La première guerre mondiale a duré sept ans

Sur fond de redécoupage du continent européen, ce conflit qui se déroula de 1756 à 1763 marqua la fin de la présence française en Amérique du Nord. Et fut le premier à impliquer autant de nations.

Guillaume Henchoz
Quelle histoire !
Published in
7 min readApr 18, 2016

--

Le matin du 28 mai 1754, au coeur de la vallée de l’Ohio, dans l’actuel état de Pennsylvanie, une délégation militaire française d’une quarantaine de personnes, commandée par le capitaine de Jumonville est décimée par une petite troupe anglaise venue à sa rencontre. La fusillade dure moins de 15 minutes. Le capitaine de Jumonville fait partie des victimes. Selon certains témoignages il aurait été assassiné par le chef indien Tanaghrisson de la tribu Sénéca. Ce dernier l’aurait achevé d’un coup de hache bien senti dans le crâne.

Les Français s’étaient portés au devant des Britanniques afin de faire valoir leur droit sur la région. Ils n’étaient pas forcément venus faire le coup de feu. Le commandant des Anglais, un jeune officier répondant au nom de George Washington porte l’entière responsabilité de ce coup de main qui va mettre le feu au poudre et enclencher ce qui va être le premier conflit d’ordre mondial: la Guerre de Sept Ans.

«Se battre pour quelques arpents de neige peuplés d’ours et de castors ? Tout le monde connait les inombrables sarcasmes de Voltaire sur une guerre qu’il a toujours regardée comme l’aberration suprême», écrit Edmond Dziembovski dans l’excellente synthèse, «La Guerre de Sept Ans» qu’il vient de publier. Et pourtant le coeur de ce conflit sanglant se trouve bien là, dans l’opposition entre deux impérialismes français et anglais qui s’affrontent parfois directement sur les continents américain et indien ou par alliés interposés en Europe.

Avant l’éclatement du conflit, l’Europe connait ce qui pourrait s’apparenter à une sorte de guerre froide au cours de laquelle les alliances vont se redessiner. Suite à la Guerre de succession en Autriche (1740–1748) différents traités sont signés qui règlent notamment les questions territoriales concernant les Etats européens. Mais les colonies naissantes s’agrandissent vite et de nouvelles pierres d’achoppement refont leur apparition. En Europe, les cartes sont redistribuées. La Prusse opère un rapprochement avec l’Angleterre, laissant tomber la France qui conclut une alliance avec son ennemi d’autrefois, l’Autriche.

Le conflit s’ouvre. Les Français prennent Minorque aux Anglais et la guerre gagne officiellement les colonies, même si on n’avait pas attendus des déclarations officielles pour commencer à s’étriper . C’est le moment que choisit Frédéric II pour faire main basse sur la Saxe et menacer la Bohème. «La guerre maritime et coloniale vient d’enfanter un drôle de rejeton, une guerre d’Allemagne ne possédant aucun lien avec les affrontements dans les forêts d’Amérique ou dans le golfe du Bengale. L’Europe vient de s’embraser, et, soudain, la fête a pris un goût amer», analyse l’historien.

On parle alors volontiers d’une «guerre en dentelles». Ce concept est né à la fin du XVIIIe siècle pour désigner des conflits, à l’instar de la Guerre de Sept Ans, qui opposent des dynasties royales souvent unies par les liens du sang et qui combattent selon les règles de la courtoisie. Plus tard les guerres opposeront des nations aux idéologies distinctes. On pourrait donc percevoir la guerre en dentelles comme une manière gentille et courtoise de s’entretuer entre gens de bonne compagnie. Or, il n’en est rien. Avec l’utilisation massive des armes à feu sur le champ de bataille, la manière de faire la guerre a vite évolué. Les armées se déplacent en rangs serrés et constituent des lignes de feu parrallèles à celles de l’ennemi. Les soldats, immobiles, tirent de manière cadencée jusqu’à ce que la formation ennemie ou la sienne se disloque. Les pertes sont souvent effroyables. «La guerre de Sept Ans, montre l’humanité sous sa face la plus repoussante. Disons-le sans détours: la guerre en dentelles est un mythe», analyse notre historien.

Les pertes humaines et matérielles sont importantes pour la plupart des royaumes européens qui se sont engagés dans le conflit. Les campagnes militaires ont ravagé l’Europe centrale. Beaucoup d’armées étaient mal pourvues en ravitaillement et se sont livrées au pillage systématique des régions qu’elles traversaient, alliées ou non. La Prusse, entourée d’ennemis et presque toujours à l’offensive paie un lourd tribu. Si elle doit rétrocéder la Saxe au terme du conflit, elle conserve l’entier de ses territoires et s’impose comme une nation guerrière qu’il ne faut pas trop chatouiller. La France, malgré quelques succès au début de la guerre, va perdre l’entier de son empire colonial. Ses possessions en Indes sont démilitarisées et ses territoires canadiens et américains passent aux mains des britanniques. La Grande-Bretagne est le véritable gagnant du conflit. Grâce à sa flotte et à ses colonies elle devient la première puissance mondiale.

Mais pour Edmond Dziembowski, on peut tirer d’autres leçons de cette longue guerre. Selon l’historien c’est suite à ce conflit que commence à apparaître un patriotisme qui se rattache plus à la nation qu’au pouvoir régnant: «Une fois que les armes se sont tues, que reste-t-il du patriotisme de guerre? La question qui se pose vaut autant pour la France que la Grande-Bretagne et les colonies d’Amérique. La soif de citoyenneté qui animent ceux qui ne se considèrent plus comme les simples sujets de Louis XV offre de singulières similitudes avec les aspirations qui animent tant en métropole qu’en Amérique, les anciens partisans du Ministre du Peuple.» La guerre de Sept ans a certainement constitué un terreau fertile pour l’Indépendance des Etats-Unis ainsi que pour la Révolution française.

Analyse d’image : La mort de Wolfe

La mort de Wolfe / © Benjamin West, Musée de Toronto

La mort de Wolfe est un tableau exécuté par Benjamin West en 1771 et constitue un bel exemple de peinture patriotique. «Dès sa présentation la toile a provoqué l’enthousiasme du public», note l’historien Edmond Dziembovski. Ce ne sont pas les qualités artistiques de l’oeuvre qui permettent d’expliquer son succès mais plutôt le sujet choisi par l’artiste. En 1759, James Wolfe mène l’offensive au coeur des possessions françaises en Amérique et met le siège devant Québec. Au cours de la bataille remportée par les Anglo-Américains, les deux généraux français et anglais vont succomber.

La chute de Québec sonne le glas des prétentions de la couronne française en Amérique et Wolfe est célébré comme un héros national. le cours de la guerre s’en retrouve profondément modifié. Le tableau se compose comme une scène christique. Il fait penser à une Pietà où la Vierge étreint une dernière fois son fils. Au côté des officiers anglais qui pleurent la mort de leur chef, on peut trouver un guerrier iroquois dans une pause qui ressemble à celle du penseur de Rodin, «songeur devant tant d’abnégation héroïque», suggère ironiquement Edmond Dziembski. A l’arrière plan, un soldat ramène la bannière fleurdelisée française prise à l’ennemi sur le champ de bataille et annonçant la victoire. Et l’historien de conclure : «Wolfe meurt l’âme en paix: il sait que son sacrifice n’aura pas été vain. La guerre de Sept Ans a atteint un tournant. Carthage,pour parler comme les colons britanniques d’Amérique du Nord, a été prise. Encore quelques mois et l’ennemi sera définitivement bouté hors du Nouveau Monde. (…). Le destin destin du Canada est en train de s’écrire dans la langue de Shakespeare

Bonus : Comment Candide se sauva d’entre les Bulgares et ce qu’il advint.

Cet extrait célèbre est tiré du Candide de Voltaire. Il est régulièrement utilisé pour les commentaires composés. Il met en scène une bataille sanglante qui reflète bien la “guerre en dentelles”. Le philosophe de Ferney y fait preuve d’un sarcasme appuyé, critiquant les visées expansionnistes des rois européens et les carnages qui en découlent. Cela vous rappelle-t-il quelques souvenirs d’école?

“Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque.

Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum, chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin ; il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles, éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros, rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés.

Candide s’enfuit au plus vite dans un autre village : il appartenait à des Bulgares, et les héros abares l’avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines, arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n’oubliant jamais Mlle Cunégonde. Ses provisions lui manquèrent quand il fut en Hollande ; mais ayant entendu dire que tout le monde était riche dans ce pays-là, et qu’on y était chrétien, il ne douta pas qu’on ne le traitât aussi bien qu’il l’avait été dans le château de monsieur le baron, avant qu’il en eût été chassé pour les beaux yeux de Mlle Cunégonde.”

Candide de Voltaire, chapitre III.

--

--