chiffre !

« L’école est un lieu admirable où les bruits extérieurs ne pénètrent point. J’aime ces murs nus » (Alain)

Ce dont l’école a le plus besoin, c’est de calme. Seule la résilience pédagogique de certains professeurs tient encore cet édifice que nous partageons tous, nous, les citoyens. Si nous souhaitons rendre à la République sa vitalité, il faut que son école soit capable de former des esprits critiques et cultivés. À l’heure où la parole politique perd de plus en plus de sa valeur, où le débat devient de plus en plus incantatoire, il est important de recommencer à former des esprits plus que des outils, afin que les citoyens et les responsables politiques de demain puissent redonner du sens aux discours, et pouvoir ainsi redonner son souffle à la Nation. Dans une époque envahie par le culte de l’immédiateté et de la possession, seule la culture pourra libérer les esprits et les élever vers mieux que la production et la consommation. Se contenter de former de futurs employés ne disposant que de compétences « utiles », à leur futur emploi, et à leur fonction dans la société, c’est oublier ce que les hommes sont : aussi bien que la chair a besoin de nourriture, l’esprit a besoin de culture. Soulignons ici le rôle important que doivent jouer dans cette entreprise les parents et la famille, auxquels l’école ne pourra jamais se substituer entièrement. Mais il faut que l’école soit là, justement, pour ceux dont la famille ne peut pas ou ne veut pas transmettre la culture. Elle doit redevenir le lieu que partagent tous les enfants, indépendamment de leur origine sociale, ou de la religion de leurs parents. Ainsi, il est important d’en refaire un sanctuaire, où ne pénètrent ni l’idéologie, ni la religion, ni les querelles politiques.

Les professeurs, mis à rude épreuve par les différentes attaques ayant frappé la France et par leurs conséquences inévitables en milieu scolaire (enfants inquiets, théories du complot, ou refus de minute de silence en janvier) ont rempli leur rôle avec beaucoup de courage. Pour la plupart silencieusement, ils continuent à souffrir des changements de l’école décrétés indépendamment d’eux, et qu’ils sont sommés d’appliquer, parfois sous la menace, et avec le sourire. Un corps de l’État ayant un rôle aussi primordial ne saurait être aussi mal traité, que ce soit par certains parents, par leur administration, voire par leur ministre. Beaucoup de choses doivent être changées dans l’Éducation Nationale, c’est indéniable. Mais ce changement, encore une fois, ne saurait être décrété sans concertation de ceux chargés de le mettre en œuvre. Il n’y a pas forcément consensus sur ce qui permettra de sauver notre école, quoique certains points soient largement acceptés (plus petits effectifs en classe, plus d’heures pour les fondamentaux, un accompagnement, mais pas en classe entière). Si les réformes précédentes contiennent quelques bons points, elles ont surtout désespéré les enseignants qui ne se sont jamais sentis aussi peu considérés. De plus en plus d’entre eux jettent l’éponge et quittent la fonction publique. D’autres continuent à leur échelle à se battre pour leurs élèves et pour leur avenir, en sensibilisant l’opinion, les journaux, et les parlementaires, via des collectifs regroupant parents, professeurs, et citoyens inquiets (citons, entre autres, les collectifs Condorcet [15], l’EPI [16], Même chance pour nos Collègiens [17], 77 Sud [18], Babel [19], Rrs Bègles [20], et tant d’autres !). Il s’agit donc de mener enfin un audit de ce qui marche ou ne marche pas dans les classes, et d’y associer, en premier lieu, les professeurs.

Il aura fallu des décennies pour dégrader autant l’édifice scolaire et le plonger dans son état actuel. Il en faudra probablement quelques autres pour le redresser. Si ce projet doit redevenir celui de nos politiques, il faut qu’ils acceptent de le mener main dans la main, et non dans un affrontement de chapelles, car la route sera longue, et dépassera certainement l’horizon d’un quinquennat. Je conclurai cet article sur un mot de R. Grousset, cité dans la préface de l’Histoire Universelle, qu’il avait encadrée sans en voir la sortie de son vivant. « Bien entendu, les contemporains ont tendance à croire (nous le craignîmes en 1940) que la régression est à la fois totale et définitive. En réalité, les régressions sont temporaires (un temporaire qui peut durer des siècles) et locales (une localisation qui peut embrasser des continents). Il y a toujours, au milieu du raz-de-marée, un îlot resté debout dans la tempête. »

L’auteur

David Leturcq, membre du Collectif Condorcet et signataire du Manifeste pour un Printemps républicain

Notes

[1] Florence Robine, Directrice Générale de l’Enseignement SCOlaire (DGESCO)

[2] Ci-joint, sa réponse indignée — et d’abord privée — au président du HCE (http://www.ihes.fr/~lafforgue/dem/courriel.html) et son audition en commission du Sénat en 2015 : http://videos.senat.fr/video/videos/2015/video28031.html (compte-rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20150330/ce_education.html#toc5 )

[3] https://comiteorwell.net/2016/01/04/sondage-exclusif-comite-orwell-64-des-francais-considerent-quils-ont-ete-mal-informes-sur-la-menace-terroriste-avant-le-13-novembre/ (plus que le terrorisme donc)

[4] bilan de ces réformes au nom de l’égalité : 3 à 4% de fils d’ouvriers aux ENS pour 14% à l’époque de l’écriture des Héritiers de P. Bourdieu.

[5] « Pour avoir enseigné récemment en CM2 après une interruption de plusieurs années, je n’ai pas tant été frappé par la baisse du niveau que par l’extraordinaire difficulté à contenir une classe qui s’apparente à une cocotte-minute. Dans l’ensemble, les élèves ne sont pas violents ou agressifs, mais ils ne tiennent pas en place. Le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant. Il est souvent acculé à pratiquer une “pédagogie de garçon de café”, courant de l’un à l’autre pour répéter individuellement une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail. » (Philippe Meirieu)

[6] http://eduscol.education.fr/cid98239/dnb-2017.html on notera que l’écrit de français compte autant que la validation de « comprendre, s’exprimer en utilisant les langages des arts et du corps »

[7] https://fr.scribd.com/doc/155863632/Dictees-Certificat-d-Etude-Recueil-de-dictees-1958 ou pour plus récent

http://www.neoprofs.org/t47009p80-dictee-de-1957-au-cm2 (lire les commentaires sur l’obligation faite d’écrire « l’oie » au tableau pour éviter les fautes.

[8] http://sticef.univ-lemans.fr/num/vol2013/15-khaneboubi-reiah/Sticef_2013_NS_khaneboubi_15p.pdf étude menée sur le sujet

[9] Pour ceux qui n’auraient pas trouvé, L.Bonod vous aide ici : http://www.marianne.net/agora-ce-qu-il-y-vraiment-ipad-eleve-6e-100235450.html

[10] « Sa va dps samedi ? G1 truc a te dir jcroi kon devré fer 1 brek… » et autres extraits de manuels ici : https://www.facebook.com/ManuelsCollege2016/?fref=ts

[11] Réactions d’élèves à l’exercice en question : https://www.facebook.com/ManuelsCollege2016/photos/a.907099576102122.1073741827.907071649438248/912791325532947

[12] Il faut qu’il « coconstruise » la date avec ses camarades, car tout est déjà en eux après tout…

[13] https://omertaaurectorat.wordpress.com/2015/10/09/fr-2-florence-robine-vue-par-ses-esclaves/ et surtout le texte de l’ancien recteur de Lyon Alain Morvan, encore engagé pour défendre l’école. https://txtmv.files.wordpress.com/2015/10/am_le-caporalisme-c3a9pinglc3a9.pdf

[14] des fuites dans la presse d’un rapport de l’Inspection Générale évoquent 10 à 25% de collèges où la réforme sera très difficile à appliquer

[15] https://www.facebook.com/Les-Indompt%C3%A9s-Collectif-Condorcet-225887241089129/ . Mail : collectif.condorcet@gmail.com . L’honnêteté veut que j’informe de mon appartenance à celui-ci.

[16] Collectif-L.E.P.I@outlook.com.

[17] https://www.facebook.com/M%C3%AAme-Chance-pour-nos-Coll%C3%A9giens-620043438153026/

[18] https://www.facebook.com/pouruneautrereformeducollege/

[19] https://www.facebook.com/Collectif-BABEL-851435238316831/info?tab=page_info . Mail : collectifparentsbabel@gmail.com

[20] https://www.facebook.com/Rrs-B%C3%A8gles-370920736430044/

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