«François Ier a donné naissance à la nation française »

Pour de nombreux historiens, c’est dans la première partie du XVIème siècle que se dessine les contours de l’Europe moderne. La France est marquée par le règne de François Ier, considéré comme le premier chef d’état d’un royaume qui commence à s’affirmer en tant que nation. Dans la récente biographie qu’il consacre à ce monarque, l’écrivain Max Gallo retrace le parcours politique d’un homme politique qui a marqué son temps. Sous sa plume, on assiste à la naissance de la raison d’Etat et à la formation d’alliances d’un genre nouveau. Une version un peu plus courte de cet entretien est parue dans le Matin Dimanche.

Guillaume Henchoz
Quelle histoire !

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Pourquoi avoir choisi de dresser le portrait de François Ier ?
Tout simplement parce que ce roi a joué un rôle capital dans l’histoire de la France et dans le destin français. Je me suis toujours un peu reproché de ne pas m’être intéressé plus tôt à ce personnage. Son règne s’étend de la fin du XVe siècle jusqu’au milieu du XVIe. C’est un moment charnière pour la France. Je veux m’intéresser à ce noeuds. François Ier n’est pas un monarque dont on va brosser le portrait en se référant à ce qui le précède mais c’est un roi qui investit l’avenir de la France. D’une certaine manière on peut dire que son règne annonce l’existence de l’Etat français.

Comme ses prédécesseurs, François Ier semble obnubilé par l’Italie et rencontre des succès importants au début de son règne…
Effectivement, la carrière de François Ier s’ouvre en 1515 sur la brillante victoire de la France à Marignan, dans la région de Milan. Son règne commence avec faste sur ce succès. Le roi a chargé l’ennemi avec la fine fleure de la chevalerie française. Il accordait un grand rôle à cette victoire puisqu’il s’est fait adouber sur le champ de bataille par Bayard, considéré comme le meilleur chevalier de son armée. Cette bataille s’inscrit dans la tradition de celles du Moyen Age. Cela peut paraître paradoxal car l’artillerie a également joué un rôle non négligeable dans le déroulement des opérations. Grâce à cette victoire, le nouveau roi a pu s’imposer comme une des personnalités majeures de l’Europe politique.

Pourtant, dix ans plus tard, le ciel s’assombrit pour le jeune roi. Son ancien vassal Charles de Habsbourg est devenu empereur sous le nom de Charles Quint et règne sur un territoire qui enveloppe le Royaume de France. Le conflit est inévitable et la chance tourne pour François Ier …
Oui, Marignan est indissociable de la défaite française survenue lors de la bataille de Pavie qui se déroule en 1525. Suite à cette dernière, François Ier est fait prisonnier. On l’emmène en Espagne. En 1526, Il est contraint de signer le traité de Madrid qui ne lui est pas favorable et il se voit obligé de confier ses propres enfants en otage à la cour de Charles Quint. C’est l’humiliation. Ce couple Marignan-Pavie va orienter toute la politique extérieure du long règne de François Ier.

La bataille de Pavie par le peintre Ruprecht Heller

Plus précisément, quelles sont les conséquences politiques de cette défaite et de l’emprisonnement du roi de France ?
François Ier a été profondément marqué par Pavie. Il en a fait une longue dépression qui l’a peut-être poursuivi jusqu’à la fin de sa vie. Mais il en a aussi tiré des leçons et il fait usage d’une grande prudence politique désormais. Il n’est plus le boute-feu qu’il était au début de son règne. Il a tenté de se rapprocher de son ennemi juré, Charles Quint, allant jusqu’à épouser sa soeur en deuxième mariage. En même temps, il n’hésite pas à former, lui le roi très catholique traitant avec les papes successifs, une alliance solide avec l’ennemi juré de la chrétienté, à savoir Soliman le Magnifique, Sultan de l’empire ottoman. En 1543, la flotte française alliée à la flotte ottomane bombarde Nice, une ville alors en possession de l’Empire. Les Turcs obtiendront même du Roi l’autorisation d’hiverner à Toulon pendant l’hiver. La ville est évacuée à cet effet. Il y a quelque chose de très moderne qui se joue-là.

C’est-à-dire ?
C’est à cette période qu’on voit apparaître la notion de nation. Bien sûr, cette nation française qui émerge est chrétienne, catholique, gouvernée par un roi thaumaturge (qui guérit les écrouelles, ndlr) dont le pouvoir est d’origine divine. François Ier est un catholique fervent, nul doute la-dessus. Mais en même temps, c’est un souverain moderne qui se laisse la possibilité de traiter avec un infidèle, ennemi du pape, au nom du réalisme politique. J’ai le sentiment qu’on assiste ici à la naissance des Etats, ces «monstres froids» comme les appelait le Général De Gaulle.

Rencontre au sommet. Cette peinture du Titien représente François Ier et Soliman le Magnifique. Pourtant les deux souverains ne se sont jamais rencontrés.

Vous êtes un auteur prolifique, comment vous organisez-vous pour travailler sur un personnage historique ?
Je n’ai pas d’autres distractions que mon travail. Quand je m’intéresse à un personnage historique, j’applique une sorte de méthode que je pratique depuis 1964, date à laquelle j’ai publié une biographie de Mussolini. Je commence toujours par m’imprégner de la personnalité que je veux décrire. Pour y arriver, je lis plusieurs fois les écrits qu’elle a pu laisser. Sa correspondance, ses mémoires, etc. J’essaie surtout de saisir la pensée de celui que je vais portraiturer. Dans un deuxième temps, je m’efforce de compiler les livres déjà existants. Je choisis particulièrement ceux qui sont en rapport biographique personnel avec mon héros. Ensuite, je commence à écrire. Je m’efforce de ne pas donner un point de vue partisan sur le personnage dont je peins le portrait et j’essaie de faire comprendre comment fonctionne sa personnalité, les mécanisme qui l’animent. Je fournis les éléments de contexte et j’organise la mise en scène. Ensuite c’est au lecteur de trancher et de se faire une opinion.

Vous qualifiez vous-même les personnages dont vous brossez le portrait de «héros». C’est un terme qui relève plus de la fiction que du livre d’histoire non ?
J’ai une formation d’historien. j’ai passé mon agrégation et ai enseigné l’histoire. J’ai aussi rédigé des articles à caractères académiques. Mais je me suis petit à petit détaché de cette manière un peu froide de faire de l’histoire. Je considère que toute oeuvre relève en partie de la fiction. Même dans les livres d’histoire universitaire on en trouve un peu. Je pense que la réalité n’a pas de limites. Il s’agit de choisir la vague qui va vous porter dans cet océan de réalité.

Chez les historiens, la biographie a longtemps été un genre peu considéré…
En France on a beaucoup dénigré le récit biographique. Cela s’explique par le fait que l’école des Annales, dont sont issus de nombreux historiens français, s’intéresse plus à l’histoire matérielle, au mouvement des plaques tectoniques, tout en laissant de côté l’étude des destins personnels. Certains s’y sont toutefois essayés, mais c’est loin d’être une réussite. George Lefebvre est par exemple l’auteur d’un Napoléon, une somme de plusieurs centaines de pages. Mais c’est à peine s’il consacre dix ou quinze pages à la personnalité du personnage ! L’historien médiéviste Jacques Le Goff, qui a passé une grande partie de sa vie à maudire les biographes en disant qu’ils étaient incapables de faire de l’histoire profonde, a fini par publier lui aussi un monument difficilement pénétrable: une longue biographie de Saint Louis. De manière générale, il me semble que les choses évoluent et que le récit biographique est devenu un genre à succès, très apprécié par les lecteurs.

Quelles leçons pourrait tirer un personnage politique en lisant votre François Ier ?

La principale leçon à retenir, c’est qu’il ne faut pas se laisser emporter par l’alcool de la gloire et des champs de bataille. Il faut se rappeler que dans une guerre, le plus important n’est pas comment on la commence, mais comment on la termine. Cette leçon me semble capitale. Quand François Hollande glisse un «c’est le plus beau jour de ma carrière politique» alors qu’il est en visite au Mali pour y suivre et y soutenir les opérations militaires menées par la France, c’est assez ennuyeux. Car après les débuts de la guerre qui sont souvent assez glorieux, il faut pouvoir en mesurer toutes les conséquences.

Un autre aspect de la modernité de François Ier devrait également inspirer nos dirigeants politiques. C’est un excellent communiquant. Cela se voit à sa manière de parcourir son royaume dans tous les sens pour aller à la rencontre de ses sujets. Il a le souci permanent d’être présent auprès de son peuple et de se trouver en accord avec lui.

A lire:

Max Gallo, «François Ier — Roi de France, roi-chevalier, prince de la Renaissance française», Editions XO.

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