La chaîne d’approvisionnement « bionique » est déjà une réalité

Louis Enaux

PwC Canada
PwC Canada
6 min readOct 30, 2018

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Les chaînes d’approvisionnement ont longtemps été constituées de modèles linéaires liant production, distribution et clients. Initialement soutenues par des processus et des configurations figés, ces chaînes d’approvisionnement étaient souvent essentiellement des activités internes. Depuis une vingtaine d’années, les technologies évolutives ont permis d’ouvrir les chaînes d’approvisionnement, de les rendre plus dynamiques, et elles ont rendu possible l’intégration d’acteurs internes et externes. Malgré tout, le cycle de planification, de commande et de livraison restait encore séquentiel, et les erreurs commises en amont se reflétaient par la suite dans des problématiques de ruptures, de surstocks ou de longs retards de livraison. Ces modèles standards traditionnels sont aujourd’hui totalement périmés en raison de la demande volatile, hyperdynamique et totalement personnalisée.

N’importe où n’importe quand

Les nouveaux comportements d’achat « n’importe où n’importe quand » rajoutent une nouvelle dimension dans cette perturbation de la chaîne d’approvisionnement, tout particulièrement dans les secteurs de la distribution et des produits de grande consommation. L’originalité et l’unicité d’une demande client a cédé la place à une demande qui s’est diversifiée et multipliée au fur et à mesure de la diversification des canaux de commercialisation.

Les enjeux auxquels sont confrontés la plupart des acteurs de la chaîne d’approvisionnement, quelle que soit leur industrie, sont essentiellement :

- une augmentation permanente du commerce électronique dans les modèles de distribution;

- une accélération de la demande par l’accroissement du commerce électronique;

- une demande encore poussée par les principes de livraison « le jour même ».

La chaîne d’approvisionnement « bionique »

L’agilité requise pour s’adapter à ces nouveaux facteurs et aux enjeux qui y sont associés, soit la totale flexibilité, requiert l’usage de toutes les formes de capital disponibles dans l’entreprise : capital financier, capital humain, ressources naturelles mais aussi, et c’est ce que nous apprennent des organisations comme Amazon, Alibaba ou Apple, de nouvelles formes de ressources.

Ces ressources sont constituées des données comportementales sur les clients (le capital comportemental), des connaissances et des algorithmes propriétaires (le capital cognitif), d’un réseau de partenaires et de clients étendu et d’une présence dans les réseaux sociaux (le capital réseau). L’enjeu est de numériser la chaîne d’approvisionnement et de la rendre « bionique » pour l’ensemble de ses acteurs : fournisseurs, opérateurs, distributeurs et clients.

Sous l’impulsion de ces nouveaux comportements d’achat, certaines industries, comme les loisirs et la culture (cinéma, musique, livres et magasines, etc.), ont pu opérer une transformation complète de leur modèle opérationnel et de leur chaîne d’approvisionnement. Ils ont pu opérer ces transformations par l’intégration de nouveaux canaux de distribution, la dématérialisation des produits, une modification totale des structures des catalogues, la transition d’un modèle de vente vers un modèle de service par location puis d’abonnement et enfin, aujourd’hui, une distribution démultipliée par les canaux liés aux réseaux sociaux.

L’adaptabilité repensée

À mesure que la chaîne d’approvisionnement se diversifiait et s’adaptait aux clients, les données de consommation se multipliaient, s’affinaient, s’obtenaient plus rapidement. Ces entreprises ont ainsi pu d’abord adapter leur distribution a un profil de consommation des plus fins, puis développer avec leurs fournisseurs des catalogues de produits dynamiques répondant aux attentes les plus récentes de leurs clients.

Du fait de contextes particuliers, ces industries ont pu, avant les autres, trouver des solutions en réponse à la rupture totale avec les modèles traditionnels, et adapter leur chaîne d’approvisionnement. Mais les autres industries de la distribution, du transport et des produits de consommation sont tout autant confrontées aux nouvelles attentes des clients. La convergence de nombreuses nouvelles technologies (Internet des objets, chaîne de blocs (« blockchain »), intelligence artificielle, etc.) rend aujourd’hui possibles ces nécessaires transformations. Tout l’enjeu est alors non pas de rajouter une couche numérique sur un modèle traditionnel, mais bien de repenser l’ensemble par une intégration du numérique.

Les nouvelles formes de capital

Avec ces défis posés aux chaînes d’approvisionnement apparaissent les notions de nouvelles formes de capital disponibles dans l’entreprise qui fournissent des solutions novatrices et permettent de décrypter les transformations réussies ou à venir :

- En prévision d’une demande changeante qui génère surstocks et ruptures, le capital comportemental met à la disposition des entreprises des données de clients collectées au moyen du CRM, de programmes de fidélisation, de groupes de discussion, etc. Modélisées, ces données permettent de prévoir les variations à venir (pics, chutes, changements dans la demande), les changements à effectuer (réaffectation des stocks, réduction de la production) et donnent à la chaîne d’approvisionnement une plus grande réactivité.

- Sous la pression du multicanal et des livraisons accélérées, les réseaux de distribution se sont complexifiés à outrance, multipliant les entrepôts et les flux de transport, dont la gestion devient difficile. Le capital cognitif accompagne cette diversification en numérisant les opérations, créant des jumeaux numériques (« digital twins ») (compilation de modèles de données, d’algorithmes et de connaissance des opérations). La représentation numérique des actifs et des processus permet de comprendre les opérations, de prévoir leur efficacité et d’optimiser leur performance.

- À une croissance limitée par le catalogue des produits et les clients existants ou connus, le capital réseau, à l’image des réseaux sociaux, apporte des solutions en projetant l’entreprise hors de ses frontières traditionnelles (géographiques, culturelles, usage des produits). Nouveaux marchés, nouvelles populations, nouveaux clients, nouveaux usages du même produit, tout cela dynamise la croissance. La technologie de la chaîne de blocs est alors cruciale pour permettre à l’information de circuler librement.

L’enjeu de la chaîne d’approvisionnement « bionique » se simplifie alors : comment actionner ces nouvelles formes de capital numériques avec les formes humaines de capital plus traditionnelles? Comment intégrer personnes et machines et ainsi bénéficier d’une plus grande agilité, d’une réactivité améliorée, d’une meilleure transparence, d’une prise de décision simplifiée et enfin, dynamiser la croissance et attirer de nouveaux talents?

Construire un nouvel écosystème

La chaîne d’approvisionnement « bionique » n’est pas la numérisation de fonctions existantes, mais bien la création d’un nouvel écosystème. Cette construction requiert de nouveaux talents et une volonté de transformation au cœur de l’entreprise. Elle est fondée sur les principes d’intégration, de visibilité et de vitesse de réaction :

- Intégration des approvisionnements, des fournisseurs, de la logistique en amont puis en aval, de la production, de l’entreposage et du client, le tout contrôlé depuis un point central, éventuellement virtuel. Par l’intégration et le partage des données, la planification peut devenir hyper-réactive : les délais d’approvisionnement en matières premières sont mis à jour en temps réel par les fournisseurs, et intégrés dans la planification de la production. L’heure d’arrivée attendue est annoncée et respectée, ce qui permet une réduction des stocks, du cycle de production et de la taille des lots. La commande du client est prête plus rapidement, conformément à ce qui a été établi. Elle peut être prise en charge de manière anticipée pour une livraison le lendemain.

- Visibilité de l’information collectée par l’intégration et le partage entre tous les acteurs, ce qui permet une collaboration entre les horizons stratégique, tactique et opérationnel. La notion même de silo, qui rigidifie les chaînes d’approvisionnement en faisant de chaque maillon un acteur indépendant, disparaît. L’information visible et partagée à chaque étape du macro-processus sensibilise aux notions de client-fournisseur.

- L’intégration et la visibilité permettent une accélération des réactions de chacun des acteurs de la chaîne. C’est l’agilité de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement qui est enfin multipliée. Cette vitesse de réaction est encore accélérée par les transformations fonctionnelles opérées:

· Les achats et les approvisionnements 4.0 automatisent les transactions entre requérants et fournisseurs par des plateformes et des catalogues partagés;

· Les entrepôts, robotisés, proposent des taux de service inégalés, minimisant les inventaires;

· Les stratégies de maintenance, alignées sur les principes du RCM (« Reliability-centered Maintenance ») grâce à la généralisation des capteurs, font plein usage de l’impression 3D et permettent des taux de service machine de près de 99 % …

La disponibilité des données, leur partage et leur traitement rapide ne font plus que décrire ou même prédire la chaîne d’approvisionnement, mais permettent d’en guider le pilotage.

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