Illustration : partie d’un tableau de Giovani Battista Cima da Conegliano

Jésus Christ, leader politique

Dans « Le Zélote », l’historien des religions américain Reza Aslan présente Jésus comme un révolutionnaire. L’auteur n’est pas le premier à porter cette thèse, mais le fait qu’il soit musulman a déclenché une polémique aux Etats-Unis. Article paru dans le Matin Dimanche.

cliologue
Quelle histoire !
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4 min readFeb 5, 2016

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« Pourquoi avoir écrit un livre sur la vie de Jésus alors que vous êtes musulman? » Lauren Green, journaliste de la chaîne conservatrice américaine Fox News reformulera plusieurs fois cette question au cours d’un entretien avec Reza Aslan. L’historien des religions vient présenter sa biographie de Jésus, dont la traduction française sort cette semaine. Il s’emploie vaille que vaille à rappeler qu’il possède un doctorat en histoire des religions, maîtrise le grec, et travaille sur le sujet dans un contexte académique depuis plusieurs années. Rien n’y fait. Lauren Green reformule systématiquement la même question: « En tant que musulman, pourquoi écrivez-vous sur Jésus? »

C’était en juillet 2013. Paradoxalement, cette interview surréaliste a certainement contribué à promouvoir Le livre de Reza Aslan qui s’est maintenu pendant plusieurs semaines parmi les plus grosses ventes aux Etats-Unis. L’auteur y présente Jésus dans son contexte culturel politique et social. Dans cette première partie du Ier siècle de notre ère, ce qui s’appelle alors la Palestine est une province de l’Empire romain. Le pouvoir se partage entre les représentants de l’autorité impériale et la classe sacerdotale des Sadducéens, du nom de ce courant du judaïsme antique. Les tensions sont vives avec les romains considérés par une importante partie de la population comme des occupants. Pour Aslan, la figure de Jésus doit se lire comme celle d’un meneur qui tente de conduire tout un peuple vers son indépendance: « Les uns pensaient que le Christ allait venir en restaurateur et rendre aux Juifs leur gloire antérieure, écrit-il. Les autres voyaient le Christ sous un jour plus apocalyptique ou utopique, quelqu’un qui anéantirait le monde présent et qui construirait un monde nouveau et plus juste sur ses ruines ».

Si ce portrait de Jésus en agitateur politique déboussole une présentatrice de Fox News, il ne fait pas tressaillir un seul sourcil du professeur honoraire à l’Université de Lausanne et spécialiste du Nouveau Testament Daniel Marguerat : « La thèse que développe Reza Aslan est en fait déjà défendue dès 1975 par un historien américain, Richard Horsley. Il présente Jésus comme un révolutionnaire qui s’insurge contre les Sadducéens, défend les pauvres et cherche à poser les bases d’une société plus égalitaire». Richard Horsley occupe en effet une place de choix dans les notes de l’ouvrage de Reza Aslan. Mais les tentatives d’historiciser la vie de Jésus sont bien plus anciennes. «Cela remonte à la fin du 18ème siècle déjà, rappelle Daniel Marguerat. Au 19ème siècle, on s’efforce de reconstruire la figure de Jésus comme celle d’un grand spirituel. C’est par exemple le travail d’Ernest Renan qui publie une vie de Jésus en 1863. Au début du 20ème siècle, de nombreux chercheurs allemands mettent le Christ à distance des textes évangéliques. Un peu plus tard, aux Etats-Unis tout particulièrement, on redécouvre la judaïté de Jésus et on le replace dans son contexte social». C’est précisément dans cette mouvance que s’inscrit «Le Zélote» de Reza Aslan.

Le titre de l’ouvrage ne manque toutefois pas de faire tiquer l’exégète : «Considérer Jésus comme un zélote relève de l’anachronisme», déplore Daniel Marguerat qui définit le zélotisme comme «un mouvement d’insurrection religieuse et militaire, qui surgira trente ans plus tard pour rétablir le royaume de Dieu sur terre et chasser les Romains de Palestine». Or à l’opposé de cela, Jésus défend «une volonté de ne pas céder à un nationalisme violent et guerrier ; c’est une forme de pacifisme», affirme le chercheur. Mais alors comment comprendre le succès éditorial remporté par cette nouvelle biographie si elle n’apporte rien de nouveau sur le personnage de Jésus ?

Thomas Römer qui détient la Chaire des Milieux Bibliques du Collège de France esquisse une explication : «Il y a un réel intérêt des lecteurs pour ce genre de publications. Le livre du chercheur Israël Finkelstein portant sur les dernières découvertes archéologiques ayant trait à la Bible avait déjà bien marché. Ces ouvrages sont bien vulgarisés mais ne font pas dans la nuance. Ils touchent lectorat aux attentes diverses : les anticléricaux sont confortés dans leur croyance, les curieux y trouvent une synthèse de l’actualité de la recherche, les amateurs de conspirations renouent avec une sorte de tradition cachée. Tout le monde en a pour son argent», précise l’historien qui ne déplore pas pour autant le phénomène : «Ce qui est positif, c’est que les textes bibliques continuent à intriguer et passionner un large public». Et c’est certainement là que réside la force de cette dernière biographie de la vie du Christ. Sous la plume aiguisée d’un Reza Aslan, on découvre une excellente synthèse cohérente et bien documentée qui se laisse lire comme un bon roman historique.

Guillaume Henchoz

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