Non Olivier Roy, l’islam est l’aimant et pas le vernis du terrorisme

Non, Olivier Roy, l’islam n’est pas le vernis du terrorisme

par Souleymane Elgas

Printemps Républicain
9 min readApr 12, 2016

--

Olivier Roy a donné corps et sursis au persistant déni de gauche sur les motivations religieuses du terrorisme. Il lui a apporté du ressort au moment même où l’aveuglement semblait s’essouffler pour oser affronter la blessure de la lucidité si chère à René Char. Sa formule “islamisation de la radicalité” qui tient à distance et acquitte l’islamisme, exonère d’une même traite l’islam de toute reddition de compte sur ses déchirures internes, sied à merveille à gauche. C’est un élément de rebond inespéré sur fond de maternalisme d’empathie et d’absolution pour l’islam dont le Plenelisme est la variante familière, la contre-tribune de chercheurs contre Kamel Daoud, la mouture grossière et heureusement — la trahison. Longtemps en effet, prospérant discrètement à l’ombre du paternalisme orientaliste et raciste, le maternalisme envers l’islam s’offre à nous à visage découvert, au gré de ses accointances anticoloniales, de sa quête inextinguible d’orphelins à materner. Maternalisme qui devait inexorablement frayer avec une certaine conscience de gauche. L’écho du slogan de Roy raisonne dans ce champ. Il fédère un spectre large. C’est le voile douillet sous couvert de scientificité et de parole savante pour prolonger le sommeil, et doper les gages moraux de la gauche. Sans tarder, elle a fait mouche. La formule en un temps record a en effet essaimé, reçu l’assentiment de toute la classe sociologisante et tend à devenir un paradigme.

L’Islam comme aimant

Mal nommer le problème, c’est en légitimer les odieuses solutions. C’est du Césaire. Et c’est en cela fondamentalement que la thèse de Roy est problématique : parce que d’abord, elle prospère sur un péché de fausseté originelle ; ensuite, elle s’affranchit de la complexité et des imbrications de l’objet en en livrant la plus simpliste des explications. Ce simplisme commode écarte la source, certes salie, mais la source quand même qui abreuve ces pulsions meurtrières. Elle vide le terrorisme islamiste et sa variante sémantique très commode de djihadisme, de toute substance religieuse, et en fait une fin en soi, comme l’étanchement de la soif d’un brutal désir de violence révolutionnaire comme on en connut à gauche. Des jeunes ratés, portant en eux les germes d’une radicalité indéfinie, en quête d’ivresse et de réalisation, sous emprise du démiurge criminel, convergent en Syrie, en Irak, au Mali (on l’a souvent oublié), usurpent l’habit de l’islam (jamais aucune autre religion) et vont mourir. Leurs revendications, leurs donneurs d’ordre, les versets qu’ils invoquent ? Rien ! Un vernis tout au mieux. Libellé ainsi, tout moteur et toute motivation, se voient cantonnés à la sphère pathologique et révolte destructrice. Outre la suspecte simplification, l’analyse laisse en rade la parenté avec la réalité des phénomènes nigérians, maliens et leurs enseignements intrinsèques. Anciennement le terrorisme en Algérie, en Afghanistan. Et depuis peu, l’externalisation des branches dans toutes les parties du monde dont les parentés avec des groupuscules quiétistes sont évidentes. L’analyse de Roy minore la faille historique du conflit entre chiites et sunnites, abreuvoir depuis longtemps de la violence chez l’islam, la résurgence du religieux en temps de sécularisation, et la présence ancienne du fondamentalisme islamique dont le corpus chariatique et wahhabite constitue déjà une métaphore de violence, et le terrorisme, son exégèse sanglante. Il convient d’ici de ne faire aucune distinction entre les groupes djihadistes dont les desseins identiques. Ainsi peindre Al Qaeda comme le Jihad ancien et religieux et Daesh une version nouvelle et cancre, c’est une perdition analytique qui commence à poindre avec l’analyse de Roy. Il n’y a pas que 50 000 fous dans un désert sans aviation, qui attirent, séduisent, dirigent un état grand comme l’Angleterre, résistent à une coalition. Fous peut-être mais transcendés par une foi dont l’architecture sophistiquée échappe souvent aux analyses qui ne retiennent que les dernières phalanges qui frappent en occident.

Experts ou idéologues ?

Le premier travers analytique des tribunes sur le terrorisme islamiste, c’est leur hautaine arrogance. Elles n’écoutent jamais ce que les djihadistes disent. Au mieux leurs propos sont considérés comme un délire infect, on les disqualifie pour construire des sociologies qui manquent fatalement de pertinence, par une faiblesse élémentaire : elles n’enquêtent pas les acteurs. Domaine en friche, impensé de l’université, le djihadisme, a vu récemment éclore pléthore d’études en surplomb qui peinent à en restituer les déterminants majeurs, empêtrés qu’ils sont souvent dans des conflits idéologiques à peine masqués. Les travaux [1] émergents de David Thomson, dont l’avantage considérable est d’être en contact régulier avec son objet et ses acteurs, ont introduit une perspective nouvelle et précieuse. Ni prisme géopolitique, ni études généralistes sur l’islam, le recueil direct de la parole des candidats au Djihad, la diversité de leurs profils, sans filtre orienté, ni hypothèses, ni quelques prétentions psychanalytiques, semblent être les plus rapprochés de la tendance nouvelle du Djihadisme. Les terroristes ne font pas mystère de leur attachement à la foi, qu’elle soit nouvelle, ancienne, peu rigoriste par le passé ou absente. Qu’ils soient d’univers familiaux différents, islamisés, athées ou chrétiens, leur renaissance religieuse s’opère comme un déclic, une virginité nouvelle, qui marque l’amorce de leur nouvelle vie. C’est une puissance matricielle de vie qu’il serait infécond de réduire à un gadget. Cela explique très souvent, sinon toujours, leur détermination sans faille au moment de commettre leur crime, sans les éléments stupéfiants dont on leur prête l’usage et la consommation. C’est d’autant plus central que les parcours vers la Syrie se font souvent en famille, avec un contingent impressionnant de femmes, et des retours qui ne signent pas nécessairement une repentance mais pour certains une mutation de l’expression de la foi, et pour d’autres la dissimulation pré-attentats. Leur dénominateur commun, quelque soit leur origine sociale, c’est leur assentiment à des valeurs et des principes communs, d’un certain islam autour d’un corpus scripturaire on ne peut plus irréfutable.

L’islam a à voir, pas l’écrasante majorité des musulman

Evacuer cette motivation purement et simplement, c’est manquer la force d’attraction de cet islamisme transcendantal, dont l’égal recrutement dans toute les sphères du monde en fait un nouvel universalisme macabre. Dans un essai salutaire, d’autant plus pertinent qu’il est sans surenchère ni militance, Jean Birnbaum [2], explore cette difficile relation entre la gauche et la religion. Dans ce qu’il appelle le rien-à-voirisme, il épingle la thèse de Roy et ses émules, en invitant la religion et en l’occurrence l’islamisme, au cœur de la tragédie, en agrégeant exemples factuels et recours systématique à des passages religieux. A coté des inflexions martiales, le discours de l’exécutif est habité par un hygiénisme : jamais François Hollande ne nomme l’islamisme dans ses allocutions officielles. Anomalie curieusement corrigée par la démissionnaire du gouvernement. Dans ses Murmures à la jeunesse, Taubira, toujours fidèle à sa conscience libre, le rappelle. Les musulmans n’ont pas à voir mais l’islam, résumait-elle en substance. L’argument brandi régulièrement, en contre-points, avance que les musulmans sont les premières victimes, et opère ensuite le syllogisme : les terroristes ne sont donc pas des musulmans. Les terroristes ne les tuent pas pour leur foi, mais par déficit supposé de religiosité. Le conflit entre chiites et sunnites vu par ce prisme achève de tordre le cou à cette vision. Les guerres intestines entre laïcs ouverts et tenants d’un islamisme coercitif, régent suprême de tous les aspects de la vie, a toujours fait rage et condamné à la mort nombre de musulmans. Cet argument pêche dès son énoncé, car il omet une tranche importante de l’histoire du fondamentalisme musulman dont les vagues successives partagent des desseins, des références et ossatures communes. Sophie Bessis [3], dans un texte passé hélas inaperçu, retrace l’histoire de cet extrémisme religieux en osant un parallèle bien inspiré avec le capitalisme. En disqualifiant toutes les soupapes d’éclosion et d’épanouissement de sphères démocratiques, plurielles, laïques, nombres de sociétés musulmanes ont adossé leur répulsion des rebuts occidentaux à la promotion d’un islam rigoriste, dont l’emprise a donné en partie le sein au terrorisme d’aujourd’hui. Au fond, la persistance de la théorie Roy masque un malaise. C’est le signe d’une narration contrariée. En prophétisant le récit du musulman opprimé, dans une essentialisation maternant non moins questionnable, l’extrémisme religieux musulman vient contrarier le calendrier « Terra Nova ». L’équilibrisme, les excommunications et les procès à l’islamophobie prennent source dans ce malaise qui, au lieu de se solder par l’introspection, se répand dans l’accusation à l’islamophobie.

Si le terrorisme est une maladie de l’islam, règle-t-on pour autant le problème ? A l’évidence non. Les explications géopolitiques, sociales, économiques, culturelles, sont sinon aussi importantes, décisives à tout le moins. Dans le mille-feuille de conflits au Moyen Orient, ici encore irrigués par l’opposition chiites/sunnites, il serait impardonnable de ne pas convoquer des responsables centraux : l’aventurisme va-t’en- guerre des occidentaux et leur complicités avec des régimes dictatoriaux sur l’autel d’un économisme sans vergogne. Les occidentaux ont ôté le couvercle d’une cocotte minute déjà bouillante. Ne pouvait s’ensuivre que la déflagration qui s’exporte et contamine le monde entier. Les guerres dans les pays musulmans, quelques soient les alibis, ceux recevables comme ceux mensongers et opportunistes, avec leurs corolaires d’exactions, d’humiliations, sur fond d’un passé colonial non résorbé, ont nourri le terrorisme. L’occident doit s’honorer de reconnaître ces forfaits dont les séquelles survivront aussi longtemps que l’arbitraire en présidera les visées. Nulle duperie en revanche, le salut ne viendra pas non plus de l’occident, de quelque manière que ce soit, seuls les acteurs moyen-orientaux décideront de leur sort. Les prétentions pêchent par deux excès : la volonté supposée de libération comme celle de l’autoflagellation rédemptrice. Il faut expliquer, car ce n’est pas excuser. Il faut tout expliquer, et on retrouve cette profondeur de l’enquête chez Scott Altran.

Nécessité et urgence de bonne sociologie

La sociologie explique et comprend. C’est nécessaire, salutaire et urgent, quoiqu’en dise un premier ministre ; en revanche nombre de sociologues n’expliquent plus mais militent. Rejoints dans leur combat par une presse de gauche dont la vulgate narrative sur la l’islam verse dans la romance. C’est l’interstice problématique qui hystérise le débat en France. La surabondance des études et des thèses de sociologues dont les engagements idéologiques sont clairs, la volonté évidente de minorer les causes religieuses et par conséquent le primat de la présentation abusive des explications sociales et islamophobes, trahissent un dessein de plus en plus difficile à cacher. Du fantasme de l’invasion et du tout-islam problématique comme l’avance l’extrême droite, au rien-à-voirisme, il manque cruellement d’études sans inclinations partisanes. La surenchère à la laïcité, tout comme celle à l’islamophobie, s’inscrivent précisément dans le vide sidéral de mesure. La laïcité à ce titre n’a besoin d’aucune greffe, ni des contempteurs qui veulent son recul, ni de supporters récents et zélés. Elle a besoin de garde-fou calmes et irrésolus à quelques compromissions, c’est le sens de ma récente signature du manifeste du printemps républicain.

Sortir d’un franco-centrisme

Face à un phénomène global, les musulmans en premiers peuvent être les remparts qui déchirent le bâillon du silence. Leur engagement franc, leur totale désolidarisation des franges sectaires comme le salafisme, sera un baromètre. Ils ne devront pas être seuls, car le combat est mondial. Car au moment où les terroristes ensanglantent le monde, avance à l’ombre un islamisme politique plus quiétiste, dont la régence des mœurs et une volonté d’affirmation sont les moteurs. A travers le véhicule de l’humanitaire, une offre religieuse dans les quartiers à forte concentration communautaire, la volonté d’accommodements déraisonnables sur le droit des femmes, la vêture, un fondamentalisme sourd prend forme. Décliné dans son habit présenté comme salafiste. Cet islam politique, déjà maître en Arabie Saoudite, s’exporte dans ses deux formes : le sabre et la politique. Toute dissimulation, tout déni, nourriront la cassure identitaire. Ce qui achève d’indiquer que le terrorisme n’est pas une finalité mais bien un moyen, le plus barbare, mais un moyen. La terreur a des objectifs, ceux de contraindre et de servir une vision politico-religieuse. On pourrait convoquer une allégorie du machiavélisme qu’on ne serait pas dans l’hérésie analytique. Interroger l’islamisme, ce n’est pas désigner à la vindicte les musulmans. Fermer les yeux n’épargne pas non plus les musulmans de la furie des monstres terroristes. L’urgence, c’est de nommer le problème. En manquant à ce devoir, Olivier Roy a offert des lectures de confort. Non Monsieur Roy, l’islam n’est pas le vernis, il est l’aimant du terrorisme.

[1] Les français jihadistes, David Thomson, Ed Les Arènes, 2014

[2] Un silence religieux, La gauche face au djihadisme, Jean Birnbaum, Ed Seuil, 2016

[3] La double impasse, Sophie Bessis, Ed La découverte, 2014

L’auteur

Souleymane Elgas, l’un des premiers signataires du Manifeste pour un Printemps républicain, est un journaliste et essayiste sénégalais.

--

--