41- Kalam
Entre les rumeurs qui s’élèvent des échoppes et les murmures du torrent, s’immisce une voix calme. Ce soir-là, l’habituelle fraîcheur des sommets, compagne du crépuscule, est impuissante face à la pesante chaleur estivale, héraut de l’orage.
Sur les paillasses disséminées dans le lit de la rivière, une quinzaine d’hommes, assis voire allongés, écoutent, dînant ou buvant. Un homme d’une trentaine d’année, la peau brûlée par les extrêmes de l’altitude, conte.
Il parle de son enfance dans l’une de ces vallées que dissimulent des à-pics affolants entre l’Afghanistan et le Karakoram. Il évoque ce temps d’innocence où il vivait insouciant au près de ses parents dans l’ignorance de cet ailleurs dont ils étaient protégés par ce col interdit, unique voie vers le monde.
Il raconte comment la curiosité l’a poussé à emprunter ce chemin que nul n’avait osé prendre depuis tant de générations et comment au sommet, il avait vaincu la peur. Elle lui était apparue sous la forme d’un monstre gigantesque aux yeux lançant des éclairs, aux dents longues comme un homme, aux narines crachant un brouillard sinistre. Mais, à chaque pas en sa direction, elle devenait plus petite. Elle disparut. Il avait gagné sa liberté. Le col était enfin ouvert.
Sa voix se brise quand il dit ces heures où il se perdit sans espoir de retour et comment, depuis ce jour, il cherche vainement sa vallée afin de libérer les siens de leurs superstitions, de leurs terreurs.
Dans ce village, point final de cette route qui depuis Mingora se faufile entre les circonvolutions de l’Himalaya, seuls les regards de ceux des plaines ne saisissent la détresse de cet îlien des neiges.
Alors que le ciel se déchire, projetant les ombres des sommets sur la vallée, alors que des gouttes grosses comme des cerises font fuir les hommes, un vieillard lui prend la main, lui dit qu’il connaît le chemin, son col. Il sourit de cet espoir renouvelé, incertain.
Buenos Aires le 17 septembre 2014