Et le président américain est… George Washington !

Qui était le premier président des Etats-Unis, élu en 1789 à l’unanimité du collège? Portrait de cette figure légendaire alors que les Américains s’apprêtent à élire leur 45e chef d’Etat. Cet article est la version longue d’un papier paru dans le Matin Dimanche du 6 novembre 2016.

Guillaume Henchoz
Quelle histoire !
7 min readNov 8, 2016

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George Washington, 57th & Sandy / cc brx0 — Flickr

Les Etats-Unis élisent dans la fièvre leur 45e président des Etats-Unis selon une procédure mise en place en 1789, qui a porté au pouvoir George Washington. Agriculteur méticuleux, explorateur passionné et militaire efficace, il incarne bien «l’Américain, cet homme nouveau», selon la formule de sa récente biographe Liliane Kerjan.

L’histoire familiale des Washington est profondément liée à la plus vieille des colonies anglaises sur le Nouveau Continent: la Virginie. En 1656, un certain John Washington s’y installe et achète des terres. Au fil des générations, les possessions s’agrandissent. George Washington, né en 1732, est le premier enfant du second mariage de son père Augustine, et compte de nombreux frères et sœurs. Contrairement aux générations précédentes, il se forme de manière assez sommaire et n’ira jamais parfaire son éducation en Europe.

Il arrête même de suivre l’enseignement à 16 ans et se passionne pour l’activité d’arpenteur, qui lui permet de voyager sur ce continent encore en grande partie inexploré. Seul ou à la tête d’un petit groupe, à pied, à cheval ou en canot, il est souvent par monts et par vaux. Ses compétences de géomètre sont appréciées par des propriétaires qui doivent délimiter leur territoire et par les autorités coloniales qui fixent les nouvelles zones vers lesquelles s’étendre. Bon gestionnaire, il administre avec rigueur les terrains qu’il a reçus en héritage à la mort de son père.

Il a 20 ans lorsque le gouverneur de la Virginie entreprend de redécouper le territoire afin de renforcer son organisation. Le jeune major adjudant George Washington se trouve alors à la tête de l’un des quatre districts de la colonie. On s’inquiète tout particulièrement des velléités d’expansion françaises. L’année suivante, il est chargé de monter une expédition afin de s’enquérir des intentions de ces turbulents voisins. Il fait l’expérience du feu quelques mois plus tard. Le 27 mai 1754, il a l’honneur de commander les troupes anglaises qui attaquent et défont les Français au fort Duquesne, en Pennsylvanie. Cet évènement va précipiter l’Europe et ses colonies dans une guerre qui va durer sept ans. Mais si le jeune officier se montre fougueux, il n’est pas toujours à son affaire. Quelques mois plus tard il se fait bêtement surprendre à découvert avec un détachement de 350 hommes et se voit forcé de capituler après avoir subit de nombreuses pertes. Toutefois, ses connaissances du terrain lui permettent de continuer à prendre du galon dans l’armée.

Piètre orateur mais fin tacticien

Dans le civil, Washington fait également ses premières armes. Le voilà élu à la chambre des Bourgeois, qui constitue le parlement de la Virginie. Washington est un piètre orateur mais il se montre volontaire: il apprend à prendre la parole en public. Il se révèle surtout fin tacticien et politique retors. Son caractère tempéré et son esprit calculateur sont appréciés. Washington attend souvent que tout le monde se soit exprimé pour donner son avis. Et des caractères modérés, il va en falloir, car une violente crise opposant les colonies américaines à leur métropole se dessine.

Au sortir de la guerre de Sept Ans, en 1763, l’Angleterre a gagné mais elle est sur la paille. Le gouvernement du nouveau roi George III décide de taxer toujours plus durement les colonies outre-Atlantique. Les relations avec la métropole se tendent. «A l’heure où nos nobles maîtres de Grande- Bretagne ne visent rien de moins qu’à supprimer la liberté en Amérique, il me paraît indispensable de tenter quelque chose pour détourner le coup et assurer cette liberté que nous ont léguée nos ancêtres», confie Washington à un proche dans sa correspondance.

Il n’est toutefois pas un fervent partisan de la séparation et de la lutte armée contre l’Angleterre. La guerre doit être considérée comme la dernière des solutions, car elle n’est pas bonne pour les affaires. Or Washington, comme de nombreux autres grands propriétaires, est en contact constant avec l’Angleterre. Il y exporte une partie des ressources de ses domaines et y importe quantité de produits que l’on ne trouve pas encore dans les colonies: vaisselle, draps, tissu, etc. Au cours de la décennie qui précède le conflit, son cœur va tout de même finir par pencher du côté des patriotes, au détriment des loyalistes. Et en 1775, les jeux sont faits. Le Congrès, qui regroupe neuf colonies anglaises, se constitue en Etats libres sous le nom d’Etats-Unis. Un embryon d’armée continentale se forme autour de Boston. Son commandement est confié à George Washington.

C’est au cours de la Guerre d’Indépendance, entre 1775 et 1783, que se forge sa légende. Sans être un génie militaire, Washington opte pour une stratégie qui s’avérera payante face à une armée anglaise aux effectifs nettement supérieurs: tant qu’il le peut, il va refuser toute confrontation directe. Il ne relève le gant que lorsqu’il n’a plus le choix ou qu’il sait qu’il peut l’emporter. Il choisit des tactiques de harcèlement, cherchant à épuiser l’adversaire. L’armée continentale va certes subir d’importantes défaites, mais la bataille de Yorktown, qu’il remporte en 1781, scelle le cours du conflit.

Washington est un gestionnaire soucieux et avisé. Il n’a de cesse, au cours des hostilités, de s’inquiéter du sort de sa propriété. Il gère son armée avec la même rigueur paternaliste. Une fois la paix signée, «il remet au Trésor américain un rapport détaillé de soixante pages de sa main sur ses dépenses», note ironiquement Lilian Kerjan. Une fois la guerre terminée, Washington prend sa retraite. Il regagne sa propriété de Mount Vernon et s’occupe de la gestion du domaine tout en recevant de nombreux invités, tel son ami le marquis de Lafayette qui commandait le corps expéditionnaire fran-çais venu soutenir les Américains.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais les nouveaux Etats-Unis se cherchent un président. La fonction existait auparavant sous la forme d’un chef du parlement. La Constitution de 1788 établit le régime présidentiel et bicaméral du nouvel Etat. Elle définit le système d’élection du président qui prévaut aujourd’hui encore, par le biais de grands électeurs désignés par chacun des Etats au prorata de leur population.

Au-dessus de la mêlée

Washington, le héros de l’indépendance, est sollicité par de nombreuses personnalités pour se présenter. «Il ne fait aucun doute que l’aura des succès militaires le place au tout premier plan — comme Eisenhower au XXe siècle — pour la conquête du pouvoir civil», analyse sa biographe. Il se fait pourtant un peu prier. «Il serait peu glorieux pour vous de ne pas risquer la gloire», lui aurait glissé Alexander Hamilton, qui deviendra Secrétaire du Trésor sous le premier gouvernement.

Son nom est finalement présenté au Congrès et il est élu en 1789 à l’unanimité des 69 électeurs qui participent au scrutin. Le système est encore en rodage. Plusieurs Etats n’ont pas désigné de grands électeurs. Certains recourent au suffrage direct pour nommer leurs représentants, d’autres pas. En réalité, sur les 3 millions d’habitants des 13 membres de la Fédération — dont 600 000 esclaves — moins de 39 000 citoyens sont appelés à voter, soit 1,3% de la population.

Au cours de ses deux mandats, les lignes de fractures politiques et idéologiques du tout nouvel Etat commencent déjà à se dessiner. Les fédéralistes, partisans d’un pouvoir central fort, s’opposent aux radicaux, tandis que les Etats du Sud peinent à s’entendre avec ceux du Nord. Washington parvient cependant à rester au-dessus de la mêlée: «Sans être idéologue, il forge une théorie politique, prêchant l’union en toutes circonstances et la neutralité. Son ambition est celle du propriétaire terrien qui veut faire commerce, vivre dans l’opulence et faire prospérer son domaine», écrit Liliane Kerjan.

Cette absence de parti pris marqué lui permet de s’ancrer dans la mythologie nationale sans qu’il puisse être récupéré par un parti ou un autre. A la fin de son deuxième mandat, il décide de s’arrêter alors qu’on lui propose le fauteuil présidentiel une troisième fois. Washington quitte le pouvoir et entre dans la légende: deux siècles plus tard, il n’est plus seulement le premier des présidents des Etats-Unis. Il a donné son nom à un Etat, une capitale, sept montagnes, huit cours d’eau, dix lacs et trente-trois comtés. «J’aime mieux descendre doucement le fleuve de la vie et laisser à la postérité le soin de penser et de dire ce qu’elle voudra sur mon compte», écrit-il en 1784 dans une lettre à son ami Lafayette. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la postérité n’a pas été avare de sa reconnaissance. D’autres présidents, après lui, auraient aimé pouvoir en dire autant.

Un président esclavagiste

George Washington visitant son exploitation / D’après Junius Brutus Stearns / Library of Congress

Après la mort de son demi-frère, George Washington a l’occasion de racheter le domaine familial à sa belle-soeur, Mount Vernon. 118 esclaves sont rattachés aux terres. Comme de nombreux autres propriétaires terriens exploitant les ressources naturelles de son domaine, Washington a recours à des esclaves noirs.

Pendant la Guerre d’Indépendance, Washington joue une partition très compliquée. Certains Etats se sont déjà prononcés contre l’esclavage alors que pour d’autres, l’économie ne saurait fonctionner sans ces esclaves. De son côté, le gouverneur royal de Virginie qui représente la couronne d’Angleterre promet l’affranchissement à tous les Noirs qui combattent en faveur de la Grande-Bretagne. Pendant la guerre d’indépendance, Washington se lie d’amitié à Lafayette, abolitionniste convaincu et infléchit sa position.

Après la guerre, Washington opte comme à son habitude pour une position modérée qui s’emploie à contenter ses différents amis esclavagistes et abolitionnistes tout en lui permettant de régler ses affaires personnelles. Dans l’une des nombreuses lettres de la correspondance qu’il échange avec Lafayette il lui fait par de sa décision “d’abolir l’esclavage par degrés, de manière lente, sûre et imperceptible”. Il était donc plutôt partisan d’une sorte de phase de transition au cours de laquelle les Noirs seraient mis sous tutelle avant de retrouver complètement leur liberté. Dans son testament, il confie le soin à sa femme de libérer les esclaves travaillant sur leur propriété.

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