La géographie, le bricolage et la danse: des passe-temps de rois

Avec «Le goût des rois», l’historien Jean-François Solnon entre dans l’intimité des monarques français et dévoile leurs passions secrètes, parfois bien éloignées de leur métier de chef d’Etat. Article paru dans le Matin Dimanche le 22 février 2015.

Guillaume Henchoz
Quelle histoire !

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François Ier était un sportif acharné et un collectionneur compulsif, Henri IV se comportait en véritable chef de chantier, Louis XIII s’enfermait dans sa chambre et peignait ou composait, Louis XV aimait par-dessus tout travailler le bois grâce à un tour installé au-dessus de ses appartements, son petit-fils Louis XVI nourrissait une passion pour les cartes et le grand large sans avoir vraiment jamais quitté Versailles. Les monarques français ont tous eu des lubies que le récent ouvrage de l’historien Jean-François Solnon, «Le goût des rois», passe à la loupe non pas pour dévoiler quelle fut leur politique en matière de savoir et de culture mais pour s’intéresser à ce qu’ils aimaient vraiment et pour approcher l’homme derrière la fonction. L’exercice se révèle cependant assez malaisé tant il est difficile de différencier ces deux aspects. Comme le note l’auteur en introduction, «chez un chef d’Etat, la culture peut être le propre d’une personnalité ou un outil politique, l’essence de l’être ou l’élément constitutif d’une image».

«Un roi sans culture est un âne couronné», affirmait le théologien anglais Jean de Salisbury. Il est vrai qu’un minimum de connaissances a toujours été nécessaire pour présider au destin d’une nation. Pourtant, tout au long de l’histoire mouvementée de la Renaissance et de l’Ancien Régime, il n’a pas toujours été évident d’offrir aux rois une éducation digne de ce nom. C’est le cas du petit Henri de Navarre par exemple. Le futur Henri IV a grandi dans un contexte de guerres de religions entre protestants et catholiques. Celui qui n’est alors que l’héritier d’un petit royaume coincé entre la France et l’Espagne est plutôt un adepte de l’école buissonnière et se forme à la dure au sein de l’armée protestante malgré quelques apparitions à la cour. D’autres petits princes sont de véritables cancres comme semblait l’être le jeune Louis XIV.

Henri III, l’intellectuel

Si certains montrent des prédispositions pour les études, la plupart des rois français n’ont pas forcément le temps de parfaire leur savoir. Et pour cause: les affaires publiques prennent rapidement le dessus. On ne meurt jamais très vieux et les princes sont amenés à régner dès que possible.

On peut toutefois noter une jolie exception, celle d’Henri III qui a régné de 1574 à 1589. Alors qu’il n’est encore que le Duc d’Anjou et le frère du roi, il a une réputation de jeune homme intellectuellement doué. Toutefois, ses charges militaires puis son élection au trône de Pologne ne lui permettent pas de pousser plus avant ses études. Il profite alors d’un long voyage qui le mène à Cracovie pour emmener avec lui le savant et diplomate Guy de Pibrac pour que ce dernier lui commente sur le chemin «La politique» d’Aristote et l’aide à combler ses lacunes en latin. Ce même roi, revenu en France pour succéder à son frère, ménage du temps dans son agenda pour parfaire ses connaissances: «Tout l’intéresse: les livres religieux, les traités politiques, la philosophie, les textes classiques», note Jean-François Solnon. Henri III montre moins de passion pour l’architecture et l’édification de bâtiments et ce n’est pas plus mal: les caisses du royaume sont vides.

La plupart des monarques se montrent moins assidus. Leur intérêt les porte davantage sur des sujets techniques. Depuis François Ier, les rois bâtissent de somptueux palais. Les anciens châteaux royaux se voient parés de sculptures importées d’Italie et entourés de jardins sophistiqués. François Ier prenait plaisir à jouer à l’architecte: «Il examine les devis, discute les plans, les modifie, s’entretient avec les gens de métier. Il est intarissable sur l’avancement des travaux et aime à en montrer les réalisations», écrit l’historien.

Près de cinquante ans plus tard, Henri IV partage cette passion. «Je fais trois choses bien éloignées d’avarice car je fais la guerre, je fais l’amour et je bâtis», aimait affirmer ce monarque qui appréciait par-dessus tout de passer du temps sur les chantiers. Le comble pour ce souverain bâtisseur est certainement de n’avoir pas initié un grand projet qui porte sa marque. Il a cependant le mérite d’avoir terminé les travaux commencés par ses prédécesseurs. Il rénove et agrandit le Louvre, et les palais royaux de Fontainebleau et de Saint-Germain-en-Laye. S’il n’avait pas les connaissances d’un François Ier qui dessinait les plans lui-même, Henri IV s’est révélé un contremaître passionné qui a certainement transmis son goût à son illustre petit-fils: Louis XIV.

Mais il n’y a pas que l’architecture et les travaux de maçonnerie pour éveiller le goût des monarques: la musique est omniprésente à la Cour et on y suit les goûts du roi. Louis XIII, fils d’Henri IV, se montre un mélomane accompli et un compositeur capable. Il veille personnellement au recrutement des musiciens et des chanteurs de la Grande Bande, le premier orchestre officiel de la Cour.

Louis XV, le roi de la bricole

A partir du XVIIIe siècle, certains rois commencent à montrer un vif intérêt pour les sciences. C’est le cas du timide Louis XV qui peut parfois se montrer froid avec les gens de lettres mais qui noue de longues conversations avec les scientifiques. Ce roi est également habile de ses mains. Il installe un véritable atelier de bricoleur dans ses appartements privés et réalise des objets surprenants: «Il est suffisamment habile pour offrir quelques-unes de ses créations à ses proches, ici un cure-dent en ivoire à sa maîtresse, là une pendule de la même matière pour la dauphine Marie-Antoinette.» Il lui arrive même de se mettre aux fourneaux pour nourrir sa petite famille. Il adore particulièrement participer à la confection de pâtisseries au côté du cuisinier royal.

Le mépris pour les philosophes

Son petit-fils Louis XVI semble taillé dans le même bois. Il voue un mépris féroce à l’égard des philosophes. Ces derniers «ont perverti la jeunesse et la classe la plus nombreuse des hommes qui lit sans réflexion», écrit-il en 1786 au botaniste Chrétien Guillaume de Malesherbes qu’il tient en grande estime malgré le soutien de ce dernier au projet de l’«Encyclopédie».

Aux livres des intellectuels, il préfère les traités des scientifiques et les cartes des explorateurs. Alors qu’il a été renversé et qu’il sera bientôt conduit à l’échafaud, on retient de ce roi un peu timoré et sans grand flair politique des propos inquiets sur l’expédition scientifique du capitaine de la Pérouse qu’il a personnellement organisée huit ans plus tôt: «A-t-on des nouvelles de Monsieur de la Pérouse?» s’enquiert-il auprès de ses geôliers pendant son incarcération. Et pourtant, ce géographe en chambre n’aura vu la mer qu’une seule fois dans sa vie.

S’il est difficile de constater des traits récurrents dans les passions cachées ou assumées des rois, on peut toutefois noter qu’ils s’arrangent tous pour ménager leur agenda. «On reste confondu, souligne Jean-François Solnon, devant le temps consacré par les monarques à cultiver leurs passions, alors qu’il leur faut présider la Cour, gouverner un royaume, surveiller, recevoir des ministres, généraux et ambassadeurs, décider de la paix ou de la guerre, conduire les armées…».

«La seule vue d’un livre le fatigue», dixit un courtisan de Louis XIV

Alors qu’il n’était encore qu’un jeune dauphin, Louis XIV semble avoir donné du fil à retordre à ses précepteurs. «La seule vue d’un livre le fatigue», consigne dans ses chroniques le courtisan italien Primi Visconti. Louis se qualifie lui-même d’ignorant. «Il en avait honte, affirme sa belle-sœur, la Princesse Palatine, aussi était-on obligé de tourner les savants en ridicule.» Mauvais lecteur, piètre rédacteur, Louis XIV n’en est pas moins intelligent et bon politique. Il sait s’entourer de personnes capables et apprend d’elles: «Le roi serait donc né sans génie, aurait grandi sans éducation, mais bénéficié d’une formation continue auprès de proches cultivés et sensibles aux arts», écrit Jean-François Solnon. S’il n’est pas mu par de grandes passions intellectuelles, Louis XIV n’en est pas moins un roi bâtisseur. Il s’enthousiasme et se lance dans une série de constructions grandioses et coûteuses dont la plus connue est l’agrandissement du palais de Versailles. Simple pavillon de chasse au début de son règne, celui-ci deviendra le palais où la Cour se fixera définitivement. Comme ses illustres prédécesseurs, le roi court d’un chantier à l’autre, donne ses préférences et annote les plans. Ce Louis s’intéresse tout particulièrement à l’organisation des jardins. Le célèbre paysagiste André Le Nôtre fera même partie des amis proches du roi. Louis XIV est également un bon musicien qui pratique la guitare, donnant ainsi à cet instrument ses lettres de noblesse. Mais la véritable passion qui dévore le jeune roi, c’est la danse: «A force de travail quotidien, Louis est parvenu à atteindre une virtuosité que certains rôles ont rendue éclatante», note JeanFrançois Solnon. Le roi se donne volontiers en spectacle mais décide de mettre brusquement un terme à sa carrière de danseur à 32 ans. Il fait ses adieux à la scène juste avant qu’il ne soit trop tard et s’en va en beauté.

A lire : Jean-François Solnon, le goût des rois, Perrin, 2015

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