Etude d’une situation de marchandage à la brocante de St Jean de Vedas

Le monde vu d’en bas
Putod Claire
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29 min readNov 19, 2015

Le marchandage, c’est l’art de la négociation.
Le marchandage est véritablement un art, s’il est mal maitrisé, l’un des deux se fera avoir. Il y a des règles à respecter qui ne sont pas clairement définis mais qui assure son bon déroulement. Comme par exemple, ne pas montrer son intérêt, avoir une attitude détendue et être souriant, argumenter pour obtenir son prix, faire mine de partir puis revenir etc… Tout un
système langagier et sémiologique est à connaitre. Marchander, c’est avant tout rentrer en communication avec autrui ; c’est respecter les normes d’interaction dans le cadre du marchandage. On trouve encore à l’heure actuelle beaucoup de brocantes, de marchés aux puces, de braderie, dans toute la France. Mais ce pays ne s’attèle au marchandage que dans
des ces cas précis. On ne marchande pas une baguette dans une boulangerie. Pour l’exclusivité de nos achats, nous n’avons plus besoin de marchander, tous les magasins qui nous sont utiles sont désormais à notre disposition. De cette manière, les échanges lors d’un achat restent brefs et courtois. C’est pour cela que dans le cadre de cette enquête de terrain, il m’a été très intéressant d’observer plusieurs situations qui mettent en relation des personnes très différentes les unes des autres, et d’ainsi observer leur rites et coutumes face à une situation de marchandage. Le corpus de données ainsi effectué met en relation des nationalités diverses, et en dit long sur les différentes manières de négocier et de communiquer avec autrui. A une époque critiquée, dans un pays où les échanges seraient de plus en plus virtuels, la communication reste cependant la base de toute relation à l’autre Par le biais d’entretien, de vidéos, d’observations et de participation au marché, nous allons ainsi développer une enquête de terrain ethnographique qui va s’intéresser principalement à la transgression des normes d’interactions dans le cadre de situations de marchandage. Selon la problématique suivante, nous répondrons en quatre parties : Comment gérer une situation de transgression des normes
de communication et de marchandage, dans la brocante de St Jean de Vedas?
Dans une première partie, nous verrons ce qu’est une enquête de terrain, et quelles sont les difficultés qu’elle engendre pour l’enquêteur.
Dans une seconde partie nous évoquerons les difficultés vécues lors de la phase observatoire.
La troisième partie sera une analyse des interactions selon des principes Goffmaniens, en insistant sur les phases de transgression et de refus de communication.
Enfin, nous traduirons un extrait d’enregistrement vidéo par la transcription d’une situation de marchandage, ou nous traiterons des systèmes de marchandage et de négociation.
Une enquête de terrain est une collecte de données au sein d’une tribu, d’un peuple, d’une communauté. Il s’agit en effet d’observer et ainsi recueillir un corpus de données, afin de mener à terme une étude sur la communauté choisie. Elle s’oppose au travail postobservatoire d’analyse des données. Cette étude consiste à révéler les différentes institutions et rites sociaux, afin de comprendre le peuple étudié en question en se rendant sur les lieux.
Pour cela, il faut savoir interpréter tous signes langagiers et sémiologiques, de la façon qui est la leur. Ce qui sous-entend différents types d’observations, ainsi qu’une immersion plus ou moins avancée dans la société en question.
Différentes observations s’offrent alors. Tout d’abord l’observation directe ou indirecte. La première consiste à faire appel à son sens de l’observation pour recueillir les données, sans s’adresser aux sujets concernés. La seconde à interroger le sujet afin d’obtenir l’information recherchée : le sujet intervient alors dans la production de l’information. Pour cela, deux compléments d’observation viennent l’aider : l’entretien et le questionnaire. Enfin, il y a
l’observation participante, introduite au XXe siècle par Malinowski, utilisée par Goffman, qui vécut un an avec des malades mentaux afin de décrire au mieux leurs conditions dans les hôpitaux psychiatriques. Cette dernière requiert le partage du mode de vie des sujets étudiés,
mais sous-entend également d’être accepté, et intégré. C’est la méthode utilisée pour les enquêtes de terrain ethnographique. C’est d’ailleurs celle qui a aussi été privilégiée lors de mon enquête car elle permet de s’éloigner de ses stéréotypes, et au contraire, de comprendre une communauté de l’intérieur, en tant qu’acteur social.
Mais une enquête de terrain est indissociable du travail pré-observatoire qui la précedecomprenant une première exploration du terrain, associée à des lectures ou des visites sur place. Cela peut engendrer l’élaboration d’une problématique ainsi que la construction d’un modèle d’analyse. Soit, pour ce dernier, des modèles et des hypothèses, ainsi que des indicateurs. Mais voilà, pour Malinowski, l’enquête de terrain ne peut pas s’associer à la
construction d’un modèle d’analyse. Pour lui, il est indispensable que l’enquêteur « se défasse de sa propre culture », pour ainsi éviter de comparer et ne plus se fier à un modèle d’analyse préconçu à l’occidental. Les méthodes d’enquête de terrain regroupent plusieurs disciplines, ce qui amène à placer notre méthode dans un cadre interdisciplinaire. Pour résumer, une enquête de terrain suggère plusieurs étapes, plusieurs méthodes, qu’il sera
à l’enquêteur de définir lors de sa préenquête. Celle-ci mènera alors à la connaissance plus ou moins approfondie d’un peuple, en fonction des choix émis par l’enquêteur. C’est saisir un monde social, à une échelle réduite.
L’enquête de terrain soulève, en effet plusieurs problèmes pour l’enquêteur. Tout d’abord des difficultés subjectives. Notamment quant à la question de l’observation. S’il s’agit d’une observation participante, elle inclue de longues années d’observation avant d’atteindre le point d’immersion, s’il réussit à l’atteindre un jour. Car le problème se pose, il n’est pas impossible que l’enquêteur n’arrive pas à s’insérer sur le terrain.
Elle impose également une double-position à l’enquêteur : il doit être à la fois objectif par rapport aux enquêtés, à distance ; mais doit aussi tenir une place d’empathie comme s’il était un membre à part entière.
De plus, l’enquête de terrain inflige à l’enquêteur un véritable travail sur lui-même. Il se doit de laisser de côté ses opinions, stéréotypes et jugements. Le but de son observation est d’être le plus objectif possible, sans prendre en considération son ressentis.
Ce qui amène à évoquer le paradoxe de l’observateur, de Wiliam Labov. Sociolinguistique, il évoque l’influence qu’a l’enquêteur sur les enquêtés, qui peuvent être influencés par la présence même de celui-ci.
Il y a aussi une difficulté quant à l’observation superficielle. L’enquêteur ne doit pas croire qu’il sait simplement parce qu’il a observé. C’est-à-dire qu’il faut autant que possible s’éloigner d’un jugement moral. Dans le cadre d’une enquête de terrain ethnographique, la méthode de travail privilégiée doit donc être une méthode philologique qui demande une grande exhaustivité.
Des problèmes de méthode peuvent également faire surface au début de la mise en place de l’étude, ce que l’on peut appeler « chaos originel ». On l’explique par un trop plein de savoir avant même de débuter, ce qui peut cacher les véritables faits à observer et à apprendre pour l’enquêteur.
Pour ce qui est des difficultés matérielles, les entretiens s’avèrent être une opération délicate car ils font appel aux souvenirs, et à la conscience de l’informateur. C’est un travail subjectif qui sous-entend différents points de vue, et demande à l’entretenu de donner des informations sur ses propres normes sociales. Il faut faire attention à traiter ces données avec beaucoup de
recul, cependant en lien avec le travail d’observation.
Les questionnaires doivent eux aussi être traités avec savoir-faire, car l’information récupérée par le biais de l’informateur reste fermée et subjective, elles n’ouvrent pas à un dialogue ouvert. Les informations acquises sont prédéfinies, l’enquêteur apprend seulement ce qu’il cherche à savoir. Cela pose alors des difficultés d’objectivité ainsi que de vérité.
Et enfin, les communautés de parole de Gumpers évoquent un dernier problème quant aux dialectes et aux langues régionales. L’enquêteur doit pouvoir comprendre et être familier avec ces répertoires linguistiques. Mais il doit aussi faire un choix, car il ne sera pas possible, dans le cadre de son travail post-observatoire, de tout traduire de manière fidèle à l’énoncé de base.
Dans le cadre de l’étude de marchandage dans un marché aux puces, je me suis rendue à deux endroits : les puces de Carnon le Dimanche 5 Octobre, et le marché de Palavas le Lundi 6 Octobre. Ainsi qu’un troisième plus tardivement, la brocante de St Jean de Vedas. Fort a été de constater que pour une raison évidente, mon choix s’est vite tourné vers les puces de Carnon. En effet, n’ayant pas cours, il était plus facile de m’y rendre régulièrement. De plus,
j’ai déjà moi-même tenu un stand, je connaissais déjà quelques brocanteurs réguliers. Cela me permet d’être au plus près de la communauté, de me fondre d’avantage dans le décor. Mais malgré cet avantage, j’ai rencontré plusieurs difficultés. Notamment quant à mon changement de statut envers les vendeurs. Plusieurs personnes me connaissaient déjà, et me considéraient,
je pense, comme leur égal en tant que nous étions tous ici pour vendre quelque chose. Nous avions d’ailleurs de très bons rapports. Peut-être aurais-je du garder le silence.
Mes observations à Palavas le Lundi n’avaient rien donné car j’étais pressée, et je n’ai pas pu engager de dialogue très profond avec les vendeurs. Je suis donc partie au bout d’une heure.Après le Dimanche 5 Octobre, où je m’y suis rendue simplement pour observer et acheter quelques livres, j’y suis retournée le Dimanche suivant, avec en tête de me rapprocher d’un stand en particulier, et d’ainsi y installer mon observatoire. J’avais donc choisis celui d’un
couple d’une trentaine d’années, qui tenaient régulièrement un stand non loin du mien. Cela ne leur posait aucun problème que je reste avec eux, et que je filme quelques interactions.
Cependant, ils étaient un peu réticents au fait que j’assiste à leurs conversations privées. Notamment celles concernant leurs techniques de vente, les prix des articles, et leurs limites de marchandage. J’avais plus l’impression d’être une espionne qu’une observatrice. Ou du moins c’était ce qu’il me faisait ressentir. Le fait d’avoir été par ailleurs vendeuse, je ressentais un très fort esprit de compétition entre nous, comme s’il fallait qu’ils me prouvent qu’ils n’étaient pas des amateurs dans le domaine, et que le marchandage n’avait aucun secret pour eux. J’ai donc passé la matinée avec eux, mais aucune des données recueillis n’est intéressante, car rien n’était naturel. Je n’ai pas eu envie de donner l’impression de prendre part au jeu de compétition instauré, et j’ai donc préféré changer de techniques d’approche.
C’est ainsi que le Samedi 26 Octobre, je me suis rendue à la brocante de St Jean de Védas en tant que vendeuse. J’avais envie de changer de lieu afin d’être une personne anonyme, et ainsi pouvoir observer des actes plus naturels. Cependant, je savais qu’il me serait plus difficile de rencontrer des gens qui acceptent d’être filmés. C’est pour cela qu’une amie m’a suivi,
accompagnée de sa mère que je ne connaissais pas. Je n’ai pas filmé mon propre stand, car il me serait impossible d’analyser mes propres faits et gestes. Je n’ai pas voulu non plus filmer mon amie que je ne connais que trop bien. J’ai donc filmé sa mère. D’origine Brésilienne, elle a un accent très marqué, mais cela ne gêne en rien la compréhension de ses paroles. C’est une personne très ouverte, qui parle à tous les passants, et qui peut faire acheter n’importe quoi à n’importe qui. Nous sommes restées sur place de 7h à 13h, et avons beaucoup vendu. C’est un endroit multiculturel, où plusieurs nationalités se rencontrent. J’ai par conséquent de nombreuses scènes de marchandage qui peuvent se révéler intéressantes. Elle n’a pas du tout était gênée par la camera, contrairement au couple de Carnon.
Nous y sommes retournés le Samedi suivant afin de me constituer des repères langagiers et sémiologiques la concernant. Cette fois-ci, je n’ai pas pris le stand d’à côté, mais un peu plus loin, afin d’être sure que son comportement n’est pas influencé par m a présence trop proche. Apres qu’elles aient installé les grands draps blancs par terre, j’ai posé ma caméra, qui a tourné en continu de 7h à 7h30 du matin, et suis retournée à mon stand. Durant leur mise en
place, elles ont eu à faire à de nombreuses personnes intéressées par leur machine à coudre ainsi que leur aspirateur. Leurs prix de base étaient de 20 euros, ce qui est cher sur un marché aux puces. Mais cela a engendré de nombreuses scènes de marchandage, ce qui m’a permis de me constituer un corpus de données très riche. En effet, les gens qui viennent tôt le matin
veulent bénéficier des meilleures affaires du marché. Et c’est à ce moment-là que le marchandage s’avère être le plus intéressant car aucune des deux parties n’est prête à lâcher l’affaire si facilement. La mère de mon amie, a pour habitude de ne jamais vraiment marchander ses prix avant la fin du marché. Elle espère vendre au prix le plus fort, le plus de temps possible.
Le fait d’être moi-même vendeuse régulière me permets de mieux comprendre ses actes de langage, ainsi que sa position physique par rapport aux passants. Cependant, la part d’objectivité quant à cette activité s’avère être plus délicate. C’est pour cela que d’avoir changé de lieu m’offre une nouvelle vision des choses. Je ne me base plus sur mon vécu dans un lieu précis, mais sur mon expérience de terrain. Je suis anonyme à la brocante de St Jean de Védas, mais pas amatrice dans le domaine. Cependant, la difficulté va être de m’éloigner de mes propres stéréotypes concernant les marchés, les brocantes et les puces, afin de ne pas analyser les interactions comme j’ai eu l’habitude de les vivre auparavant.

Afin d’analyser les formes de transgressions et de rupture de communication au sein de la brocante de St Jean de Vedas, nous allons nous intéresser à deux situations particulières, misent en parallèle, qui composent notre corpus de données. Cela nous permet d’observer les différences et les similarités de communication, dans un même cadre d’interaction. La première situation correspond à celle retranscrite (Partie 4). La seconde se compose des mêmes vendeuses, mais pas de la même acheteuse. Il s’agit pour celle-là d’un homme d’une quarantaine d’année qui souhaite échanger un aspirateur, mais pas l’acheter. Il possède un stand dans la même brocante, où il vend des habits. C’est un habitué des marchés aux puces.
Nous appellerons « situation 1 » l’interaction concernant les deux acheteuses. Et « situation 2 » l’échange avec le monsieur, qui, lui, sera désigné par la lettre H. Selon Goffman, notre méthode d’analyse sera alors inductive.
Le stand de C et D à la brocante de St Jean de Vedas fait partie des cadres primaires sociaux, définis par Goffman. C’est-à-dire que le cadre permet aux participants de pouvoir définir par eux-mêmes ce qu’il y est associé, ils comprennent le sens de la situation sans faire d’effort, de manière inconsciente. Dans le cadre de cette brocante, on distingue un cadre de participation primaire global, mais plusieurs cadres de participation transformés et primaires à l’intérieur même de celui-ci.
Dans la situation 1, on assiste à un premier cadre de participation primaire, qui comprend A et B, lorsqu’elles arrivent au stand. L’interaction ne se produit qu’entre ces deux personnes.
Puis, A change de cadre de participation lorsqu’elle ne finit pas la phrase s’adressant à B, mais entame un échange avec C. Chaque aparté entre A et B rentre dans le premier cadre de participation, les échanges sont plus familiers et on assiste aux confidences de A concernant l’échange en cours.
Un premier cadre de participation transformé prend forme lorsque B s’adresse à C, par la parole et le regard. Celui-ci est cependant transformé car C tente de ne pas prendre part à l’échange, en répondant le strict nécessaire, et en évitant tout regard. L’activité de A est alors remise en question, et la communication est perturbée.
Un second cadre de participation transformé s’opère lorsque D rentre dans l’échange. D tente de modifier le sens de l’interaction. A est mise en difficulté quant à la compréhension de l’échange. D ne se soumet pas au marchandage, et par ses actes elle manipule la situation.
Une brocante sous-entend que les prix puissent être discuté, voire marchander, afin que chacune des deux parties y trouvent son compte. Ici, elle ne rentre pas dans le jeu, et tente de séduire la potentielle acheteuse, afin de ne pas marchander le prix. Elle profite d’avoir à faire à une amatrice pour tourner la situation en sa faveur. On parle alors de fabrication du cadre de participation de manière bégnine. On ne pense plus être dans le cadre d’une brocante, mais plutôt d’un magasin.
Un dernier cadre de participation transformé est visible lorsque D quitte la conversation de manière physique et visuelle. Chacun des participants est alors seul, aucuns regards ne se croisent. Seul A peut, par l’achat de la machine à coudre, remettre en place un contact. De par ses nombreux regards vers chacun des participants, on remarque bien que A est perdue et se sent manipulée.
La situation 2 met en scène quatre cadres de participation. Le premier est primaire et se compose de H, C et D. C est au téléphone, D écrit un message, et H attend que le premier contact visuel soit fait afin que la communication puisse débuter. Leur position spatial permet de dire qu’il participe au même cadre de participation.
Le second cadre de participation, lui aussi primaire, débute dès lors que C rencontre le regard de H. Elle se relève et tape alors sur l’épaule de D afin qu’elle participe elle aussi à l’interaction. Les trois protagonistes sont alors à un même niveau physique, avec une distance spatiale courte. Leurs regards s’entrecroisent régulièrement, et des tours de paroles sont mis en place.
Le troisième cadre de participation primaire s’opère lorsque C et D quittent leur stand, et se rendent au stand de H. H lui reste à leur stand, et attend leur retour. Il n’y a plus aucun contact entre H et C et D, que ce soit de manière physique ou visuelle. Et pourtant, le fait que H soit dans l’attente de leur retour, constitue un même cadre de participation pour les trois personnes.
Le dernier cadre de participation est transformé et s’opère lors de conclusion de l’échange.
L’interaction ne concernent plus que D et H qui s’échangent peu de mots, mais beaucoup de regards. Celui-ci prend fin dès lors que H quitte le plan filmé avec l’aspirateur. Le marché a été conclu, il n’y a plus de raisons de continuer la communication. Mais aucune forme de politesse n’est évoquée, H part car il se sent obligé. D le regarde d’un air interrogateur, attendant son départ.
Les participants sont ici appelés « multi-participants », car l’échange ne se déroule pas seulement entre deux personnes. Dans la situation 1, C prend le rôle d’auditeur ratifié, tout en faisant semblant de s’intéresser à la situation. Elle est la vendeuse, l’acheteuse A s’adresse donc à elle. On assiste cependant à un « contact mixte ». C est vendeuse sur le stand, mais elle est tout de suite stigmatisée par les deux acheteuses. Selon Goffman, on assiste à une stigmatisation car C ne convient pas aux attentes qu’A et B ont d’une vendeuse. On assiste ici à un stigmate visible car C ne joue pas son rôle, elle limite l’échange au minimum et fui toute sorte de communication visuelle ou physique. On parle alors de contact mixte car l’interaction est risquée, une mauvaise compréhension y est favorable. A ne poursuit pas de conversations avec elle. Aucun appellatif n’est employé par aucune des deux femmes. La face de C ne correspond pas aux attentes normatives de B et A, en tant que vendeuse.
A est le locuteur, car son discours est mis en parallèle avec sa position spatial, ses regards, et ses gestes. Elle s’adresse de manière directe à C, et attend une réponse en retour. Elle s’agenouille afin d’être à la même hauteur que C. Cela pourrait rendre l’échange plus facile.
Elle la regarde pour lui montrer qu’elle s’adresse à elle, mais les normes de communications étant transgressées, A va devenir auditeur ratifié dès lors que D rentre dans l’interaction. Elle ne va plus poser les questions, elle va répondre au discours de D.
D, prend un rôle d’auditeur non ratifiée au début de l’échange de la situation. A avait choisi C comme auditeur ratifié. Mais ne correspondant pas à ses attentes, D reprend alors le dessus en introduisant son discours et renverse alors les rôles. Elle devient alors locuteur, à la fois animateur, auteur, et responsable. Puis elle renverse de nouveau son rôle en devenant auditeur ratifié, lorsqu’elle quitte l’espace spatial de l’interaction. Elle met un terme à l’échange de manière physique et langagier. Elle coupe tous les contacts, et attend que A reprenne le dessus de la conversation.
B est l’auditeur constitué comme tiers. Elle accompagne A.
Dans la situation 2, H représente l’auditeur non ratifié volontairement, dans un premier temps, car il assiste à la conversation téléphonique de C sans que celle-ci ne s’en rende compte immédiatement. D représente l’auditeur constitué comme tiers, et C la locutrice.
Dans un second temps, un tour de paroles va se mettre en place, ce qui fait de chacun des participants va officiellement prendre à son tour un rôle de locuteur, puis d’auditeur ratifié. D affiche un rôle de locuteur à la fois animateur, auteur et responsable, car c’est par son regard qu’elle distribue la parole aux suivants. On remarque qu’elle a le dessus, et qu’elle va une fois de plus décider de la suite des évènements, ainsi que de la durée de l’échange.
Dès lors que D et C quittent le cadre de participation, D maintient sa position de locutrice car c’est elle qui reprendra l’échange lorsqu’elle aura décidé de revenir. Lorsqu’elle revient, elle conclut l’échange très rapidement en montrant à H ce qu’elle a pris à son stand en échange del’aspirateur. H acquiesce simplement de la tête et dit merci. D affiche un sourire avant de retourner s’assoir. H est alors l’auditeur ratifié, c’est D qui conclut l’échange par son sourire.
Dans la situation 1, on assiste à une interaction marchande. En effet, les participants font partie du cadre de participation dans le but d’acquérir ou de vendre quelques chose.
Cependant, l’interaction n’est ni ordinaire, ni rituelle car elle ne convient pas aux normes d’interactions habituellement opérées lors d’échanges aux marchés aux puces. Celle-ci met en place de nouvelles normes, mais tous les participants n’y conviennent pas, ou ne les comprennent pas. Ce ne sont pas des normes habituellement admises, elles transgressent celles normalement utilisées. On assiste également à un refus du jeu du marchandage, ce qui pourrait remettre en cause le but marchand de l’interaction. Mais celui-ci tient toute son importance du fait de la vente de la machine à coudre.
Dans la situation 2, on est également dans une interaction marchande, mais elle aussi n’est ni rituelle ni ordinaire, car personne ne déboursera d’argent pour acquérir un nouveau bien. Les participants sont en interaction dans le but d’échanger des objets, afin de répondre aux attentes de chacun. Une nouvelle fois, les normes d’interactions admises par la majorité sont transgressées. Cependant, l’interaction reste marchande car les participants sont là dans le but de proposer aux visiteurs des objets à acquérir.
Les finalités des interactions étudiées sont différentes. Dans le cadre de la situation 1, le but de la rencontre se concentre autour de la machine à coudre. D veut s’en débarrasser au meilleur prix. A en a besoin, et tente de marchander son prix, sans résultats. Le but pour D, est de vendre la machine au prix fixe de 18 euros. Elle ne veut pas céder. Par la séduction et la manipulation affective, elle fait tout pour faire acheter la machine. Quant à A, son intention est d’abord d’acheter la machine, mais également de rentrer dans le jeu du marchandage. Elle échoue au second, et fini par céder au prix annoncé. Un de ses objectifs est également de garder l’interaction ouverte, et en bons termes avec chacun des participants. Elle a le rôle de maintenir une bonne entente, afin de pouvoir, finalement, l’acheter. D y trouve d’avantage son compte que A. La finalité de l’interaction résulte d’une manipulation affective, ils ne partagent pas la même finalité, mais l’une l’emporte sur l’autre.
Dans la situation 2, chacune des parties vont s’atteler à trouver un terrain d’entente, afin que chacun soit gagnant. Pour cela, pas de marchandage, mais un échange d’objets. H va proposer d’échanger l’aspirateur contre des habits de son stand. De cette manière, il possèdera quelque chose dont il a besoin, tout en se débarrassant de ce dont il n’a plus besoin. En proposant cette idée, la même logique va s’opérer pour D et C. Les deux vendeuses, n’étant pas plus familières que ça avec le marchandage, l’idée est tout bonnement parfaite pour les trois participants. La finalité de l’interaction résulte ici d’une entente, ils partagent la même finalité.
Les deux situations ont un objectif transactionnel.
Plusieurs instruments interviennent dans les situations d’interaction. En ce qui concerne la situation 1, lors du second cadre de participation, ce sont principalement les regards qui témoignent d’une mauvaise harmonisation de la situation. En effet, A n’arrive pas à capter le regard de C. Il y a très peu de paroles. Tout le contenu de l’interaction passe essentiellement par la gestuelle, qui, mal employé et mal interprété, conduit à une rupture de la communication.
D, quant à elle, utilise plusieurs instruments les uns par rapport aux autres, qui permettent de comprendre ce qu’elle veut et ce qu’elle pense, précisément dans le troisième cadre de participation. Lorsque par un premier geste, elle touche l’épaule de A, on analyse tout de suite cette action comme une certaine harmonisation de la situation. De plus, à chaque fois qu’elle lui touche l’épaule, elle utilise en même temps des mots du champ lexical de l’amitié tel que « mon amie » . Elle tente de mettre la potentielle acheteuse en confiance, de la détendre, de la séduire. Sa gestuelle est très expressive, elle accompagne presque toutes ses phrases. Cela lui permet d’imager ce qu’elle dit, et d’appuyer ses paroles. Il en est de même pour ses regards.
Elle n’hésite pas à en jouer pour intimider A. Ses regards lui permettent d’interroger, mais aussi de séduire Ils vont de pair avec ses nombreux sourire. Tous ces gestes de bienveillance sont en harmonie par rapport à la situation en cours, tant que l’acheteuse est indécise, et n’a pas évoqué de refus, D adopte une gestuelle chaleureuse. Dès le 1er refus, sa déception s’observe une fois de plus de par sa gestuelle. Elle lève les bras au ciel, et change de position spatial. Elle fuit tout regard en se tournant de dos. Sa maitrise du corps est une véritable traduction de ses pensées. Il en est de même lorsqu’elle hoche la tête. Elle privilégie la gestuelle à la parole. Seul son silence, lorsqu’elle quitte la scène, contribue à évoquer sa colère.
Si l’on s’intéresse aux rires émis par A très régulièrement, l’étude de G. Jefferson aurait tendance à montrer que par une exclamation langagière, elle exprime son ressentis quant à l’interaction en cours. C’est ici une réaction à un discours banal, ou aucun élément vraiment comique n’intervient. Seulement, face une situation où les normes d’interactions sont transgressées à plusieurs reprises par C et D, A veut s’assurer de l’harmonisation de l’échange en cours par un signal d’écoute qui est le rire. Le reste de l’interaction, elle le produit essentiellement par ses regards, qui alternent entre interrogations et écoute. Elle a tendance à toucher la machine à coudre lorsqu’elle en parle, mais cela n’est pas remarqué par les deux autres interlocutrices qui n’utilisent pas leur regard de la même manière, et s’intéressent peu à ses actions.
Dans la situation 2, les instruments mis en place sont restreints car une grande partie de l’échange ne se déroule pas en présence de tous les participants. Dans le premier cadre de participation, C et D ont recours à un artefact, le téléphone portable, qui met, durant quelques secondes, en suspend l’interaction. Il contraint le regard et l’esprit des deux vendeuses à rester concentré sur celui-ci. Il est donc très dur pour H de rentrer en contact sans avoir à faire à la parole. Dans le second cadre de participation, les paroles échangées tournent essentiellement autour du champ lexical du marché. Il n’y a aucun silence, mais D utilise ses bras pour imager ce qu’elle dit, ou montrer ce de quoi elle parle. Chaque locuteur regarde son auditeur dans les yeux, l’interaction se passe correctement. Lors du dernier cadre de participation, la conclusion de l’interaction se remarque essentiellement par la gestuelle et les silences échangés. Ils servent à montrer et à acquiescer, ils sont une première voie de sortie, de conclusion de l’interaction. H a recours à la parole pour mettre un terme à l’échange en utilisant « merci », ce qui indique également qu’il a accepté l’échange d’objets, mais qu’il veut partir.
Après l’analyse des deux situations d’interactions, il est maintenant possible de définir des normes d’interactions, mais qui ne sont pas les mêmes pour tous les participants.
D est la participante la plus présente, dans chacune des situations. Son registre de parole est familier. Elle a un fort accent brésilien, et est très familière avec les visiteurs, notamment avec A. Elle utilise le tutoiement à chaque fois, et est en général très tactile au début de l’échange. Son regard accompagne ses gestes et ses mots, il permet lui aussi d’essayer de convaincre d’avantage, voire parfois de séduire. Tant qu’elle vend son produit, elle va regarder la personne avec laquelle elle interagit. Mais dès que l’échange se termine, ou qu’il y un désaccord, elle cesse toute communication visuelle. Son regard est un moyen de savoir que l’interaction est finie, ou qu’elle se passe mal. D ne laisse pas souvent la parole à ses interlocuteurs car elle a peu de question a posé, c’est elle qui mène l’échange en cours. Pour D, il n’y a pas de raisons de laisser la parole car c’est elle qui doit vendre son produit. Mais dès qu’elle donne une tournure négative à l’interaction, qu’elle se tapisse dans le silence, ou qu’elle parte, les participants sont souvent déroutés, et ne comprennent pas. De plus, il n’y a aucune forme de salutation de sa part, que ce soit ou début ou à la fin de l’interaction, qui soit visible pour son interlocuteur, ou même compréhensible. Elle ne dit jamais ni « merci », ni « au revoir », et se contente de sourire. On remarque très souvent que cette clôture perturbe les participants. En dressant le profil interactionnel de D, on se rend compte que les normes d’interactions diffèrent, et que les siennes dérangent ceux auxquels elle s’adresse. Cela peut s’expliquer soit par le fait qu’elle provienne d’une culture différente de la nôtre et qu’elle ne se rend pas compte que ses habitudes ne coïncident pas forcement avec celles d’autre pays ; soit qu’elle n’est pas assez de bonne volonté pour respecter certaines normes d’interactions et de politesse. Ses ouvertures se passent très bien, mais dès qu’il y a difficulté, refus ou négociation, elle donne l’impression de ne plus réussir à gérer l’interaction.
Le comportement interactionnel de C transgresse encore plus les normes interactionnelles admises par les visiteurs de la brocante. On comprend cette similarité avec D par le fait qu’elle soit sa fille. Il est très difficile pour son interlocuteur d’ouvrir ou de clôturer l’échange.
Elle ne regarde pas la personne qui parle. Elle garde une distance spatiale assez importante, notamment par le fait qu’elle reste assise même si débute une interaction. Elle ne prend jamais le rôle d’auditrice et répond de manière courte et froide. On remarque que son comportement dérange, car il met en péril l’harmonisation de l’interaction, et demande aux interlocuteurs un travail pour savoir comment maintenir l’échange. L’interaction avec C se termine dès lors que son locuteur arrête d’interagir avec elle. Elle ne fournit pas d’effort pour maintenir l’échange, elle le fuit. On remarque alors que ce paradoxe entre son rôle de vendeuse et son comportement interroge les acheteurs sur sa présence ici.
Les normes d’interactions sont les mêmes pour tous les acheteurs qui ont visité le stand de C et D. Dans ce cas précis, H et A. On ne remarque pas de salutations de leur part lors de l’ouverture de l’interaction. Cependant, les deux ouvertures se passent mal car ils rencontrent certaines difficultés à rentrer en contact avec C. Ils débutent l’échange directement par une question, et non pas par une formule d’ouverture ou de salutation. Ils utilisent un langage soutenu, en vouvoyant leur interlocuteur. Ils respectent les règles de proxémie, en se tenant de leur coté du stand. Les interactants marquent qu’ils ont terminé en disant « merci ». Ils n’en montrent pas d’avantage car D ne leur en laisse pas l’occasion. Ce qui marque principalement la fin de l’échange est leur situation spatiale. La clôture se fait lorsque chacun des participants repart à sa place, quitte le stand. Leur prise de tour de parole est limitée car c’est D qui les régit. Cependant, on observe que la parole est plus facilement accessible lorsque les participants vont dans le sens de D. Ils utilisent le silence pour montrer leur étonnement, leur interrogation, ou leur incompréhension. Cependant, on remarque des moments de silence seulement lorsque D quitte la cadre de participation. Il est difficile pour les visiteurs de respecter les rituels d’ouverture et de clôture d’interaction, car les deux interlocutrices les en empêchent.
Nous allons désormais nous atteler à faire la transcription d’un extrait d’un des enregistrements vidéos du corpus de données. Pour cela, nous allons nous intéresser ce qui a été dit ; comment cela a été dit ; et le contexte dans lequel cela a été dit. La transcription sera une traduction de cet extrait. Nous avons fait le choix d’une orthographe non conventionnelle, afin d’être au plus près de ce qui a été dit. Les conventions de transcription sont celles définies par Mme Verdier
(A et B arrivent au stand de C et D. C est assises par terre, sur un drap blanc, coté vendeur
du stand. D est hors champ pour le moment. A et B se trouve à un mètre de distance de C,
dans l’allée de la brocante, dans le coin gauche du stand de C et D)
A : ell’ a l’air bien cette machine . (s’agenouille pour regarder la machine à coudre)
B : °c’est la même .,°
A : °non ? moi j’me, souviens plus ou je l’ai ach’té , ou j’ l’ai . ach’té déjà..° Combie:::n ? la-(.) la machine, (touche la machine avec sa main gauche, regard vers la machine)
C : °20 euros,° (en regardant vers la machine)
A : hein ? (regarde loin derrière C, puis regarde C)
C : 20 euros, (C ne la regarde pas)
B :° tu veux la prendr’ ?° =
A : =°non heu:::° (.) elle marche . (Regard vers C)
C : (.) bah oui ? normal ? (regard au loin) (fouille dans le sac d’à côté) (rire de A et B)
B :° c’est cher ? quand mêm’ . (rire)°
18
A : °et oui ? c’est cher . fiou::: (rire)° (Regarde la machine sous tous ses angles, regard vers
les sacs d’à côté) (D arrive) (A se relève)
D : et comment ? mon amie c’est un’ machine, de professionnelle, celle-là . (D arrive et
prend A par l’épaule, en la secouant légèrement) pour toi ? j’te la fait à 18 euros . (Grand
sourire, échanges longs de regard avec A. D lâche A et avance vers la machine) je ne l’ai
ja::mais utilisé . elle est tout’ neuv’. (elle se penche et lui montre la machine du doigts) c’est
un’ vraie affair’ celle-là . (.) 70 euros dans les magasins . (pointe son doigts au loin) je te
jur’ ? c’est un’ affaire ? (se redresse, et lui reprend l’épaule) allez mon amie ?
(.) [je té l’emball’ .
A : (en riant)[ha:: je sais pas . (.) °18 euros trop cher . ° (regarde vers B) (.) trop cher madam’
. (se défait de D, regard vers D interrogateur)
D : alors tant pis ? (lève les bras au ciel) je la gard’ pour le monsieur, de tout à l’heure alors, il
m’ la prend à 18 euros, lui . (Part de l’autre côté du stand tourne le dos sans regarder A) (A
regarde partir D puis s’agenouille de nouveaux devant la machine)
(10 secondes) (D sort du champs de la camera et touche un manteau qu’elle vend, dos tourné
à la scène de marchandage) (Regard de A vers D, puis vers la machine, puis vers B)
A : je, la prends à 15 euro , (regard vers D) (D ne se retourne pas)
D : non ? 18 euros madam’ ? (.) ° à 3 euros prés quand mêm’ ? ° (hochement de tête)
(4 secondes)
A : bon allez d’accord, (rire) (se relève) vous avez un sac , ( regard vers D)
(D ne répond pas, revient prés de A, prend un sac par terre, met la machine dedans et lui tend
le sac)
A : merci, (en prenant le sac, regardant D. Puis lui tend les sous)
(D prend les sous, sourit, et repart vers le manteau)
(A reste 5 secondes debout devant le stand, regard vers D, puis vers C, puis vers B)
(Rir de A et B)
(A et B s’éloignent vers un autre stand)
Situation de marchandage transcrite, à la brocante de St Jean de Vedas
L’interaction se déroule à la Brocante de St Jean de Vedas, vers 7h20. Les différents protagonistes s’organisent de la manière suivante : A et B sont deux femmes d’une quarantaine d’années, elles se trouvent là pour acheter, elles n’ont pas de stand. C et D sont une fille et sa mère, elles tiennent un stand ici, c’est la deuxième fois qu’elles viennent à cette brocante. La situation de marchandage concerne essentiellement A et D. A veut acheter, D veut vendre.
Dans un cadre général d’analyse, cette interaction se situe entre la négociation et le conflit avoué. Les deux négociatrices, qui sont A et D sont directement impliquées dans le désaccord, à cause de l’objet à négocier qui est la machine à coudre. La négociation suit le schéma général qui est que D donne son prix à A, A lui propose moins par le biais d’une contreproposition ; D rejette la contre-proposition, et on assiste alors à une cristallisation du désaccord. On observe la tension entre la négociation et le conflit avoué lorsque D quitte le cadre de participation. Afin de pouvoir évoquer une négociation à proprement parler, il faut que les négociatrices affichent leur désir de restaurer l’harmonisation de l’échange. Or, l’on observe des procédures d’accord de la négociation seulement du coté de A, D ne faisant aucun effort, n’affichant aucun désir de restaurer l’échange. Catherine Kerbrat Orrechioni emploie le terme de « script » pour évoquer le « schéma abstrait correspondant à la succession des événements ». Celui-ci est admis par les interactants lors de la mise en place de l’échange, puisqu’il change selon chaque situation. Dans le cadre ici de l’interaction entre A et D, on remarque qu’elles n’ont pas la même conception du script, puisque l’échange ne se déroule pas comme A l’attendait. On assiste alors à un « raté », notamment lorsqu’A tente une dernière fois de négocier le prix, en vain. Etant donné que la vendeuse est censée être la professionnelle, et l’acheteuse l’amatrice dans le domaine, A se place comme tel et se soumet en quelques sortes à l’autorité de D.
Au départ, lors de l’interaction entre A et C, l’échange tourne autour du produit, comme dans beaucoup de schéma de négociation. Cependant, cela se passe dans un mode plutôt agressif car les réponses de chacune sont brèves et froides. A veut savoir si la machine marche, ce qui parait logique pour C. Elle laisse percevoir que la question ne se pose même pas, à sa manièrede répondre. Cela place alors A dans une position inconfortable, car elle doit harmoniser l’échange si elle veut que l’interaction se poursuive, et acheter la machine.
Lors de l’essai de la négociation du prix, on assiste à une situation qui s’assimile au marchandage. Cependant, comme le souligne Kerbrat-Orrechioni, le marchandage n’engage aucune « obligation de résultats ». Cela, D l’a bien compris. Le but individuel de chacune des deux parties est d’avoir le meilleur prix pour le même article ; c’est-à-dire le plus bas pour A, et le plus élevé pour D. Cependant, le but commun étant « la réussite de la transaction », D montre le contraire en faisant passer son but individuel avant le but commun. A, elle, agit en respectant le « script », et essaie tant qu’elle peut de réussir le but commun tout en travaillant sur son but individuel.
Les arguments de D lors du marchandage s’apparente à du chantage. Elle donne l’impression à A de ne pas s’intéresser à cette vente, puisque de toute façon quelqu’un d’autre veut lui prendre la machine au prix qu’elle entend. De cette manière, elle décrédibilise A, et cette dernière n’a pas de choix que d’accepter le prix annoncé, sinon elle la vendra à quelqu’un d’autre.
On observe alors la mise en place d’une relation horizontale, et d’une verticale. En ce qui concerne la première, D établie une distance avec A très paradoxale, car elle met en place des signes non verbaux qui laisse penser qu’elle s’en rapproche, dans un premier temps. Elle se tient à côté d’elle, lui touche l’épaule, la secoue. Son comportement proxémique n’a rien de froid. Dans une première partie de l’interaction, son comportement verbal non plus, puisqu’elle utilise un langage très familier avec A « mon amie », et se permet de la tutoyer D.
Elle tente ici d’instaurer une relation de connivence. Si A cède à cette première proposition, D sait qu’il lui sera beaucoup plus difficile de refuser la seconde proposition, qui est l ’achat de la machine au prix de 18 euros. Elle tente ici une manipulation cognitive, par une technique qui est celle de l’amalgame cognitif. Cependant, A refuse la connivence de par sa gestuelle, elle se retire du bras de D, et de par son comportement verbal, lorsqu’elle lui répond par « Madame ». Elle rétablit une relation professionnelle, et oblige donc D à reprendre un comportement proxémique et verbal qui aillent avec la situation. A gagne l’échange dans un premier temps, puisqu’on remarque que D accepte la remise à sa place de la situation. A remporte provisoirement la négociation. D affiche cependant son mécontentement en quittant le cadre de participation, ce qui laisse dire a A que si elle veut la machine, il va falloir qu’elle rétablisse la communication.
En ce qui concerne la relation verticale mise en place entre les deux participantes, Catherine Kerbrat-Orrechioni expose les relations entre le vendeur et l’acheteur comme se construisant sur la base du client-serveur. C’est-à-dire que le client est considéré comme étant le roi, il faut assouvir son désir. Et le serveur comme étant l’expert, celui qui a le don de maitriser la situation. On assiste ici, dans cette retranscription, à la maitrise de D quant à la situation en
cours. Ce n’est pas tant les mots mais plutôt la tournure qu’elle fait prendre à l’interaction, qui laisse prédire que A va s’incliner devant la maitrise manipulatoire de sa locutrice. Ainsi, une hiérarchie subjective s’impose dans la négociation conversationnelle en cours, D garde le dessus. Elle ne répond pas au schéma client-serveur, elle impose ses propres règles.
Ainsi, le caractère négociatif de cette interaction met en évidence les règles du jeu instaurées par D, qui reste cependant floues. C’est grâce à ce flou qu’il y a négociation ; car A doit s’adapter comme elle peut. Et donc, comme le montre Catherine Kerbrat-Orrechioni, on assiste à l’intersubjectivité de l’interaction.
Après avoir analysé le corpus de données dans le cadre de la brocante de St Jean de Vedas, il nous a été possible de répondre à la problématique qui était : Comment gérer une situation de transgression des normes de communication et de marchandage, dans la brocante de St Jean de Vedas?
Le marchandage est le résultat de plusieurs procédures sémiologiques et langagières, qui constituent un ensemble de règles à respecter pour le bon fonctionnement de l’interaction.
Cependant, ces règles n’étant pas prédéfinies, il en va de la volonté de chacun de les maitriser
sur le tas, et de s’adapter à l’autre.
C et D, nos deux vendeuses, représentaient des expertes pour les acheteurs. Cependant, il est important de rappeler que c’était la deuxième fois qu’elles se rendaient dans une brocante en tant qu’acheteuse. De cette manière, leur rôle de vendeuse leur donnant le statut d’experte ne doit pas être considéré comme tel. On remarque dès le départ qu’elles ne correspondent pas aux attentes des visiteurs de la brocante.
En ce qui concerne A et H, ils ont à chaque fois tenté de rétablir une interaction harmonieuse, en respectant notamment les normes de clôture de l’interaction.
Il est difficile d’entretenir une négociation conversationnelle entre participants, lorsque l’un d’entre eux ne respecte pas les normes habituellement admises, qui constituent le sens commun des marchés aux puces. On peut ici considérer A et C comme étant des novices.
Elles permettent une rupture de la transparence des situations ordinaires dans les marchés aux puces. C’est cette rupture qui nous permet d’observer le sens commun admis par tous, ce qui rejoint l’analyse conversationnelle de Garfinkel, Sacks, et Goffman. Grâce à cette rupture, il nous est permis d’analyser les moyens mis en œuvres pour le rétablissement de l’interaction, ainsi que son harmonisation.

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Le monde vu d’en bas
Putod Claire

Vision du monde qui nous entoure. Révéler les valeurs de chacun. Donner à voir les oubliés.