La bataille de Waterloo, défaite victorieuse de Napoléon

Guillaume Henchoz
Quelle histoire !
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7 min readJul 19, 2015

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Le 18 juin 1815, l’armée de l’empereur capitulait face aux Anglais. Mais a-t-il vraiment perdu, s’interroge avec humour l’historien Stephen Clarke dans «Comment les Français ont gagné Waterloo». Ce texte est la version améliorée d’une page Histoire parue dans le Matin Dimanche.

La journée du 18 juin 1815 touche à sa fin quand Napoléon décide de jouer sa dernière carte sur le plateau de Mont-Saint-Jean, près du petit village de Waterloo en Belgique. La Garde de l’empereur s’ébranle pour tenter un dernière fois d’enfoncer les lignes anglaises. Mais les fidèles grognards de Bonaparte sont fauchés par la mitraille de l’artillerie et achevés par l’infanterie. C’est à ce moment que le Général Cambronne aurait lancé son fameux «La Garde se meurt mais ne se rend pas!». Il a par la suite contesté cette citation et on le comprend dans la mesure où il n’est pas mort mais s’est rendu. Il se souvient surtout avoir dit aux Anglais «d’aller se faire foutre» ou plus simplement «Merde!». Dans la violence de la confrontation, les vétérans impériaux ont fini par plier emportant dans leur retraite les restes d’une armée française bien amochée.

Stephen Clarke, Comment les Français ont gagné Waterloo, Albin Michel, 300 p.

Cette bataille sera la dernière menée par Napoléon. Si l’Empereur été incontestablement battu, le terrain des opérations est régulièrement « revisité » par des historiens et des intellectuels français : «Cette défaite brille d’une aura d’une victoire» écrit l’ancien Premier Ministre Dominique de Villepin. Pour l’historien Jean-Claude Damamme, «Waterloo fut pour les Anglais une défaite gagnée ». Qu’est-ce qui motive un tel déni ? Commémoration oblige, le journaliste anglais Stephen Clarke vient de publier «Comment les Français ont gagné Waterloo», dans lequel il tire à boulet rouge des salves d’humour british sur les bonapartistes d’hier et d’aujourd’hui.

pour Stephen Clarke, il est important de rappeler que l’Angleterre et la France sont les meilleurs ennemis du monde depuis la Guerre de cent ans. «Face à ces inlassables fauteurs de troubles britanniques, Napoléon, aux yeux des Français bonapartistes, était une sorte de maître de kung-fu méditant paisiblement sur son tapis de prière à propos du progrès et de la démocratie, tandis qu’une bande de petits galopins anglais lui jetaient des marrons dessus, l’obligeant finalement à se lever pour leur flanquer une claque», écrit-il perfidement. Plus sérieusement, il relève que la mode qui consiste à transformer les défaites napoléoniennes en victoire tactique ne commence pas avec Waterloo. Ainsi, sous la plume de l’historien Jean Tulard, la retraite de Russie dont le climax est atteint par la bataille de la Bérézina n’est en rien un échec : «la Bérézina fut dans des conditions difficiles une victoire française. (…). Napoléon et le gros des troupes ont échappé à la manoeuvre». L’armée française est en fait saignée à blanc, laissant pas moins de 200’000 morts et plus de 150 000 prisonniers derrière elle au cours de l’hiver 1812–1813.

Avec Waterloo, ce qui semble horripiler les apprentis historiens bonapartistes, c’est que l’Empereur a été battu sur son propre terrain : une bataille en rase campagne. En 1814, l’Empereur a été forcé d’abdiquer. On le place sur l’île d’Elbe qu’il gouverne. Il ne tarde cependant pas à revenir en France, profitant de l’instabilité politique suscitée par le retour de Louis XVIII. Cet épisode est le dernier chapitre des guerres napoléoniennes. Les puissances européennes ne veulent pas du retour de l’Empereur et forment une coalition. La finale se joue à Waterloo. Fidèle à ses tactiques, Napoléon positionne ses troupes de manière à pouvoir frapper fort, au centre du dispositif ennemi. Mais rien ne se passe comme prévu. Les Anglais tiennent bon, Les renforts n’arrivent pas. Pire, ce sont les Prussiens du Général Blücher qui viennent appuyer les troupes de Wellington. Dans la soirée du 15 juin 1815, l’affaire est pliée. Les Français sont mis en déroute. Napoléon se retire du champ de bataille.

Stephen Clarke a fait le tour des arguments et des raisons invoquées pour comprendre et analyser la défaite française et exonérer Napoléon de cet échec. De nombreux auteurs insistent sur les mauvaises conditions météorologiques qui auraient défavorisé l’armée française: il a plu pendant toute la nuit précédant la bataille et le terrain est boueux. Les Anglais seraient «naturellement» avantagés. On rejette aussi la faute sur des maréchaux pusillanimes voire incompétents. Grouchy qui était chargé de poursuivre l’armée de Blücher ne se rendra pas sur le champ de bataille dès les premiers coups de canons tirés comme il en avait pourtant l’ordre. Ney charge contre tout bon sens les lignes anglaises fraiches avec la cavalerie. Jérôme Bonaparte engage beaucoup trop d’hommes dans l’attaque de la ferme d’Hougoumont qui verrouille le flanc droit des anglais, alors qu’il s’agissait simplement de créer une diversion. Il faut dire que la plupart des officiers compétents sont morts lors des campagnes précédentes. Certains reprochent même au général Wellington de ne pas se montrer fair-play. Il aurait déjà pris connaissance du terrain environnante village de Waterloo une année auparavant, alors qu’il cherchait justement un terrain pour battre Napoléon en 1814. D’autres, plus prosaïques encore, évoquent de douloureux hémorroïdes qui auraient élus domicile autour du rectum impérial. Difficile de ne pas réprimer des élans de sympathie pour un empereur crapahutant d’un endroit à l’autre du champ de bataille sur son cheval.

La monstre gueule de bois (ce tableau a en fait été réalisé lors de la première abdication de Napoléon à Fontainebleau en 1814)

Mais la palme des raisons permettant à l’Empereur déchu de revendiquer cette victorieuse défaite est sans conteste l’intervention divine. Dieu — c’est bien connu — est contre les Français. Cette idée populaire est également présente dans la littérature. Ainsi dans les Misérables, Victor Hugo, grand admirateur de Napoléon Bonaparte fait dire à un des ses personnages : «sa chute était décidée. Il gênait Dieu». «Le problème peut se résumer à la rivalité de deux mâles alpha, écrit Stephen Clarke. Hugo semble suggérer que Dieu était un peu jaloux de Napoléon et décida de lui rabattre le caquet». Bref, quand on ne nie pas le rôle de Napoléon dans la défaite, on le minimise ou on lui trouve un adversaire plus grand et plus noble qu’un général anglais. «En juin 2015, plus de cinq mille amateurs en uniforme rejoueront la bataille de Waterloo. Cette fois, il y a fort à parier que les Français voleront vers la victoire!», ricane Stephen Clarke.

Le baroud d’honneur du maréchal Ney

Il n’y a pas que la littérature qui permet de réécrire l’histoire. La peinture est tout aussi efficace. Louis-Jules Dumoulin est un peintre parisien engagé par la Belgique pour commémorer le centenaire de la bataille. Il livre une grande fresque qui se trouve au mémorial de Waterloo. Pour représenter la bataille, il peint notamment une charge de la cavalerie française sur le point de basculer les lignes anglaises. On retrouve même la silhouette du général Wellington piégé dans le coin à droite. Difficile de faire plus bonapartiste comme sujet sur Waterloo.

Dans les faits, la cavalerie française a mené une série de charges dans l’après-midi sans l’appui de l’artillerie ou de l’infanterie : une erreur tactique majeure à cette époque. Le maréchal Michel Ney sacrifie au moins cinq montures lors cet après-midi. «Ney continua de conduire des charges avec une détermination suicidaire , mais il aurait aussi bien fait de faire abattre les chevaux et de les servir à déjeuner», suggère Stephen Clarke qui ne peut s’empêcher de relever l’ironie de la situation : l’homme responsable de la mort de tant d’équidés porte un nom qui se prononce neigh — hennissement en anglais. La plupart des historiens sont d’accord sur une chose cependant: le maréchal désirait certainement mourir au combat. Avant la charge, il aurait glissé à l’oreille d’un autre maréchal : «toi et moi, nous devons périr ici, car tous deux, si la mitraille anglaise nous épargne, nous sommes destinés à être pendus». Le maréchal Michel Ney s’en sortira pourtant vivant… et sera fusillé quelques mois plus tard à la suite d’un procès instrumenté par les royalistes de retour au pouvoir.

Analyse d’image

La charge de la cavalerie française par le peintre Louis-Jules Dumoulin

Louis-Jules Dumoulin est un peintre parisien engagé par la Belgique pour commémorer le centenaire de la bataille. Il livre une grande fresque qui se trouve au mémorial de Waterloo. Pour représenter la bataille, il peint une charge de la cavalerie française sur le point de basculer les lignes anglaises. On retrouve même la silhouette du général Wellington piégé dans le coin à droite. On n’aurait pas pu trouver plus bonapartiste comme sujet.

Dans les faits, la cavalerie française a mené une série de charges dans l’après-midi sans appui d’artillerie ou d’infanterie (une erreur tactique majeure à cette époque…). Ces dernières étaient menées par le maréchal Ney à qui on prête une volonté suicidaire (il a dû étriller près de 7 ou 8 chevaux à lui tout seul pendant les charges.). Les lignes anglaises ont été certes ébranlées mais elles tiennent bons.

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